Sous le regard du fantôme de l'Empire

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Sous le regard du fantôme de l'Empire

04 juillet 2017 – Le 4 juillet est la fête nationale aux USA, et cette année est marquée par un appel de divers groupes anti-Trump dominé notamment par un “appel aux armes” lancé par Michael Moore avec son groupe “Resistance”. Ce 4 juillet donc, une marche est prévue à Washington pour demander la destitution du président Trump. La veille, ce 3 juillet 2017, l’État du New Jersey a publié dans sa législation l’annonce que les groupes “Antifa” (“antifascistes”), label général dont se réclament nombre de groupes anti-Trump, étaient désormais considérés comme des groupes terroristes. Adam Garrie, sur le site TheDuran.com, qui avait demandé cette classification le 1er juillet annonce avec satisfaction, ce même 3 juillet, la décision du New Jersey. Ainsi voit-on combien la violence est d’actualité dans ce temps courant aux USA, tout cela lié à l’élection du président Trump et à l’étrange déroulement des débuts de sa présidence dont rien, absolument rien ne laisse prévoir qu’elle finira par se normaliser.

La décision du New Jersey est intéressante, encore plus d’un point de vue symbolique que du point de vue opérationnel général. Elle signale que la violence déployée par ces groupes, jusqu’ici traitée avec plus ou moins d’empressement et de sévérité, passe au niveau officiel de la violence officiellement reconnue comme telle, comme contestatrice et destructrice de l’ordre public, éventuellement destructrice des “valeurs” que cet ordre représente, etc. (Le qualificatif “terrorisme” est aujourd’hui très large et entre dans le classement opérationnel de ce que nous nommons la Grande Guerre postmoderne, et “Second Civil War” aux USA.)

Cette première catégorisation officielle des “Antifa” aux USA, intervenant dans le cadre bien identifié de la crise qui secoue le pouvoir de l’américanisme et Washington D.C. depuis quasiment deux ans, et sans aucun doute d’une façon paroxystique depuis un an, constitue une étape importante dans la prise en compte de la violence spécifique à cette crise de l’américanisme. Il est bon, à cette occasion, de consulter un texte du 27 juin 2017 dans The Federalist, du pasteur Peter M. Burfeind, Pasteur de l’Université de Toledo et théologien très célèbre et très lu, notamment avec son livre de 2015, dont le titre (Gnostic America: A Reading of Contemporary American Culture & Religion according to Christianity's Oldest Heresy) nous conduit à la fois au cœur de son propos actuel, et au cœur de la crise actuelle, avec notamment la violence, – extraordinaire au niveau de la communication, – qu’on y voit chaque jour. Burnfeind estime en effet que la violence politique actuelle, qu’il identifie essentiellement “à gauche”, renvoie essentiellement au gnosticisme auquel il juge que cette partie de la société US renvoie elle-même, comme référence principale pour sa propre définition et son identité. Lorsqu’il note que le candidat démocrate au fauteuil du 6ème district de la Géorgie à la Chambre, Jon Ossoff, eut comme dernier mot après sa défaite d’il y a deux semaines ce constat que « les ténèbres ont envahi le monde », Burnfeind constate qu’il s’agissait d’une métaphore ou d’une observation de type spirituel, mais certainement pas exemplaire du « sécularisme scientifique que la Gauche prétend représenter. En fait, [cette observation] représente la résurgence d’une posture spirituelle avec des références théologiques précises ».

Burnfeind constate ainsi que la Gauche US a complètement épousé le Gnosticisme, qui est une des hérésies fondamentales du christianisme de l’origine et a laissé sa psychologie complètement s’imprégner du Manichéisme (autre hérésie chrétienne des origines, qui est une variante du Gnosticisme). Il s’agit pour lui d’une évolution récente, qu’il classe comme une réaction brutale après une période marquée par la doctrine de l’Herméticisme, « variante optimisme du Gnosticisme » qui s’était installée comme la doctrine dominante du Progrès et du progressisme triomphant en Occident depuis la Renaissance : l’homme placée au centre du monde, prenant en charge la destinée du monde contre le “dieu mauvais” traître au Dieu dominant (selon le Gnosticisme), qui entendait imposer un destin catastrophique ; et ainsi, l’homme triomphant prenant la maîtrise de l’Histoire autant que de son destin, toujours selon cette pensée, et lui insufflant une course triomphante pavée notamment de divers “lendemains qui chantent”. « Depuis les années 1960, et avec le succès démontré [selon elle] de cette approche, la Gauche s’était installée confortablement en laissant faire le reste à l’Histoire. »

Mais, poursuit brusquement Burnfeind, il s’avère tout aussi brusquement que « la Gauche a perdu, et continue à perdre, et une autre dynamique s’est [brusquement] mise en marche », la dynamique de la violence, qui implique aussi la folie. Ici, le propos de Burnfeind est brutal.

Burnfeind ne précise par les correspondances et chronologies politiques de ce qu’il décrit d’un point de vue théologique mais on déduit aisément de ce qui suit qu’il s’agit de l’opposition ultraviolente de la Gauche (ce que nous nommons, nous, les “progressistes-sociétaux”) qui caractérise l’extrémisme de l’opposition à Trump. Les exemples qu’ils citent ensuite le montrent évidemment : la violence dont il parle est essentiellement de communication et symbolique, bien qu’il y ait des campagnes de violence effective et quelques attentats, mais en nombre pour l’instant restreint. Quelque forme qu’elle prenne, cette violence est d’une extrême brutalité et d’une cruauté à mesure ; d’un point de vue symbolique, c’est-à-dire dans sa représentation fantasmagorique reflétant la force de conviction de la psychologie, elle est extrêmement brutale et violente...

« Dans chacun de ces exemples [de cette extrême violence], les auteurs ou les intervenants symboliques ont perdu tout contact avec la décence humaine fondamentale, prisonniers d’une représentation psycho-spirituelle [leur tenant lieu de perception] où le monde est [lui-même] prisonnier de forces des ténèbres opérant par le biais d’entités, y compris des personnes, qui ne méritent que la destruction. Pourquoi ? Parce que la sauvegarde l’humanité est à ce prix. [...]

» [...] [I]l y a une complète imprégnation d’un esprit iconoclaste dans l’âme américaine. Et cet esprit est le Gnosticisme. [...] L’Iconoclasme signifie littéralement “briser des images”. Les images, selon les conceptions grecques, sont des phantasmes, c’est-à-dire une production mentale ou psychologique qui devient la seule sorte de réalité qui compte. [...] A mesure que je réalise mon emprisonnement des forces des ténèbres qui ont envahi le monde, [ma] réalité est transférée de l’extérieur à l’intérieur [de moi-même]. »

Dans cette situation, le système de la communication joue un rôle fondamental d’accélérateur, de renforcement de tous ces phantasmes, d’une puissance et d’une efficacité inouïes. « Par leur nature même, les médias travaillent dans le champ du fantasmagorique, manipulant les archetypes et les narratives... » ; et certes, l’on parle ici des médias d’information, de la télévision, de la musique d’entertainment comme le rock et ses diverses dégénérescences, du cinéma, des réseaux sociaux hyper-actifs et sans aucun frein, etc. Burnfeind nous annonce que cette violence multipliée par la communication, jusqu’alors réservée essentiellement à la Gauche, « est en train de gagner la droite, avec des groupes droitiers non-religieux qui commencent à apparaître. Amusez-vous bien avec eux. »

Le pasteur Burnfeind termine en rappelant les réussites de la religion qu’il représente, mais aussi les limites auxquelles son action est soumise et qui sont justement le champ d’action de la violence actuelle. Cette religion s’exprime dans toute sa grandeur « avec Dieu comblant le gouffre entre l’esprit et la chair, devenant notre voisin d’esprit et de chair et faisant de notre voisin un objet d’amour, et créant une communauté transcendant miraculeusement les races et les nationalités. Mais cette même religion nous a averti que la folie guette ceux qui se déconnectent de cette réalité. La folie, et aussi la violence»

Bien entendu, nous nous référons à ce texte comme à un exemple d’un aspect de la pensée générale qui se répand aux USA, et touche maintenant les théologiens eux-mêmes, qui prennent actes des événements et leur donnent une signification eschatologique directement imbriquée dans le courant quotidien de l’affrontement politique. Ce texte montre également que cette interprétation transcende la question nationale (des USA) pour en faire une question de civilisation avec une crise fondamentale affectant le christianisme comme vecteur de la civilisation dominante, donc impliquant une crise de civilisation qui affecte par définition notre monde dans sa globalité dans la mesure où la civilisation occidentale domine ce monde : la crise de la civilisation occidentale qui est maintenant à son point d’explosion aux USA n’est rien de moins la crise du monde et de sa civilisation. Simplement, les USA, du fait de leur position dominante de puissance et d’influence, ont, avec leur crise actuelle commencée dans sa phase aigüe il y a deux ans, et dans sa phase paroxystique il y a un an, surmonté en puissance toutes les autres crises pour exprimer à eux seuls la puissance totalitaire de la crise du monde. Que cela soit dit en termes théologiques n’importe pas pour notre lecture de la crise, sinon comme l’indication sans doute décisive de l’ampleur globale de la crise, surmontant tous les autres aspects, financier, politique, sociétaux, etc. ; sinon comme l’indication que cette crise ne se tient plus au niveau des concepts et des querelles théologiques justement, mais qu’elle est désormais dans la rue, dans chaque foyer, et même dans la dialectique des hommes politiques qui pratiquent d’habitude un langage extrêmement normatif pour satisfaire au Système (le candidat démocrate Jon Ossoff saluant sa défaite dans une élection partielle qui concerne un cinq cent trente-cinquième de la Chambre des Représentants du Congrès par rien moins que le constat que « les ténèbres ont envahi le monde »).

Que cela soit dit en termes théologiques n’importe pas enfin pour notre lecture de la crise, sinon, pour clore le propos ci-dessus, que cette lecture ne concerne plus ni l’histoire immédiate, ni l’histoire des USA, ni même l’histoire de la modernité, mais l’histoire jusqu’à ses origines extrêmes puisqu’il est question finalement de la résurgence d’une hérésie du christianisme du IIème siècle, le Gnosticisme, perçue désormais (à juste raison ou pas, qu’importe) comme une force active de déstabilisation, de déconstruction, de violence et de folie... Comme si les temps furieux de la fin de l’Empire de Rome et des débats également furieux au sein du christianisme des origines revenaient pour former l’ordinaire de l’extension de notre crise.

Crise de la haine et du satanisme

Un des aspects du texte de Burnfeind est surprenant d’un point de vue politique et opérationnel, qu’il n’explicite d’ailleurs en aucune façon... Nous reprenons ici le passage, plus haut dans notre texte, qui en rend compte :

« “Depuis les années 1960, et avec le succès démontré [selon elle] de cette approche, la Gauche s’était installée confortablement en laissant faire le reste à l’Histoire.” Mais, tranche brusquement Burnfeind, il s’avère tout aussi brusquement que “la Gauche a perdu, et continue à perdre, et une autre dynamique s’est [brusquement] mise en marche”, la dynamique de la violence, qui implique aussi la folie... »

On voit mal comment la Gauche, c’est-à-dire le néo-Gnosticisme, c’est-à-dire l’Herméticisme triomphant, c’est-à-dire le progressisme-sociétal selon notre classification actuelle, peuvent être décrits comme perdants. Certes, il y a eu aux USA la défaite de Clinton, mais en quoi cela représente-t-il une véritable défaite de “la Gauche” au regard du flux général qui a envahi tout l’Occident, le bloc-BAO, au niveau du “politiquement correct” en matière de pensée, au niveau des “valeurs” néolibérales & libertaires, de l’activisme sociétal, de la déconstruction de tout ce qui tient la société ? Et tout cela face serait défait à cause de la victoire d’un Trump qui est évidemment un bouffon erratique dont le pseudo-“populisme” est une sorte de kaléidoscope abracadabrant faisant aussi bien la part belle aux pétroliers qui se précipite sur tous les gisements comestibles aux USA, qu’aux marchands de canon gavant de missiles sophistiqués la pourriture impuissante des Saoud ?... D’ailleurs, n’entend-on pas le sublime-tribun La-Méluche, place de la République et en bras de chemises, nous rejouant hier Maurice Thorez circa-36 et Front Popu’, en traitant Sa Majesté Emmanuel Ier à la fois de Prince et de “populiste” au milieu des ors de Versailles abritant temporairement la représentation nationale, républicaine et laïque ? Un conseil nous vient à l’esprit : n’essayons pas de comprendre, et encore moins d’expliquer la situation présente en nous référant à de tels concepts (“la gauche”, le “populisme”) relevant de temps où l’on avait plus d’attention pour la cohérence des concepts bien compris et la mesure des situations observées avec justesse, de temps où, selon le langage du pasteur Bernfeind, la modernité se satisfaisait encore d'un Herméticisme triomphant. La violence du langage, nous avertit Burnfeind, s’accompagne de la démence.

Ainsi préférons-nous appréhender l’analyse du Pasteur de l’Université de Toledo du point de vue du Système et simplement observer à son propos que, désormais, la théologie, avec l’inévitable extension et l’ennoblissement du champ des réflexions qu’elle impose, prend à son compte, selon ses conceptions qui nous conduisent heureusement aux origines, la crise de l’effondrement du Système. Effectivement, l’intérêt de la théologie dans ce cas n’est pas tant de nous instruire du facteur religieux qui nous importe peu, que d’introduire le facteur de l’eschatologie que nous devons considérer hors et même au-dessus du facteur religieux ; mais elle le fait, la théologie, en s’appuyant sur une documentation et une culture nourries à un aspect de la tradition qui, justement, renoue, ou noue plus fortement encore notre réflexion aux origines.

D’autre part, et ce n’est pas rien parce que c’est l’essentiel, en développant cette analyse d’un néo-Gnosticisme Burnfeind introduit l’élément et surtout l’événement immédiat du Mal qui est naturellement fondamental dans le courant du Gnosticisme construit selon l’idée de son omniprésence (du Mal). Il rejoint ainsi l’atmosphère psychologique qui règne aujourd’hui, avec cette haine de tous bords, saisissante de puissance, qui caractérise les positions et qui répond à une très forte perception du satanisme sans que l’on puisse identifier avec certitude, – mais cette dissimulation est le propre du satanisme, – dans quel sens il se manifeste, qui le manifeste, etc.

La crise du pouvoir de l’américanisme est ainsi sortie des limites que lui impose justement cet intitulé. L’analyse nous restitue parfaitement la dimension psychologique, c’est-à-dire essentiellement la haine qui oppose les protagonistes et rend cette crise totalement insoluble en la faisant apparaître en vérité comme une représentation du modèle central qu'est la crise du Système. (On voit qu’on se trouve ainsi dans l’inversion complète, le modèle fondamental de la crise, la crise du Système, étant lui-même simulacre, et par conséquent inversion de ce qui devrait être un modèle de civilisation.) Cela implique la force inouïe de la dimension psychologique de la crise, facteur que l’on ressent partout sous des formes différentes malgré le black-out imposé par le système de communication et la presseSystème, dans les diverses crises en cours, comme si le premier effet en importance et en totalité de la globalisation portait sur la nature de la crise, en l’inscrivant irrésistiblement dans la dimension psychologique qui est le véritable facteur globalisé, qui se joue des frontières, des langues, des ethnies, des restes de culture, etc.

L’analyse nous sort également des limites chronologiques habituelles, symboliquement et essentiellement avec ses références à l’origine du christianisme qui ne sont pas seulement anecdotiques ou utilitaires. Ce déplacement historique fondamental est à la fois symbolique et conceptuel. Il contribue fortement à nous rappeler, indirectement et involontairement à la fois mais d’une façon lancinante une fois la chose réalisée, que les racines de la crise du système, et de cette contre-civilisation qui en est l’aboutissement, se trouvent à l’origine même de l’ensemble structurel et spirituel de notre histoire.

A ces lumières différentes, la crise du pouvoir de l’américanisme, si elle garde évidemment sa position de leadership comme il convient avec les USA (la première de toutes les crises), n’est plus liée à sa spécificité américaniste. Cette spécificité américaniste n’est plus qu’un moyen permettant à l’importance de la crise de s’exprimer dans toute sa fureur et toute sa haine. Il devient alors évident, selon la logique de cette démarche, que la crise du pouvoir de l’américanisme est une crise transnationale et internationale, une crise globale et cosmique, une crise de type systémique et de fonction eschatologique, bref sans aucun doute et plus que jamais le cœur grondant de la crise d’effondrement du système.

Bon anniversaire USA, sous le regard du fantôme de l’Empire de Rome...