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237514 novembre 2017 – Quoi qu’on pensait de Zbigniew Brzezinski, et quoique je pouvais en penser moi-même, une chose me semblait incontesrable : c’était un dur, un caractère solide, qui n’avait pas peur de tenir ferme sur les actes et les déclarations les plus controversées qu’il avait faits. Comme on le lit, le passé est de rigueur ; parce qu’il est mort (en mai dernier) et parce que je crois bien pouvoir dire que, comme tant d’autres, Zbig-le-dur fut un couard et nullement un dur.
Au départ, il y a cette interview si fameuse de Zbig au Nouvel Observateur, en date du 15 janvier 1998. Assez courte, elle ressortit quelques temps (quelques mois ? Un, deux ou trois ans ?) après l’attaque 9/11 pour rappeler que les USA, et Zbig lui-même, étaient à l’origine de la formation, de l’équipement du soutien constant, etc., des terroristes islamistes ; de tous ceux qui nous ont donné al Qaïda au départ, puis multiplié en une extraordinaire nébuleuse de terrorisme, crimes, de trafics, de manipulations et de vraies corruptions, de false flags et de vrais attentats, d’instrument global de désordre principalement manipulé par les USA sans rien comprendre à la stratégie de leurs propres actes, jusqu’à l’actuel apothéose avec le symbole du califat/Daesh.
Interrogé en 1998 où divers attentats et la dynamique de la formation de l’ensemble terroriste étaient déjà bien connus, Brzezinski avait rejeté avec hauteur, arrogance et mépris toutes les observations selon lesquelles il avait pris un risque énorme, et commis une bien grave imprudence stratégique en lançant de sa propre initiative la dynamique de ce phénomène. En effet, la principale révélation de l’interview était la confirmation d’une affirmation de l’ancien directeur de la CIA Robert Gates dans ses mémoires, selon lequel le soutien et le renforcement stratégique de ces groupes avaient été une initiative spontanée, précédant et précipitant l’intervention soviétique en Afghanistan et nullement conséquence de cette intervention, et cette initiative devant nécessairement venir du directeur du NSC. Brzezinski, occupant alors ce poste, avait confirmé, persisté, signé et proclamé :
« Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? [...] Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide ? [...] Sottises ! Il faudrait, dit-on, que l'Occident ait une politique globale à l'égard de l'islamisme. C'est stupide : il n'y a pas d'islamisme global. Regardons l'islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. » (Pour rappel, je donne en note [*] le texte complet de l’interview, assez court et qui ne sacrifie pas à la langue de bois.)
Je rappelle tout cela pour en arriver à une précision qui est pour moi une révélation, qui l’est par conséquent pour le site. Cela vient d’un très récent livre sur le National Security Cinema – The Schocking New Evidence of Government Control in Hollywood, sur lequel je reviendrai très vite. (J’en parlerai alors plus en détail.) Outre une appréciation générale du contrôle et des interventions de la CIA et du Pentagone dans les productions d’Hollywood, le livre s’attache à plusieurs films dont il détaille la façon dont ils furent traités par ces “mentors” de l’industrie du cinéma US.
Ici, il est question de Charlie’s Wilson War (2007), qui est le récit du rôle joué par le député de la Chambre des Représentantrs US Charlie Wilson dans l’opération d’activation, d’armement, de coordination et de soutien des islamistes, – alors nommés moudjahidines (“combattants de la liberté”), – durant les années 1980 contre les forces soviétiques en Afghanistan. Au cours de cette analyse, l’interview de Brzezinski est citée, avec cette précision ironique que, dans le scénario original, une des répliques de Brzezinski était mise dans la bouche de Wilson discutant du projet d’armer les islamistes avec un agent de la CIA, Gust Avrokotos, qui jouait le modérateurs.
Charlie Wilson : « Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »
Gus Avrotokos : « Il y a parfois des conséquences inattendues, surtout quand on est aussi téméraire que vous l’êtes... »
(Les deux auteurs du livre, Matthew Alford et Tom Secker, précisent que « naturellement, cette prtie du dialogue fut supprimée et toute allusion à cette question des conséquences fut supprimée du film », cela sur intervention de la CIA.)
Dans ce passage, et concernant l’interview, – c’est le cœur du sujet abordé ici, – les deux auteurs précisent, après avoir donné quelques détails sur l’interview que « Brzezinski démentit plus tard ces commentaires et déclara qu’il avait été cité faussement et que le soutien des moudjahidines en logistique et en armement n’intervint qu’après l’invasion soviétique, [Brzezinski] demandant qu’on lui montre des documents prouvant le contraire. » C’est ce qu’empressent de faire Alford-Secker, qui ont consulté nombre d’archives d’accès autorisé par la loi Fredom Of Information Act. Ils citent un document détaillant les minutes d’une réunion du Special Coordination Committee, un comité interministériel au sein du gouvernement US. Cela se passe le 17 décembre 1979, soit deux semaines avant l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS.
La réunion, à laquelle participe Brzezinski, conclut que « nous devrons étudier avec le Pakistan et les Britanniques la possibilité d’améliorer le financement, l’armement et les communications des forces rebelles de façon à rendre aussi coûteux que possible pour les Soviétiques leurs efforts [de soutien au gouvernement communiste d’Afghanistan] ». La rédaction ne laisse aucun doute sur le fait qu’une structure de soutien actif, financier logistique et en armements des moudjahidines, est déjà en pleine activité.
Ainsi le “dur”, Brzezinski, qu’on approuve ou pas selon ses propres engagements, perd-il avec le legs qu’il nous laisse les qualités qu’on pouvait lui reconnaître au-dessus de cela. Il se révèle aussi malléable que les autres malgré ses airs de dur, attentif à protéger ce qui lui restait de carrière et de prestige à travers le Système grâce à sa propre narrative. Les héros, ou plutôt les restes des héros sont affreusement fatigués dans cette époque délétère et pitoyable. Quant à la vérité, parlons d’autre chose...
(*) L’interview de janvier 1998 dans Le Nouvel Observateur a été repris sur ce site, pour la première fois, le 31 juillet 2005. Depuis, on y est souvent revenu, la dernière fois encore toute récente, le 30 mai 2017.
Le Nouvel Observateur. — L'ancien directeur de la CIA Robert Gates l'affirme dans ses Mémoires (From the Shadows, par Robert Gates, Simon and Schuster) : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidine afghans six mois avant l'intervention soviétique. A l'époque, vous étiez le conseiller du président Carter pour les affaires de sécurité ; vous avez donc joué un rôle clé dans cette affaire. Vous confirmez ?
Zbigniew Brzezinski. — Oui. Selon la version officielle de l'histoire, l'aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c'est-à-dire après que l'armée soviétique eut envahi l'Afghanistan, le 24 décembre 1979. Mais la réalité, gardée secrète jusqu'à présent, est tout autre : c'est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l'assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là, j'ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu'à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.
N. O. — Malgré ce risque, vous étiez partisan de cette “covert action” [opération clandestine]. Mais peut-être même souhaitiez-vous cette entrée en guerre des Soviétiques et cherchiez-vous à la provoquer?
Z. Brzezinski. — Ce n'est pas tout à fait cela. Nous n'avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu'ils le fassent.
N. O. — Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu'ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant, il y avait un fond de vérité... Vous ne regrettez rien aujourd'hui ?
Z. Brzezinski. — Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j'ai écrit au président Carter, en substance : “Nous avons maintenant l'occasion de donner à l'URSS sa guerre du Vietnam.” De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l'éclatement de l'empire soviétique.
N. O. — Vous ne regrettez pas non plus d'avoir favorisé l'intégrisme islamiste, d'avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ?
Z. Brzezinski. — Qu'est-ce qui est le plus important au regard de l'histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l'empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l'Europe centrale et la fin de la guerre froide ?
N. O. — “Quelques excités” ? Mais on le dit et on le répète : le fondamentalisme islamique représente aujourd'hui une menace mondiale.
Z. Brzezinski. — Sottises ! Il faudrait, dit-on, que l'Occident ait une politique globale à l'égard de l'islamisme. C'est stupide : il n'y a pas d'islamisme global. Regardons l'islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. C'est la première religion du monde avec 1,5 milliard de fidèles. Mais qu'y a-t-il de commun entre l'Arabie Saoudite fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l'Egypte pro-occidentale ou l'Asie centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté...
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