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216602 décembre 2015 – Dans cette réflexion qui concerne les Russes et la Syrie, ce “a posteriori” me chiffonne, de savoir si l’on me comprendra bien, selon ce que je veux transmettre comme pulsion intellectuelle signifiant la force du message à propos duquel cette pulsion tenterait de me faire entendre raison. Cette idée-là aurait dû me venir, si l’on s’en tient à la chronologie du temps, deux mois plus tôt et un peu plus encore que ce que j’entends signifier aujourd’hui ; d’autre part, ce retard n’en est pas un car il ne s’agit pas ici d’une compétition ni d’une enquête pour réunir des preuves mais bien de la meilleure façon de se bien faire entendre. Cette “prémonition” ne pouvait me venir à l’heure dite où elle aurait été effectivement prémonitoire, mais plus tard, quand l’emploi du terme paraît paradoxal, provocant ou simplement futile au milieu d’une situation établie qui semblerait indiquer une toute autre direction que celle qu’indique la prémonition. C’est que les éléments de la “prémonition” (« ...sentiment de savoir ce qui va arriver dans [l’avenir]... conviction, juste ou non, que quelque chose va arriver dans [l’avenir]. ») n’étaient pas réunis au départ, et il se serait alors agi de l’affirmation bien audacieuse d’une “divination” (« ...pratique occulte et métaphysique de découvrir ce qui est inconnu: l’avenir... et cela par des moyens non rationnels. »)... Enfin, il est temps de laisser ces préliminaires presque techniques pour en venir au principal, tout cela ne servant finalement, — mais ce n'est pas rien, – qu’à soigner l’élan et l’ardeur dont on a besoin pour se lancer dans la confidence, tout en donnant une indication précieuse sur la sorte de propos où je m’engage.
Il s’agit des affaires du monde, il s’agit du cœur actuel du “tourbillon crisique” qui est le caractère central actuel de notre situation générale, il s’agit de la Syrie, il s’agit enfin de l’intervention russe en Syrie commencée officiellement le 30 septembre et dont l’ordre d’activation fut donné le 13 septembre par le président russe Poutine. Cette prémonition “a posteriori” décrit l’idée selon laquelle cette intervention constitue désormais, – c’est-à-dire ce qu’elle n’était pas nécessairement au départ, – un tournant décisif dans cette situation générale, non pas en termes géopolitiques ni politiques, ni quoi que ce soit de cette sorte des activités humaines habituelles, mais en termes crisiques directement compréhensibles et directement intégrables dans cette situation générales, dans tous ses effets. Même s’il y a évidemment de ces effets à ces niveaux et dans ce sens, l’action de la Russie ne se fait plus principalement dans le champ de la politique, – pour les intérêts de la Russie, pour sa sécurité nationale directe (contre le terrorisme dont une des orientations est le Caucase) et indirecte (protection de la Syrie) ; elle ne se fait plus principalement dans le champ de la géopolitique, – pour modifier, sinon faire basculer l’équation des influences dans la région, pour écarter une hégémonie nuisible et productrice de désordre et la remplacer par un ordre assuré par une action conjointe où la Russie occupe la place centrale. On a pu le croire au début de l’intervention et sans aucun doute était-ce dans l’esprit de ceux qui prirent et observèrent cette décision. Mon observation est que cette intervention russes a échappé à ces intentions de départ, qu’elle a acquis suffisamment de puissance dans le domaine de la perception, de la communication, et de l’influence du récit qui en est fait pour bouleverser le rythme et l’activité de la Grande Crise, et lui faire prendre son orientation décisive. Elle s’est haussée elle-même à un niveau supérieur de celui où elle a été activée et, désormais, ne concerne plus guère la Russie elle-même, ni les autres, mais un domaine qui nous dépasse tous et nous englobe tous.
Je ressens ceci que les Russes, et Poutine en particulier, ont une attitude à cette mesure, sans qu’ils s’en aperçoivent nécessairement, et je dirais même “nécessairement sans qu’ils s’en aperçoivent”. Ils agissent comme s’ils étaient hors du jeu des puissances, même vis-à-vis de leurs alliés (Chine et Iran), ne montrant aucune considération pour les vieilles amitiés (la Turquie) dans la façon de traiter leur félonie, aucun respect pour les puissances déclinantes et hier triomphantes (les USA), intéressés mais tactiquement plus que stratégiquement par l’idée de coalition, ne paraissant montrer aucun étonnement mais entreprenant aussitôt avec une conviction inébranlable un travail de consolidation massive de leur présence qui ne peut avoir pour effet véritable que celui de créer un choc crisique considérable. Ils sont déterminés au pire en termes opérationnels, sans aucune retenue parce que non seulement “le pire est toujours possible” mais parce que ce “pire” est infiniment probable sinon déjà là à l’exclusion du reste, et de toutes les façons nécessairement préférable à n’importe quoi d’autre dans ces situations de subversion et de crise si grandes où il est préférable d’aller au terme ; et ce terme est désigné “le pire” par la logique d'une raison épuisée par sa propre subversion mais ne l’est plus en tant que vérité-de-situation.
(... Ces observations portent aussi sur des inimitiés à mesure, qui prennent tout le monde de cours tant elles sont vives, parce que l’on commence à ressentir cette évidence non encore mesurée, de constater avec quelle rapidité les masques des narrative convenues tombent. Je cite ceci plutôt comme un symbole de ce qui compte vraiment, John Helmer qui écrit de Moscou, sur son site Dance with the Bears, le 27 novembre : “Jamais l’animosité personnelle des chefs d’État des États-Unis et de la Turquie à l’encontre de la Russie n’a été aussi forte et exprimée aussi fortement. Les conséquences aussi...” [« Never before has the personal animosity of the heads of state of the United States and Turkey towards the President of Russia been so sharp and expressed so obviously. The consequences, too... »] Et Helmer poursuit, pour l’essentiel de son texte, par le détail de citations de Poutine, — voici les “conséquences”, et elles seules comptent, – une longue série de ses déclarations du 26 novembre, d’une violence extraordinaire puisqu’accusant Obama et Erdogan de mensonges en termes explicites, comme si, là aussi, Poutine seul avait droit à la parole.)
Les Russes agissent comme s’ils étaient mus par des forces supérieures, avec comme consigne de mettre à nu le plus possible, le plus vite possible, le plus massivement possible, tout ce qui peut avoir trait au dévoiement, à la subversion du Système, à son activité exclusivement maléfique, à son travail de déstructuration et de dissolution. On notera que, pour ces mêmes Russes, tout cela n’est pas nécessairement dans leur intérêt, au sens habituel et nécessairement trivial du terme, parce que, comme il a été souvent dit sur ce site, ils sont à la fois antiSystème et intraSystème, “partie-en-partie” du Système. Mais “tout cela” ne semble plus guère compter dans le sens habituel de ces choses, y compris ce que pensent et veulent les Russes, et là est la grande différence avec crise de l’Ukraine qui a précédé. Avec la Syrie aujourd’hui (la crise dite Syrie-II), la dialectique est sans détour, coupante, infiniment plus ferme, plus offensive, plus furieuse, plus dénonciatrice des attitudes fondamentales que des faits épars, et tout cela par-dessus une situation opérationnelle où la Russie s’installe en maîtresse et accumule, non pas telle ou telle force, ou tel ou tel instrument, mais toutes les formes de puissance de feu dans le but d’écraser ce qui doit l’être, toujours dans ce but de défaire absolument tout le désordre tissé par le Système. La Russie est en fait la réelle productrice du Grand-Désordre, bousculant les habitudes mafieuses, les arrangements des canailles et des traîtres, dans le cadre d’un Grand Dessein dont elle n’est pas nécessairement consciente, dont elle n’est certainement pas consciente, dont les traits principaux commencent à se tracer dans un but dont le cadre général commence finalement à apparaître : créer un immense contre-feu où la production du Système ne trouvera bientôt plus de quoi nourrir sa flamme (« [C]ette occurrence où, placés dans des circonstances géographiques et climatiques particulières face à un immense incendie de forêt progressant vers eux, les pompiers décident de brûler en le contrôlant un espace de forêt devant l’incendie principal, d’éteindre cet “incendie contrôlé” après qu’un espace suffisant ait été consumé, et d’y attendre l’incendie principal qui, rencontrant une bande de terre brûlée, diminuera radicalement d’intensité et pourra être à son tour maîtrisé. »)
C’est là où se situe la prémonition, si c’en est une, et elle est “a posteriori” parce qu’elle n’a osé se découvrir qu’après plusieurs semaines où elle se constituait, déjà tremblante de son audace. On verra, mais si elle dit vrai, elle dit que nous arrivons au Moment de l’Histoire où les situations-de-vérité vont se réunir en une seule chose, qui sera la nouvelle Vérité du monde. Quoi qu'il en soit, je me permets un donner fermement un conseil qui vaut pour moi-même comme pour les autres : ne pas tenir un trop grand compte, sinon pour l’exemple et pour le renforcement de la thèse centrale, de toutes les supputations sur Daesh, les Russes, la tribu Erdogan, notre Talleyrand Postmoderne (Fabius le Magnifique), BHO-qui-joue-au-golf, et guetter désormais les grandes choses de la métahistoire. C’est sur ce terrain-là que nous nous trouvons.
Peut-être serait-il prudent d’ajouter quelque chose comme “J’ai bien du mal à croire aux prémonitions”, et encore plus, aussi brutalement énoncées. Qu’importe, je ne peux m’empêcher d’être surpris par sa prégnance, et sa résilience lorsque je doute d’elle... J’avance un pied puis l'autre, avec précaution.
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