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4815Samedi dernier, l’on vit lors d’un de ces débats permanents de du réseau télévisé LCI une de ces tables rondes (ou carrées) avec une journaliste du Figaro Magazineet un représentant au plus haut niveau de Force Ouvrière (les nommeront qui le voudra). Les deux, droite et gauche mêlées comme si rien ne s’était passé, se félicitèrent avec une jubilation paradoxalement discrète, pincée et même angoissée, – selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre, – ce qu’ils jugeaient être la fin de des Gilets-Jaunes (faible mobilisation, etc., ce jour-là) et de leur intolérable anormalité ; et d’autre part, et au contraire, le retour de la normalité redevenue irrésistible des syndicats illustrée par le puissant mouvement depuis le 5-décembre (avec une manifestation de la CGT ce même jour du 7 décembre où avait lieu l’émission). Effectivement, cela doit être souligné, leur satisfaction commune semblait tout de même contrainte, sans qu’ils s’en expliquassent ; disons qu’il y avait dans leur verdict un peu pressé et qui se discute une certaine gêne inconsciente.
Cette scène, avec les sentiments respectifs que l’on distingue chez les uns et lsd autres grâce à notre radar, constitue assez bien l’illustration rétrospective du désarroi qu’ont causé les Gilets-Jaunes chez les commentateurs. Il s’agit également, pour l’immédiat présent, de l’illustration très courante et venue de pensées encore imprégnées de frayeurs, de l’erreur absolument fondamentale selon nous d’opposer les GJ à ce mouvement du 5-décembre, comme l’on dirait qu’il s’agit d’une sorte de “retour à un désordre ordonné” comme l’on dirait d’un “retour à l’ordre”.
Évidemment, ce mouvement du 5-décembre ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait pas eu les Gilets-Jaunes, – lesquels ne sont d’ailleurs pas enterrés, bien entendu. Toutes ces contestations semblent de plus en plus morpher et se transmuter dans le cours de la dynamique d’un mouvement général de mise en cause d’un système général, – le Système, certes, – dans le cadre global d’une intense agitation, l’intense accélération du “tourbillon crisique” qui secoue le bloc-BAO. Pour illustrer ce propos, nous choisissons de reprendre le texte de l’éditorial de Jacques Sapir, dans son émission RussEurope Express, parce qu’il correspond parfaitement à ce sentiment que nous avons d’une situation française dépassant largement le seul cadre de ce pourquoi elle semble avoir été provoquée... « Grèves: “Une immense colère sociale monte des tréfonds du pays, bien au-delà de la question des retraites” », dit le titre de son intervention reprise ci-dessous.
(Aussi bien avec l’article de Spoutnik-français du 9 décembre 2019que sur Yutube,on voit la vidéo de l’émissionoù intervient Sapir, avec l’excellent présentateur Clément Ollivier et leurs invités Henri Sterdyniak, cofondateur des Économistes atterrés et chercheur à l’OFCE, Nicolas da Silva, maître de conférences en économie à Paris 13, spécialiste de la santé et de la protection sociale, et Stéphane Sirot, historien du syndicalisme et des mouvements sociaux, professeur à l’université de Cergy-Pontoise. Même pour ceux qui ne siont guère coutumiers des questions économiques et sociales, ces divcerses interventions sont du plus grand intérêt, notamment en ceci qu'elles nous changent du ronron des “éléments de langage” des commentateurs-zombie des plateaux courants où la pub n'attend pas. On nous permettra d’ajouter une notation personnelle selon laquelle la formule de filmer une émission-radio est décidément excellente dans la mesure où les participants interviennent de façon beaucoup plus naturelle, sans la tension un peu artificielle d’une émission faite uniquement pour être télévisée ; le propos en est d’autant plus spontané et d’autant mieux structuré.)
Jacques Sapir donne une vision beaucoup plus large que le courant des commentateurs des événements du 5-décembre et la suite, dont nul ne doute que la dynamique peut aller loin. Il l’intègre dans le vaste mouvement de colère, voire de fureur, qui parcourt la France depuis deux ans, avec le relais de mouvements de différentes formes (dont l’énorme dynamique des GJ, certes), et il intègre très logiquement ce phénomène dans le courant protestataire global également sous diverses formes, représentant rien de moins qu’une insurrection mondiale contre le Système et ses divers oukases qui s’avèrent de plus en plus insupportables. Une fois de plus, l’économiste Sapir s’appuie sur une vision politique du phénomène avec ses effets sociaux et psychologiques considérables.
Le désarroi des élites-Système, la confusion du gouvernement Macron avec soin indécision et ses cointradictions, tout montre combien le Système est dans une posture d’impuissance et de réaction défensive désordonnée, s’exprimant par le désordre de ses réactions, les contradictions à l’intérieur de ses rangs, en un ou deux mots l’impuissance et la paralysie devant l’émeute dialectique, psychologique et de communication qui secoue l’ensemble de la situation du Système. Nous sommes, dans cette insurrection générale, bien loin de la seule question technique des retraites, même si celle-ci est analysée dans l’émission avec un sens critique aigu et selon des approches complètement absentes des plateaux de TV-Système auxquels nous sommes accoutumés.
Le “tourbillon crisique” élève et intègre toutes les crises parcellaires et en constante évolution nodale dans l’énorme choc crisique qui secoue l’“étrange époque” crisique de rupture que nous vivons.
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Une importante grève interprofessionnelle a lieu depuis le 5 décembre. Mais il y a dans cette mobilisation bien plus qu’un simple refus d’une nouvelle réforme des retraites, aussi contestable, voire inique, soit-elle.
Les grèves multiples, dans le secteur des transports, mais aussi de la fonction publique, des services, et dans les entreprises, concentrent en elles toute la colère qu’Emmanuel Macron et son gouvernement ont réussi, à tort ou à raison, à accumuler contre eux.
La raison initiale est donc le refus de la réforme des retraites. Cette dernière prétend aller vers plus d’égalité en supprimant ce que l’on appelle les «régimes spéciaux», et vers plus de pérennité, car à en croire le gouvernement, le déficit actuel du régime des retraites serait tout bonnement insupportable.
Mais ce déficit a en réalité été creusé par ce même gouvernement, qui a réduit les cotisations pour offrir, dit-il, du pouvoir d’achat aux Français. En réalité, et à parler un peu vulgairement, il a «fait les poches» du système des retraites et prétend maintenant en tirer argument pour imposer sa propre réforme. La manœuvre est un peu grosse. On savait Édouard Philippe ficelle… désormais, on voit la corde!
L’autre argument est celui de l’égalité. En supprimant les régimes spéciaux, on rendrait le système des retraites plus lisible et plus juste. Mais a-t-on simplement réfléchi au pourquoi de la constitution de ces fameux régimes spéciaux?
Nous ne travaillons pas tous dans les mêmes conditions. Certains travaux sont particulièrement pénibles, que ce soit physiquement ou nerveusement. Par ailleurs, certains régimes de retraite qui semblent en apparence avantageux sont parfois la contrepartie de rémunérations salariales plus faibles. Bref, s’il y a une multitude de cas qui, c’est vrai, rendent difficile une lecture globale du système des retraites, c’est aussi parce qu’il y a dans la vie réelle - mais oui, cette réalité qui semble bien étrangère aux technocrates qui réfléchissent dans leur bulle -, une multiplicité des situations. La véritable égalité et bien souvent obtenue par une inégalité apparente.
Alors, que ce soit au travers du fameux «âge pivot» ou de toute autre invention, les Français ont bien compris que le but de la réforme était de les faire travailler plus longtemps et, dans de nombreux cas, pour des pensions moindres. Or, si l’espérance globale de vie s’est beaucoup accrue ces dernières années, il n’en va pas de même pour l’espérance de vie dite «en bonne santé». C’est pourtant bien cette dernière qui doit ici être prise en considération. C’est elle qui démontre que les travailleurs arrivent aujourd’hui épuisés à l’âge de la retraite.
La réforme que l’on nous promet sera donc injuste, en particulier pour les femmes, qui risquent d’en être les grandes perdantes, et destructrice pour tous ceux qui travaillent dans des conditions de forte pénibilité. Les Français le comprennent, et soutiennent majoritairement cette mobilisation.
Mais il y a plus dans cette grève. Elle est aussi la manifestation d’une immense colère sociale qui monte des tréfonds du pays. Le nombre de catégories de travailleurs où cette colère déborde, des paysans aux travailleurs des hôpitaux, des enseignants aux salariés de la RATP et de la SNCF (auxquels, il convient de le rappeler, l’inspection du travail vient de donner raison quant à la présence d’un contrôleur à bord de certains TER), promet d’en faire une mobilisation très particulière.
Les directions syndicales le sentent, et font tout pour garder le contrôle sur ce mouvement. Mais à l’impossible nul n’est tenu. On peut penser que cette grève aura des conséquences, voire pourrait se transformer en un mouvement social s’installant dans la durée. Un an après le début de la crise des Gilets jaunes, et alors que cette dernière est loin d’être terminée, s’ouvre sans doute avec le 5 décembre l’«acte 2» de la contestation sociale.