Steinmeier nous informe : le roi est nu

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Steinmeier nous informe : le roi est nu

Le ministre allemand des affaires étrangères a, dans une interview à Bild am Sundag, soit “mis les pieds dans le plat”, soit “jeté un pavé dans la mare”, – on choisira l’expression la plus appropriée, ou bien ce sera les deux en même temps, voire une troisième qu’on pourrait imaginer, comme “placer une bombe à retardement dont la mèche est déjà allumée” (hypothèse la plus optimiste, la plus joyeuse et la plus festive). Comme le résume ZeroHedge.com, près avoir consacré quelques paragraphes à l’incroyable narrative accompagnée d’exercices divers et de menaces sans fin que l’OTAN nous fait subir depuis au moins trois ans vis-à-vis de la Russie... « Et soudain tout s’est désintégré abruptement quand pas moins que le ministre des affaires étrangères de l’Allemagne... a martelé une violente critique de l’OTAN pour avoir développé une politique belliqueuse contre l’URSS, décrivant effectivement cette politique comme “belliciste” (warmongering) selon le quotidien Bild. Comme en un claquement de doigt, la fiction narrativiste entière d’une OTAN “innocente” réagissant aux provocations de la Russie diabolique s’est volatilisée en flammes... »

La déclaration de Steinmeier fait grand’bruit car l’Allemagne n’est pas l’Autriche, la Hongrie ou la Grèce, – ni même l’Italie, voire la-France-qui-n’existe-plus. (En effet, ce qu’a dit Steinmeier, c’est le ministre français qui aurait dû le dire : mais voyez sa binette, et tout est dit dans le non-dit.) Voici un extrait de RT-Amérique nous présentant l’affaire, – à tout seigneur, tout honneur, les Russes ayant bien mérité d’être cité pour rendre compte ce que tout le monde sait désormais. (Principalement, pour la traduction française, Steinmeier déclare qu’“à l’heure actuelle, on ne doit pas aggraver la situation par le cliquetis des armes et une rhétorique guerrière. Celui qui pense que les parades militaires symboliques de chars à la frontière Est de l’OTAN favorisent le climat de sécurité, se trompe.”)

« Sharply criticizing NATO war games in Eastern Europe, German Foreign Minister Frank-Walter Steinmeier told Bild am Sonntag newspaper that inflaming the standoff with Russia would endanger European security and increase risk of reviving an “old confrontation.”

» The ongoing large-scale Anakonda-16 NATO military maneuvers in Poland, simulating the repulsion of “Russian aggression” against the country, are counterproductive, Deutsche Welle cited German Foreign Minister Frank-Walter Steinmeier as telling Bild am Sonntag newspaper, in an interview to be published Sunday. “Whoever believes that a symbolic tank parade on the alliance's eastern border will bring security is mistaken,” Steinmeier said ahead of the upcoming NATO summit in Warsaw beginning July 8. “We are well-advised to not create pretexts to renew an old confrontation,” he emphasized. »

Le Telegraph de Londres précise le 18 juin, à propos de la manœuvre qui suscite particulièrement la critique du ministre allemand, désignée sous le nom générique de “Opération Anaconda” : « Mr Steinmeier was speaking after Nato staged its largest war game in eastern Europe since the end of the Cold War earlier this month. Some 31,000 troops, including 1,000 from the UK, took part in Operation Anaconda, a 10-day exercise simulating a Russian attack on Poland. The exercise was the first time German tanks crossed Poland from west to east since the Second World War. Andrzej Duda, the Polish president, made it clear the exercise was directed against Russia. “The aim of the exercise is clear,” he said. “We are preparing for an attack.” »

Aussitôt, la contre-attaque a  été montée contre Steinmeier, de tous les côtés des zombies disponibles du Système malgré le temps du week-end. Par exemple, ce tweet d’un fantassin confortable du même Système, le professeur Stephen Sestanovich, professeur de l’université de Colombia, intellectuel agréé du Système puisque membre du CFR et auteur d’un livre dont le titre dit tout (Maximalist: America in the World from Truman to Obama). La sentence de Sestanovitch : Steinmeier doit partir (« If Steinmeier calls it “warmongering” to push back agst Putin, he should step down – that's not German policy »)

Le texte de ZeroHedge.com du 18 juin dont on a déjà donné un extrait, offre une dernière partie conclusive qui expose la situation générale de cette crise ouverte au sein de l’OTAN avec les déclarations du ministre allemand. Il confirme notamment la réaction de Sestanovich, du CFR, sur la contre-offensive générale aussitôt lancée contre Steinmeier, essentiellement par le Council of Foreign Relations (CFR). (La position en flèche du CFR, organisation américaniste évidemment, et évidemment de tendance globalisante sous la direction éclairée de l’américanisme, mais surtout organisation qui tient à sa réputation de sérieux, de pseudo-mesure, d’extrémisme américaniste bon-chic-bon-genre, – cette position en flèche indique le sérieux et la gravité de l’affaire du point de vue du Système. Lorsque les grands-maîtres élégants et fortunés mettent la main à la pâte et vont au charbon, c’est que le temps est vraiment à l’orage.)

« “Anyone who thinks you can increase security in the alliance with symbolic parades of tanks near the eastern borders, is mistaken,” Germany's top diplomat added.

» Needless to say, Russia bitterly opposes NATO's expansion into its Soviet-era satellites and last month said it would create three new divisions in its southwest region to meet what it described as a dangerous military build-up along its borders. This is precisely what NATO wants as it would be able to then blame Russian effect to NATO cause as an irrational move by the Kremlin, one to which the kind folks at NATO HQ would have no choice but to respond in their caring defense of all those innocent people, when in reality it is NATO that is desperate to provoke and launch the conflict with Russia.

» And now even its own members admit it!

» In its latest ridiculous escalation, blamed on Russia no less, NATO announced on Monday that it would deploy four battalions to Estonia, Latvia, Lithuania and Poland to counter a more assertive Russia, ahead of a landmark summit in Warsaw next month. Well, as Steinmeier made it very clear, NATO's deployment to provoke Russia was precisely that. As a result a Russian "assymmetric" response is assured, and this time it may even spill over into the combat arena, something which would bring infinite delight to Washington's military-industrial complex neocon puppets.

» In an interview with Bild on Thursday, NATO chief Jens Stoltenberg said Russia is seeking to create "a zone of influence through military means". "We are observing massive militarisation at NATO borders -- in the Arctic, in the Baltic, from the Black Sea to the Mediterranean Sea," he told the newspaper.

» How do we know Steinmeier hit it nail on the head? The neocon Council of Foreign Relations trotted out its “fellow” who promptly took to character assassinations and demanding Steinmeier's resignation, instead of asking if perhaps a NATO-member country accusing NATO of being a warmongering provocateur, is not the real reason why Europe is back deep in the cold war, with an escalating nuclear arms race to go alongside it, courtesy of the US military industrial complex whose profits are entirely dependent on war, conflict and the death of civilians around the globe.

» As for the unprecedented reality in which NATO's biggest and most important European member is suddenly and quite vocally against NATO and as a result may be pivoting toward Russian, we for one can't wait to see just how this shocking geopolitical debacle for western neocons and war hawks concludes. »

Steinmeier a véritablement clamé que le roi est nu. Son attaque ne met pas en cause des aspects spécifiques même si essentiels, mais tout simplement toute la politique de l’OTAN depuis trois ans et, par logique induite, depuis au moins vingt-cinq ans (fin de la Guerre froide et élargissement) ; par conséquent, elle met en cause, toujours selon cette logique, l’existence même de l’OTAN dans sa forme et sa dynamique actuelles, c’est-à-dire l’OTAN elle-même puisque cette organisation est absolument impuissante à faire autre chose que ce qu’elle fait. C’est beaucoup pour un ministre des affaires étrangères du plus grand et plus important pays européen, c’est-à-dire du n°2 de facto de l’OTAN (puisque l’Angleterre est ce qu’on sait qu’elle est, un zombie-clone des USA et de plus en pleine crise de Brexit ; puisque, surtout, la France est devenue la-France-qui-n’existe-plus).

Reste désormais la partie la plus intéressante de l’affaire, qui se résume à des questions essentielles : Steinmeier a-t-il parlé pour lui seul, ou bien pour une fraction allemande opposée à la politique antirusse générale du bloc-BAO ? A-t-il parlé sans en aviser Merkel ou bien avec l’accord de Merkel ? Une réponse partielle à ces deux questions sera apportée assez vite, sinon très vite, selon que Steinmeier reste à son poste ou s’il démissionne ou est forcé à démissionner. S’il démissionne, on en conclura qu’il a agi seul, ou que la fraction qui le soutient n’est pas assez forte pour lui faire conserver son poste. S’il reste en place, on sera alors face à une alternative : ou bien il n’est pas d’accord avec Merkel, mais la fraction qui le soutient est assez forte pour exiger et obtenir son maintien, et alors c’est Merkel qui est à la dérive ; ou bien il est d’accord avec Merkel, et alors c’est toute la politique allemande qui est en train de basculer.

Dans tous les cas de figure, absolument tous, y compris le départ de Steinmeier, il s’agit d’une ouverture grandiose du sommet de Varsovie de juillet car, par rapport à d’autres pays de l’OTAN, Steinmeier a dit tout haut ce que nombre d’entre eux pensent tout bas. Il aura ainsi montré que l’OTAN, derrière son unanimité de façade, est dans une crise profonde entre ses divers extrémistes et l’insurrection générale antiSystème qui semble désormais toucher certains dirigeants. Dans tous les cas, le sommet-grandiose de Varsovie qui devait annoncer la phase ultime de l’attaque contre la Russie se fera dans une atmosphère délétère et, à ce compte, l’incertitude brutale apportée par Steinmeier se trouvera renforcée par le malaise grandissant de certaines implications du pouvoir washingtonien (Obama + Clinton) dans des manœuvres extrêmement douteuses sinon proches de la trahison, malaise qui va constituer de plus en plus le cadre général des préésidentielles les plus extravagantes de l’histoire des USA.

Jamais la surpuissance phénoménale du Système ne s’est trouvée aussi proche d’un processus d’autodestruction tout aussi phénoménal. C’est une confirmation des évènements courants depuis deux-trois mois, et en constante accélération ces derniers mois. La logique métahistorique des évènements continue à être respectée, montrant que les susdits évènements conduisent le bal dont le sapiens normal, ou plus justement dit zombie-Système, a de plus en plus de mal à saisir la partition centrale malgré la multiplication exponentielle de ses coups fourrés et complots en tous genre, assaisonnés d’un  déterminisme-narrativiste qui confine à un enchaînement proche de l’étouffement.

 

Mis en ligne le 19 juin 2016 à 10H24