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2258En quelque sorte, les diverses sources officielles US sont en train de nous confirmer le bilan de l’attaque US contre la base syrienne du 6 avril d’une part, et d’une façon plus générale la dangerosité des cieux syriens pour les aéronefs US si ceux-ci ne sont pas couverts par un accord de coordination avec les Russes-en-Syrie. Il se confirme en effet que le nombre de sorties de l’USAF et de la “coalition” en Syrie a considérablement diminué depuis le 6 avril, avec comme argument supplémentaire le retrait des Belges de cette aventure...
Cela signifie, selon la logique de Washington D.C.-In-Wonderland, que depuis cette attaque qui aurait dû selon diverses interprétations marquer l’engagement direct, officiel et sans doute massif et triomphant des USA et des supplétifs BAO dans le conflit, les forces US et des supplétifs BAO visibles n’y ont jamais été aussi peu présentes jusqu’à une quasi-absence. C’est une curieuse occurrence qu’une démonstration de force aussi tonitruante qui doit réduire l’“adversaire” à l’illusion grotesque de ses prétentions accouche directement d’un aveu d’une crainte extrême des capacités de ce même “adversaire” de rendre les cieux syriens aussi dangereux pour la coalition BAO. Même le Pentagone s’est fendu d’une explication à la fois détaillée et alambiquée, tandis qu’Alexander Mercouris nous précise qu’un des buts de la visite de Tillerson à Moscou était d’obtenir la réactivation de l’accord de coordination USA-Russie de l’automne 2015 que les Russes ont désactivé suite à l’attaque du 6 avril. Il (Tillerson) est tombé sur un os :
« One of US Secretary of State Tillerson’s primary objectives in Moscow was to get the hotline reopened. That this is so was confirmed by Russian Foreign Minister Lavrov during his joint news conference with Tillerson following Tillerson’s meeting with Russian President Putin. Lavrov confirmed that Tillerson sought Putin’s agreement to re-instate the hotline. Contrary to some media reports, it is clear from Lavrov’s comments that the hotline remains suspended, and that Putin imposed conditions on its reinstatement :
» “We also very thoroughly discussed the situation with regard to our air forces with the U.S.-led coalition and the Russian forces, and we talked about the de-confliction memorandum during the operations in Syria. You know that this was halted, but President Putin confirmed our determination to put it on track again, confirming that the main aim, of course, is between these forces of the coalition and the Russian forces is to combat Jabhat al-Nusrah and other terrorist organizations and ISIL, of course.” [bold italics added]
» In other words Putin told Tillerson that Russia would reinstate the hotline only after it received categorical assurances from the US that US forces would henceforth concentrate their fire on the Jihadi terrorists – Jabhat Al-Nusra (ie. Al-Qaeda) and ISIS – and not on the Syrian military. Until that happens the hotline remains closed and US air operations in Syria remain hobbled. What this means in turn is that it is the Russians who have leverage over the US, and not the other way round, a fact which partly explains why all the talk of US ultimatums to Russia has amounted to precisely nothing.
» The sharp reduction in US air operations in Syria as a result of the Russian decision to suspend the hotline is a matter of indisputable fact confirmed by the public record, including the Pentagon’s own statements and the reporting of The New York Times. It has also been confirmed by the Belgian authorities, who have suspended operations by the Belgian air force supporting the US in Syria entirely. »
Nous savons bien qu’en général, lorsqu’il est fait mention des capacités militaires russes devant des experts et des industriels (surtout français, notamment), un éclat de rire très américaniste et otanien nous répond. Effectivement, les Français de ces milieux spécialisés sont experts dans ce genre d’exercice extraordinairement sophiste. Il n’empêche qu’entre la communication en forme de théâtre et l’opérationnel, la très-grande prudence apparaît et s’interpose. Depuis le 6 avril, les vols de l’USAF & Cie ont donc décru considérablement en Syrie, dont on sait que les Russes contrôlent entièrement l’espace aérien. Durant la semaine écoulée, il y a eu 123 sorties de la “coalition” BAO, contre 7800 pour le mois de mars, soit un rythme de près de 2000 par semaine en général.
Sollicité par la presse à la suite d’un article du New York Times, le colonel John Dorrian, porte-parole du Pentagone pour l’opération Inherent Resolve a expliqué très bureaucratiquement la logique de ces mesures, – “Il est juste approprié de s’assurer que vous prenez les mesures appropriées qui prennent en compte l’événement [l’attaque du 6] et ses conséquences”...
« We have made adjustments to our operations to account for the potential tensions that resulted from the strikes that were conducted because of the Syrian regime’s chemical attack. But make no mistake, we do plan on continuing our operations and we do continue to look for ways to accelerate them. It’s just appropriate to make sure that you’re taking appropriate measures to account for that. We don’t want to be reckless and we don’t want to have some type of incident that would cause a miscalculation, or some type of unintended incident. The intent is to get back as quickly as possible to our normal operations and as fast a pace as we can manage. »
En quelque sorte, l’attaque ordonnée par Trump-2.0 renvoie le Pentagone à ses appréciations, en plus graves si c’est possible puisqu’entretemps les conditions se sont terriblement durcies, faites notamment au printemps 2013 par le très-sage Général Dempsey, et renforcées d’une façon générale en octobre 2016 par le Général Denford, qui est toujours président du Comité des chefs d’état-major. “En plus graves”, ces appréciations, également parce qu’entretemps la situation générale des forces US s’est naturellement dégradée, comme c’est naturellement le cas pour un budget militaire qui arrive péniblement à ses $700 milliards par an (en réalité, mais tout aussi péniblement, $1200 milliards/an).
Le Pentagone est depuis très longtemps désormais dans une crise constante de gestion, c’est-à-dire dans l’incapacité de réaliser un travail normal de production, d’entretien et de modernisation des forces armées courantes, sans parler de leur renforcement. La situation de ces forces armées qui sont à l’œuvre un peu partout est donc celle d’un état extrêmement affaibli sur une durée constante, avec la tendance normale à l’affaiblissement à cause du vieillissement et de l’usure du matériel. Un rappel sommaire mais significatif nous a été récemment donné à cet égard, par Publius Tacitus, dans le Sic Semper Tyrannis du colonel Lang du 9 avril 2017 :
« America is a bit of a paper tiger at the moment. Don't take my word for it. That is the message from our military leaders to Congress a few weeks back: “In testimony before the Senate and House Armed Services Committees, the vice chiefs of staff of the Army, Navy, Marines, and Air Force articulated pressing concerns about the state of their branch’s readiness to respond to conflicts overseas or attacks on the homeland. The hearing highlighted substantial readiness and capacity issues within each of the services:
» ”Army: Of 58 total brigade combat teams (the Army’s main combat building block), only three are considered ready for combat.
» ”Navy: The Navy’s fleet is the smallest it has been in nearly 100 years. This makes ship repairs harder to complete, as those vessels are needed on the waterways.
» ”Marine Corps: Eighty percent of Marine aviation units do not have even the minimum number of aircraft they need for training and basic operations.
» ”Air Force: The Air Force is the smallest and, in terms of many of its aircraft, oldest it has ever been. The service had 8,600 aircraft in 1991 while today it only has 5,500, and those aircraft are an average of 27 years old. Worse, fewer than half of those aircraft are prepared to take on and defeat our adversaries.
» These troubling findings by the services echo those laid out by The Heritage Foundation in its 2017 “Index of U.S. Military Strength,” which rated the Army as “Weak” and the other three branches as “Marginal” in terms of their ability to fight and win major conflicts. If Russia decides to call our bluff and escalate things Trump will likely preside over a public humiliation that will explode America's military delusions of grandeur. »
D’une manière assez fascinante, les situations se reproduisent à Washington D.C. plus que jamais in Wonderland, mais selon des séquences de plus en plus rapides et dans un désordre grandissant. Les cas précédents cités (notamment celui du général Dempsey), du printemps 2013, avait fait repousser l’idée d’une No-Fly-Zone, puis d’une attaque selon la proposition du secrétaire d’État Perry, toujours selon l’appréciation du risque considérable que prendraient les forces US en s’attaquant à la Syrie. (Pourtant, à cette époque, les Russes ne se trouvaient pas sur place, avec tous leurs armements et leurs installations de défense aérienne et de contrôle électronique de l’espace aérien.) Puis il y avait eu l’épisode de l’attaque chimique/false flag d’août 2013, cette fois encore avec la course vers une attaque bloquée par diverses circonstances où Obama n’avait pas eu grand’chose à faire. Dans cette circonstance également, les chefs militaires avaient agi dans un sens modérateur, toujours avec Dempsey en tête.
Cette fois, la situation est encore plus exotique. Les militaires encadrent Trump passé en mode post-trahison, y compris dans les fonctions civiles (Mattis, McMaster), et l’on peut considérer qu’ils poussent à la roue, ou à l’attaque disons. Il s’est même dit que McMaster avait présenté un plan pour une “zone de sécurité” qui constituerait en fait une sorte de “semi-invasion”, avec nécessité de rassembler 150.000 hommes comme force de combat. Cela étant évoqué, ces mêmes militaires se trouvent plus ou moins dans la position de devoir en même temps freiner, à la fois leurs ardeurs et la bête qu’ils ont débusquée et déchaînée chez Trump, dans la mesure où ils s’aperçoivent très vite qu’ils n’ont pas les moyens de leurs ambitions (éventuellement deux engagements en même temps, en Syrie et Corée du Nord), et que les Russes sont vraiment un très rude morceau. Il est de ce point de vue très possible que la disparition des 36 Tomahawk (sur 59) “dans la nature” ait constitué pour les Russes une démonstration “en temps de guerre réel” des capacités, non pas de destruction sol-air (aucune batterie n’ayant tiré) mais bien de contre-mesures électroniques avec prise de contrôle et déroutement des missiles jusqu’à l’autodestruction.
(Mercouris adhère à cette thèse, reprise notamment du Saker US : « ...Tomahawk were specifically built to be able to fly tangential courses around some radar types and they also have a very low RCS (radar visibility), especially in the frontal sector. Some of these missiles were probably flying low enough not to be seen by Russian radars, unless the Russians had an AWACS in the air (I don’t know if they did). However, since the Russians were warned about the attack they had plenty of time to prepare their electronic warfare stations to “fry” and otherwise disable at least part of the cruise missiles. I do believe that this is the correct explanation. I do not know whether the Russian were technically unable to destroy and confuse the 23 missiles which reached the base or whether a political decision was taken to let less than half of the cruise missiles through in order to disguise the Russian role in the destruction of 36 missiles. What I am sure of is that 36 advanced cruise missile do not “just disappear”. »)
Poutine compare la situation actuelle à celle qui a précédé l’attaque en Irak, au printemps 2003. Peut-être est-ce le cas pour le climat, la tension disons, mais cela ne l’est nullement, ni pour les moyens disponibles, ni pour la psychologie. Depuis plusieurs années, en fait depuis l’Irak justement, les dirigeants US ne cessent d’envisager des interventions, des frappes, des simili-invasions, etc., pour s’en trouver à chaque fois empêchés par deux facteurs essentiellement :
• D’une part, des moyens de plus en plus réduits pour les engagements déjà en cours et celui (ou ceux) qu’on envisage. Cette situation de dégradation est constante et ne tient nullement à une question budgétaire (volume du budget) mais bien plus fondamentalement à la crise de la gestion de la production de structures de guerre, ajoutée à la crise du technologisme qui enferment les nouveaux systèmes ou les modernisations dans des pesanteurs sinon des impasses de fonctionnement. L’augmentation budgétaire décidée par Trump, non seulement ne changera rien dans le sens des capacités mais aggravera encore la situation de la gestion (gaspillage, corruption, redondances, etc.) en encourageant de suivre la voie du technologisme de plus en plus autodestructeur.
• D’autre part, des directions de plus en plus confuses, encore plus que divisées et antagonistes. Tout le monde veut montrer la force des USA, éventuellement effectuer des exercices de “frappes d’avertissement”, voire d’investissements de territoires, mais tout le monde se heurte aussitôt à la perception de moyens insuffisants et, surtout, à un vide absolument formidable de la pensée stratégique qui devient très vite paralysant. Les USA ne sont absolument plus capables d’élaborer une stratégie quelconque, à plus forte raison une “stratégie de sortie“ de crise”.
A vrai dire, l’irruption de Trump 2.0 (le Trump d’après la “trahison de Trump”, dit post-trahison) bardé de ses généraux et triomphalement retourné par les “forces de l’ombre” du Deep State n’arrange rien dans ces affaires-là. Elle les complique plutôt, parce qu’un Trump incontrôlable dans le sens de l’agressivité militariste devient un Trump qui, à chaque occasion, doit conduire toute la machine de l’américanisme au bord de l’abîme de décisions de plus en plus impossibles à prendre.
Mis en ligne le 13 avril 2017 à 14H10