Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
1791Privé de Xanax mais nullement de sa plume ni de sa vigueur d’esprit, James Howard Kunstler s’est penché sur le sort fait à la leste expression employée par le président Trump pour désigner les pays d’où nous viennent tant de migrants. L’expression employée est “shithole”, qui a permis un intéressant exercice de sémantique lorsqu’il a fallu le caractériser et le traduire ; en effet, ce mot-jugement du philosophe-président ayant provoqué, comme on dit, “une vague d’indignation”, non plus encore, “un tsunami d’indignation” dans la communauté internationale, ONU en tête, la chose nécessita dans l’urgence et la plus grande alarme une traduction dans une variété très grande de langages et d’idiomes.
La France, très directe, a choisi “pays de merde”. LCI a collationné pour nous les différentes traductions, suggérant ici la prudence, ici la bienpensance, là l’incompréhension ou même la poésie... « La presse espagnole est à l'unisson de la française avec “paises de mierda”, des médias grecs introduisant quant à eux une nuance : “pays de chiottes”. Aux Pays-Bas, [...] [on utilise] le terme “achterlijke”, ou “arriéré”. En Russie Ria Novosti parle de “trou sale” et Troud [...] de “trou à merde”. En Italie, le Corriere della Sera avance “merdier” et l'agence tchèque CTK [...] “cul du monde”. Les médias allemands [utilisent] l’expression “Dreckslöcher”, [... pour] “trous à rats”... Dans la presse serbe, l’expression “vukojebina” [signifiant] “l'endroit où les loups copulent”. Au Japon, la chaîne NHK a choisi de parler de “pays crasseux”, l'agence Jiji de “pays ressemblant à des toilettes”. Les médias chinois [...parlent] de “mauvais pays”. La version la plus imagée [et la plus poétique] à l'agence taïwanaise CNA ... “Pays où les oiseaux ne pondent pas d'œufs”. »
Nous ajouterons pour notre part un détail charmant venant du moteur Google qui hésite entre pruderie, censure et laisser-faire d’une extrême prudence. En traduisant le texte de Kunstler, nous passons avant l’adaptation par le premier filtre assez grossier quoique moins qu'à ses débuts de la traduction-Google. “Shithole” est employé deux fois par Kunstler, et nous avons choisi finalement, cela correspondant aux situations, “pays de merde” et “trou à merde”. Google offrait comme “traductions” (!), respectivement, “pays troublés” et... “shithole”.
Tout cela semble être beaucoup d’agitation pour pas grand’chose, sinon pour nous montrer l’embarras de la globalisation confrontée à une seule langue en théorie universelle maniée par un président qui se fiche bien du reste du monde, et de ses ministres et parlementaires aussi bien que des migrants. Cet embarras dénote par ailleurs l’importance colossale qu’a acquis la communication, la traduction du mot “shithole” semblant parfois à certains comme un risque de casus belli pouvant provoquer des réactions inconsidérées de la part du président de “D.C.-la-folle”.
Par ailleurs, Kunstler, lui, se fiche bien de tout cela, sa préoccupation principale étant de constater qu’en fait des divers “shitholes” dénoncé par Trump, les USA pourraient aussi bien prétendre être le premier d’entre tous. A cette remarque s’ajoutent la mesure de l’hystérie anti-Trump qui s’est emparée une fois de plus des beaux esprits du progressisme-sociétal électrisés par le mot permettant l’activation du bouton “racisme”, et par conséquent le constatat que développe Kunstler de l’extraordinaire bassesse de l’abysse hystérique où se trouvent notre civilisation, nos esprits et le sens des choses... Et de conclure mélancoliquement par cette question qui fixe la folie absurde de ces Temps-Effondrés : “Est-ce que n’importe quoi avance, est-ce que rien n’a d’importance ?”
Ci-dessous, l’adaptation française du texte de Kunstler du 12 janvier 2018 sur son blog “Clusterfuck Nation” de son site Kunstler.com.
____________________________
La panique morale de “la Résistance” est de retour en mode Defcon 1 (*) du jour au lendemain, alors que l’orgasme de justice des Golden Globe Awards commençait à s’estomper. La question occasionnelle de M. Trump à un couple de sénateurs concernant la politique d’immigration – “Pourquoi voulons-nous que toutes ces personnes viennent de ces pays de merde ?” – a activé le bouton “racisme” au Centre Opérationnel de la Résistance et CNN a organisé une autre de ces campagnes d’anxiété orchestrée dont il a perfectionné le modèle au cours de la dernière année.
Dans ce cirque à trois anneaux d’offense perpétuelle, d’indignation et d’alarme, l’attention sur le cas des souffrances alléguées des actrices de cinéma est aussitôt passée à un autre groupe catégorisable de victimes du panthéon démocrates-progressistes des minorités opprimées : les immigrants potentiels de couleur. L'animosité vulgaire du président confirme le constat selon lequel au moins la moitié du pays est une foule déchaînée qui ne pense qu’à pratiquer le lynch.
Bien sûr, la caractéristique la plus intéressante de cet air du temps névrotique est la dynamique de déplacement parmi la gauche politique des tentatives d’affirmation de sa vertu effrénée, de façon à distraire l’attention générale de ses propres émotions sombres et honteuses concernant la réalité de la culture américaine. En tant que membre de la génération du Baby Boom (ex)-libéral de l'Upper East Side de Manhattan, je peux vous assurer par expérience directe que ce groupe a, au mieux, des sentiments ambigus sur les ordres inférieurs de l'humanité, – “Grand Dieu miséricordieux, a-t-il vraiment dit cela ?” – et, dans le pire des cas, un réel et irrépressible mépris pour ces classes qui implique la probabilité d’une catastrophique déroute de leur vertu morale.
La remarque de M. Trump soulève une autre question intéressante qui n'a pas fait l’objet de beaucoup d’attention et de la moindre d'analyse dans le désordre échevelé de cette dernière panique en date : à savoir, jusqu’à quel point notre propre pays est justement, ces jours-ci, un “pays de merde” ? Je serais conduit à reconnaître, contrairement à la narrative mollassonne des temps de la prospérité, que les Etats-Unis fonctionnent visiblement autour de cette sorte de canalisation dans à peu près tous les domaines qui comptent. Sauf pour les centres de financiarisation, – New York, Washington, San Francisco, – la plupart de nos villes sont des épaves laissées à la dérive ; même San Francisco d’ailleurs, dont les visiteurs courants vous diront que l'endroit est littéralement un “trou à merde”, du fait notamment de l'armée des sans-abris qui occupe ses rues et qui, par définition, n'ont pas de salles de bains.
Nos banlieues effroyables, où tant d'anciens Américains de la classe moyenne sont maintenant abandonnés dans la dette, le désespoir et l’aliénation civique, n’ont plus aucune chance de figurer comme un arrangement acceptable pour une vie normale. Elles ont été si mal conçues à l’origine que leur inéluctabilité pour conduire à la ruine ses habitants constitue une saga épique et tragique qui étonnera les historiens de l’avenir, rassemblés autour des feux de camp, avec les opossums rodant autour d’eux.
Toutes les activités importantes dans ce pays ont été converties en rackets odieux, par lesquelles je veux désigner naïvement des escroqueries organisées, en particulier les deux secteurs qui se caractérisaient par le passé comme ne faisant aucun mal (la médecine) et cherchant la vérité (l’éducation). Tout ce que nous faisons est infecté par le simulacre machiné et le mensonge, y compris les médias d'information, la loi, les banques, le gouvernement, le commerce de détail, et j’en passe. Nous vivons dans une culture de fraude omniprésente, dans laquelle les autorités organisent des opérations de pillage et de dépouillement sans aucune retenue.
Il y a certainement des dynamiques et des cycles dans l'histoire, et l’une de ces forces implique la capacité d'une société à se comprendre. Parfois, une culture est assez forte pour permettre un haut niveau de conscience collective. Au contraire, une culture est parfois trop fragile ou épuisée, ou malade, pour permettre de se maintenir même aux niveaux les plus bas de la conscience de soi. Nous sommes à un point bas du cycle, plongés dans des fantasmes d’affrontements et de narcissisme. Le résultat final est que nous ne savons pas ce que nous faisons ni pourquoi nous faisons ce que nous faisons.
Le dilemme de l'immigration demeure, avec ses questions difficiles. Et si la culture américaine commune n’était pas assez puissante pour qu’une personne étrangère puisse l’assimiler et s’intégrer ? Sommes-nous obligés d'admettre tout le monde dans le monde, qui veut quitter son propre pays ? Est-ce que nous nous soucions de la façon dont les gens arrivent ici, ou comment ils se comportent une fois qu’ils sont ici ? Est-ce que n’importe quoi avance, est-ce que rien n’a d’importance ?
(*) Defcon (Defense Condition) indique, dans le langage militaire, le stade de préparation des forces armées US. Defcon 5 est le stade du temps de paix, sans tension ni menace. Defcon 1 est l’état de guerre totale.
Forum — Charger les commentaires