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5718Dans une interview qu’il a donnée à Fareed Zakaria, de CNN (voir l’extrait impliqué sur le DVD de CNN le 31 janvier 2015), le président Obama glisse un membre de phrase qui constitue une reconnaissance du rôle proéminent joué par les USA dans le changement de direction politique en Ukraine en février 2014, ce qu’on peut nommer “coup d’État” ou plus justement “putsch”. Le membre de phrase est le suivant :
«[...A]nd since Mr. Putin made this decision around Crimea and Ukraine — not because of some grand strategy, but essentially because he was caught off-balance by the protests in the Maidan and [Ukraine's then-President Viktor] Yanukovych then fleeing after we had brokered a deal to transition power in Ukraine...» (« ... et dès lors que Mr. Poutine prit sa décision concernant la Crimée et l’Ukraine, – non pas selon un projet de grande stratégie mais parce qu’il avait été pris de cours par les protestations du Maidan suivies de la fuite de Ianoukovitch après que nous ayons arrangé un accord de transition de gouvernement en Ukraine... »)
On remarquera une certaine prudence dans la phrase, qui implique qu’elle a sans guère de doute été préparée. Le “We” indique évidemment les USA, – parce que “what else ?” lorsque le président des USA est aussi représentatif de la psychologie et de la politique de l’exceptionnalisme US ? Mais ses porte-paroles, si quelqu’un aux USA avait l’idée sacrilège de les interroger sur ces quelques mots, pourraient toujours arguer qu’il s’agit de l’UE et des USA, pour poser un maquillage convenable sur le propos d’Obama. Ce serait alors faire référence à l’accord de l’UE seule (les trois ministres des affaires étrangères d’Allemagne, de France et de Pologne) de la nuit du 21 février 2014 qui assurait, non pas une “transition du pouvoir” mais une accélération du processus vers une nouvelle élection présidentielle, entre ces trois ministres (l’UE) d’une part, et d’autre part Ianoukovitch et l’opposition ukrainienne. A ce moment, il n’était pas question que Ianoukovitch quittât le pays puisqu’il restait, selon sa propre signature de l’accord, président en fonction jusqu’à de nouvelles élections en décembre 2014. A ce moment encore, les USA ne soutenaient guère cet accord puisqu’ils avaient d’autres projets en tête ... Effectivement, l’accord fut prestement transformé en chiffon de papier par les réactions des manifestations du Maidan, entièrement contrôlées par les troupes des ultra-nationalistes/néonazis (Pravy Sektor et le reste), et sans guère de doute des supplétifs étrangers, le tout sous contrôle tactique et financier des USA et de divers autres acteurs comme George Soros (voir l’aveu de Soros à cet égard le 27 mai 2014). C’est alors, avec l’accord-UE transformé en chiffon de papier et le pouvoir assuré de facto par la rue contrôlée par les extrémistes et leurs soutiens divers, qu’eut lieu cet “accord” dont parle Obama, qui revient évidemment à une prise de pouvoir par la force. A ce moment, Ianoukovitch, qui était menacé d’être liquidé physiquement, quitta Kiev puis l’Ukraine pour la Russie.
(Par contre, un aspect très particulier et très surprenant de la déclaration d’Obama, qui pourrait se révéler aller peut-être plus loin que ce qui concerne le “coup d’État” de Kiev, c’est l’affirmation selon laquelle avant cet événement Moscou ne se doutait absolument de rien, – “non pas selon un projet de grande stratégie mais parce qu’il [Poutine] avait été pris de cours...”. C’est une étrange déclaration du point de vue de la narrative, parce qu’elle met en cause non plus des circonstances, mais le fondement de l’actuel jugement US sur le comportement de la Russie, accusée de poursuivre des projets d’expansionnisme échevelée au moins depuis la guerre contre la Géorgie de 2008. Comment concilier cette accusation de la narrative anti-poutinienne avec le comportement que décrit Obama d’un complet détachement des Russes, qui n’ont pourtant jamais manqué de sources de renseignement en Ukraine, par rapport au déroulement des événements en Ukraine jusqu’à la prise de pouvoir de février 2014 ? ... Il est vrai qu’on ne peut être assuré du jeu qu’Obama joue lui-même par rapport, non seulement à Poutine, mais à divers centres de pouvoir US, dont certains ont mené des actions subversives en Ukraine de leur propre initiative et sans en informer le président. Autrement dit, cet aspect-là de la remarque d’Obama laisse ouverte une autre perspective dans l’imbroglio des positions des uns et des autres par rapport aux événements d’Ukraine.)
Nous ne revenons pas sur les circonstances qui menèrent à ces événements des 21-22 février 2014, où l’UE assure une responsabilité opérationnelle totale avec son attitude lors des négociations des 18-19 novembre 2013 avec Ianoukovitch. Robert Bridge s’en charge dans Russia Today le 1er février 2015. (Bien entendu, si des stations et des sites russes mettent en évidence la remarque d’Obama, la presse-Système reste pour l’instant muette sur ce propos... Peut-être même ne l’a-t-elle pas remarqué, tant la façon qu’emploie Obama pour le dire implique une sorte de légitimité quasi-divine des USA d’intervenir dans les affaires d’un pays théoriquement souverain. Cette “légitimité quasi-divine” dispense de toute question oiseuse..) A la fin du rappel qu’il fait, Bridge termine par ces considérations sur le propos d’Obama :
«Instead of challenging Obama on the question as to whether US-NATO policies in Eastern Europe – which, aside from moving inexorably eastward to Russia’s border, also excludes Russian participation in the US missile defense shield – have in some substantial way contributed to the deterioration of relations between Russia and the US, Zakaria merely dangles the “Russian aggressor” carrot before Obama, who of course blames the whole mess on Putin, while admitting to something incredible, yet entirely believable.
»Obama told CNN's Zakaria that Washington “had brokered a deal to transition power in Ukraine" following on the heels of the deadly “protests on Maidan and Yanukovich then fleeing.” While Nuland’s colorful conversation one year ago told us everything we needed to know about Ukraine’s so-called democratic transition, it’s a completely different thing when the “deal” is admitted to by none other than the American president.
»Washington power brokers, desensitized to the concept of brokering political “deals” due to their so-called democratic work in faraway war zones like Afghanistan, Iraq and Libya, are now employing the strategy inside of sovereign states that are experiencing internal discord. The real tragedy of such a scenario is not that it is happening, but that the United States, and the Ukrainian people, it seems, believes that such a foreign invasion of pure opportunists on their territory constitutes democracy or will somehow lead to democracy.»
Bridge omet de signaler la plus importante intervention d’une personnalité US quasi-officielle dans le sens de la déconstruction de la narrative US, que nous avons présentée, développée et commentée à plusieurs reprises : celle du directeur de Stratfor, George Friedman, dans son interview à Kommersant de décembre 2014, où Friedman, lui, ne mâche pas ses mots à-la-Obama, –
«La Russie définit l’événement qui a eu lieu au début de cette année [en février 2014] comme un coup d’État organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire», etc. (Voir successivement le 22 décembre 2014, le 21 janvier 2014, le 22 janvier 2015 [entièreté de l’interview de Kommersant présenté par nous en traduction française], le même 22 janvier 2015, comme commentaire de l’interview complet.)
Reste à considérer les causes possibles de ces divers “aveux”, sans pour autant écarter la possibilité que d’autres éléments éventuellement à venir forcent à modifier le jugement. Concernant Friedman, nous écrivions le 22 janvier 2015 :
«Pour Friedman, il s’agit d’habiller le fait que les USA n’ont rien vu venir précisément en Ukraine, où la crise a été déclenchée par l’intransigeance de l’UE en novembre 2013. Néanmoins, les USA subventionnaient toutes les initiatives de subversion avec des acteurs divers proclamant la nécessité d’un changement de régime (Nuland, ONG diverses, etc.), – comme ils font d’ailleurs dans tous les pays d’une certaine importance, d’une façon ou l’autre, nous dirions en mode quasiment automatisé. Ensuite, l’enchaînement des événements a évidemment suscité les habituelles réactions des différents acteurs US et Système en place (CIA, neocons, pseudo-ONG, Soros & Cie), et la poussée de déstabilisation passant par le putsch de février 2014 Maidan-CIA qui liquida en 12 heures l’accord signé entre tous les partenaires politiques ukrainiens et les trois ministres des affaires étrangères européens (France, Allemagne, Pologne). Il n’y a dans ces circonstance aucune manœuvre, aucune pensée fût-elle géopolitique, mais simplement la poussée continuelle de la surpuissance produisant désordre, illégalité, déstabilisation, tout cela criblé des complots divers des acteurs du spectacle.
»Le travail de Friedman est, au contraire, de fournir le sur-mesure qui, après coup, donnera du sens à tout cela, de façon à habiller la politique des USA (politique-Système) d’une cohérence qui justifie effectivement d’identifier la chose comme une “politique étrangère”. Cette démarche renvoie aux habituels habillages pseudo-intellectuels construits après-coup pour continuer à donner une apparence de sérieux, de réalisme et de cynisme impérial, à un extraordinaire désordre de conception et d’action...»
Dans le cas d’Obama, qui relaie et poursuit Friedman en habillant l’“aveu” du manteau des principes faussaires de l’américanisme, notre interprétation est qu’il s’agit quasiment d’une démarche visant à satisfaire l’hybris de l’exceptionnalisme US. Ce que nous dit finalement Obama, en mesurant ses mots pour pouvoir retraiter s’il y avait une insistance trop grande sur cette observation de la part d’un chicaneur irresponsable de la presse-Système (hypothèse pour la chronique des occasions écartées, parce que pour ce qu’il faut en attendre...), c’est simplement que les USA, avec l’ivresse de leur exceptionnalisme, ont toute la légitimité du monde d’intervenir où bon leur semble et de la façon qu’ils jugent appropriée. La remarque d’Obama faite “en passant”, qui ne soulève aucun intérêt particulier chez l’intervieweur tant c’est l’évidence même, relève de la transcendance même qui nimbe, selon leurs psychologies complètement enfiévrées, toute la politique nihiliste et tous les actes de désordre des USA. Friedman, bien plus brutalement et ouvertement, ne disait pas autre chose.
Les USA, leur président en tête, sont enfermés, verrouillés, absolument détachés de toutes les vérités du monde dans la bulle hermétique que constitue leur foi absolue dans leur exceptionnalisme. Nous avons affaire à l’expression d’une religion, et nul ne s’étonnera que l’on qualifie cette religion de “fondamentaliste”, – bien plus qu’aucune autre, certes. Il s’agit de la foi assurée, certaine, tranquille, exprimée sur un ton mesuré ou cynique (selon qu’il s’agit d’Obama ou de Friedman), qui se pare de l’objectivité et de la raison. Cette foi dépasse les USA eux-mêmes, même si elle s’attache à en chanter la gloire ; elle est devenue la traduction directe (politique-Système) de la surpuissance du Système dont tous ces acteurs et toutes ces entités suivent sans le moindre doute ni la moindre conscience de la chose les consignes impératives et nécessairement peintes des couleurs de la vertu.
Mis en ligne le 2 février 2015 à 10H23 à 10H34
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