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401911 avril 2018 – Tout le monde sent bien que nous traversons un moment délicat. Nous en avons traversé déjà beaucoup, de ces moments-là, mais chaque fois le “délicat” est “de plus en plus délicat”, sans qu’il y ait tactiquement sinon stratégiquement un enjeu décisivement majeur, – nous voulons dire, plus “majeur” que dans le “moment délicat” d’avant ; sans qu’il y ait plus de forces en déploiement menaçant ; sans qu’un acte plus irrémédiable que celui d’auparavant ait été commis, – ou pour être plus précis, sans qu’un “simulacre plus irrémédiable” ait été “monté”. C’est qu’il s’agit de communication, d’exacerbation de la psychologie, de paroxysme du simulacre, d’usure de la patience dans l’art de supporter l’infamie, le montage, la démence maquillée en hystérie. C’est tout nous, quoi, au bloc-BAO de l’Asile du Monde.
Par conséquent, le “moment délicat” que nous traversons avec la crise syrienne est encore plus “délicat” que le précédent. Il a pour effet de nous rapprocher encore plus de la crise finale, c’est-à-dire de rien moins que de risquer de nous sortir du simulacre habituel mais “de plus en plus délicat” pour nous précipiter dans une terrible, une terrifiante vérité-de-situation.
Les Russes, qu’ils le veuillent ou non, se trouvent au centre de cette terrible tragédie-bouffe où l’aspect tragique brusquement occupe l’essentiel de la scène. C’est normal, même si cela se passe en Syrie, parce que les Russes sont les seuls à avoir à la fois une conscience forte de la vérité-de-situation avec une puissance militaire respectable, et la conscience que l’action du Système (que ce soit les USA ou le bloc-BAO) est en bout de sa course de surpuissance, en train de basculer dans l’autodestruction, prêt à des actes éventuellement terribles pour empêcher ce basculement.
On comprend dans ce cas que le court texte du Saker-US « En écoutant les experts russes – une analyse rapide sur l’état d’esprit à la TV russe, aux heures de grande écoute » (“Listening to Russian experts”) nous ait très fortement intéressés. Il s’agit d’un compte-rendu qui entend rendre compte du sentiment général de ces “experts“ russes qui ne sont pas des officiers ou des employés du gouvernement, donc qui ne sont pas tenus à certaines réserves mais qui disposent pourtant d’informations et d’une idée claire de “la ligne officielle”. Les “experts” dont parle le Saker-US représentent plutôt le “public” concerné et ils expriment le sentiment du public, peut-on penser, à propos de “ce qu’il faut faire à propos des USA” (“what to do about the USA”, selon un choix et un agencement des mots qui ferait penser à un médecin parlant d’un patient souffrant d’une forte pathologie de la psychologie).
Voici donc notre adaptation, en français, de ce texte paru le 8 avril 2018, sur le site du Saker-US.
« Je viens de passer environ 2 heures à écouter un débat télévisé d'experts russes sur ce qu'il faut faire à propos des États-Unis. Voici quelques points intéressants.
» 1) Ils se sont tous accordés sur le fait que [“les USA” ou “les pays occidentaux”] ne feront qu’intensifier leur hostilité et que le seul moyen d’y mettre un terme est d’amener délibérément le monde au point où une guerre américano-russe à grande échelle deviendrait imminente ou même commencerait dans un affrontement local. Ils s’accordent pour juger fondamentalement erroné que la Russie réponde seulement par de la communication verbale aux actions occidentales.
» 2) Fait intéressant, il y avait aussi un consensus sur le fait que même une attaque américaine à grande échelle contre la Syrie aujourd’hui serait trop tardive pour modifier la situation sur le terrain, qu’il est trop tard pour cela.
» 3) Une autre conclusion intéressante est que la seule véritable question où il n’y a pas eu de consensus portait sur le choix à faire par la Russie : retarder cette crise maximale ou accélérer les événements et faire en sorte que tout se passe le plus vite possible.
» 4) Il y a un consensus sur le fait que plaider, raisonner, demander l'équité ou la justice, ou même le bon sens, est complètement futile. Le point de vue est simple : l'Occident est dirigé par une bande de voyous soutenus par des médias hypocritement mensongers tandis que le grand public occidental est désespérément zombifié. L'autorité des soi-disant “valeurs occidentales” (la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, etc.) est perçue en Russie comme complètement discréditée.
» 5) Il y a également un large consensus sur le fait que les élites américaines ne prennent pas la Russie au sérieux et que les efforts diplomatiques actuels de la Russie sont futiles (en particulier envers le Royaume-Uni). La seule façon de changer cela serait de prendre des mesures très dures, y compris diplomatiques et militaires. Tout le monde est tombé d’accord sur le fait que discuter aujourd’hui avec un Boris Johnson ne serait pas seulement une perte de temps totale, mais une énorme erreur.
» 6) À mon grand étonnement, l'idée que la Russie pourrait devoir couler quelques navires de l’US Navy ou tirer quelques cruise missiles Kalibr sur les forces américaines au Moyen-Orient est considérée comme une option réelle, peut-être inévitable. Vraiment, personne ne s'y est opposé.
» Tirez vos propres conclusions. Je précise simplement qu’aucun des “experts” ne représentait ou ne travaillait pour le gouvernement russe. Les experts gouvernementaux ont non seulement de meilleures informations, mais ils savent aussi que la vie de millions de personnes dépend de leurs décisions, ce qui n'est pas le cas pour les soi-disant “experts” cités ici. Par contre, les avis de ces experts reflètent, je pense, un consensus populaire croissant. »
Ces points de vue se retrouvent dans des analyses individuelles de divers analystes, russes ou proches de la communauté russe par des liens culturels, religieux ou ethniques. On en trouve un exemple dans ce texte du Serbe Damian Martinovitch, le 10 avril 2018 dans Russia Insider, dont le titre s’adresse directement à Poutine : « Un moment de décision pour Poutine : se dresser face à l’Empire du Chaos USA/Israël ou plier ? » Martinovitch recommande une véritable mobilisation de la Russie, avec une diplomatie et une économie de totale rupture avec le bloc-BAO, et une politique de subversion totale semblable à celle que les USA conduisent contre la Russie : aide militaire aux talibans, accord militaire avec l’Iran et fourniture massive d’armes avancées à cette puissance, soutien actif et d’armement au Hezbollah et aux séparatistes du Donbass, etc.
Pendant ce temps, de Moscou, John Helmer nous annonce le 9 avril 2018 que les travaux pour la mise en place d’un nouveau cabinet pour la nouvelle présidence Poutine avancent, avec le probable remplacement de Medvedev par Sergei Sobianine, l’actuel maire de Moscou et ancien chef de cabinet de Poutine. Mais surtout, Helmer présente ce nouveau cabinet, qui sera installé le 6 mai, comme un “cabinet de guerre” (Stavka en russe) : « Le nouveau cabinet sera un “cabinet de guerre”. En russe, une Stavka. Pour les étrangers, le nouveau cabinet de guerre de Poutine ressemblera à la Stavka mise en place par Joseph Staline après le lancement de l’invasion allemande du 21 juin 1941. »
Helmer résume ainsi la démarche de la direction russe, dont il note qu’elle s’est engagée à cesser les luttes et concurrences de fractions internes pour accepter l’orientation d’union nationale : « Puisque l’État de Droit a été détruit à Salisbury, à Londres et à La Haye, et que la loi de la fraude a été instituée à Washington, cela ne laisse que la loi de la force pour évoluer dans le monde. La Stavka s’est réunie à Moscou ce Vendredi Saint [Pâques orthodoxe] et elle est prête. Le ministère des affaires étrangères a parlé dimanche des “plus graves conséquences”. Cela signifie que si un soldat américain titre sur un soldat russe, alors nous sommes en guerre. Pas une guerre de l’information, pas une cyberguerre, pas une guerre économique, pas une “guerre par procuration“, mais une guerre mondiale. »
Il existe donc une convergence presque complète dans la direction et les milieux stratégiques russes dans l’évaluation de la menace, selon l’idée que l’élection de Poutine du 18 mars a ouvert une phase nouvelle, – sans doute la dernière, par définition, – de l’hostilité du bloc-BAO, des USA, c’est-à-dire et c’est essentiel à dire, essentiellement l’hostilité du Système à l’encontre de la Russie.
... C’est “essentiel à dire” parce qu’il ne fait aucun doute à nos yeux qu’il importe de revenir à l’essence même de notre époque qui est l’affrontement avec le Système. Tous les protagonistes ne peuvent être appréciés, leurs positions mesurées et comprises, leurs objectifs appréhendés qu’en fonction de cette idée de l’affrontement avec le Système, voulu par le Système, pour ou contre le Système. Toute autre analyse ne peut être qu’accessoire.
Cette lumière générale étant faite, il est temps de répondre à l’invitation du Saker-US, à la fin de son texte où il a présenté les idées essentielles de ce que l’on pourrait nommer la “communauté des experts” russes non dépendants de la ligne officielle, mais bien représentatifs de l’opinion publique : « Tirez vos propres conclusions. » La première qui s’impose répond à l’évaluation que donne John Helmer de l’évolution structurelle du gouvernement russe : la guerre totale est ouverte. Cela ne signifie pas que les avis des “experts” disons indépendants sont celles du gouvernement, qui doit faire face à des responsabilités bien différentes ; cela signifie que l’état de l’esprit est bien similaire, même si un homme comme Poutine, centriste et ardent partisan de la coopération internationale, doit secrètement le regretter. Mais en l’occurrence, Poutine, malgré sa popularité et ses pouvoirs, est lui aussi soumis à ce courant de fond et il ne peut plus désormais s’y soustraire.
Par conséquent, on est fondé à faire certaines observations des constats que nous rapporte le Saker-US dans son texte. Nous allons tenter de donner une interprétation de ces constats en les regroupant selon plusieurs courants complémentaires, dans divers domaines et diverses circonstances.
• Il y a d’abord un puissant courant, sinon un courant irrésistible de rupture, s’exprimant d’abord au niveau de la diplomatie et de la communication. Ce courant exprime l’avis catégorique qu’il n’y a plus rien à attendre de contacts divers, au niveau de la communication en général, avec les directions du bloc-BAO ; et non seulement il n’y a plus rien à attendre, mais plus encore, de tels contacts seraient contre-productifs et dangereux en faisant croire à l’“adversaire”-BAO (et non plus au “partenaire”, mot désormais honni) à une possibilité de faiblesse, voire de capitulation de la Russie. « [D]iscuter aujourd’hui avec un Boris Johnson ne serait pas seulement une perte de temps totale, mais une énorme erreur. »
• Cette volonté de rupture s’appuie sur une appréciation méprisante et totalement hostile de l’“adversaire”, c’est-à-dire ce que nous nommons le bloc-BAO ; que ce soit les directions politiques jugées comme absolument corrompues par des psychologies relevant du crime organisé ; que ce soit la presseSystème évidemment appréhendée comme une productrice absolument hystérique de simulacres ; que ce soit les opinions publiques appréciées comme “zombifiées” du point de vue de leur connaissance des choses, de leurs jugements, et éventuellement de leurs psychologies. Ces jugements entraînent l’observation implicite d’une perception selon laquelle l’entièreté du bloc-BAO évolue sous l’empire du Système, c’est-à-dire, selon notre interprétation, sous l’empire du Mal. Il n’est pas assuré que ce jugement catégorique, même s’il se comprend d’un point de vue russe, soit complètement fondé : aucune part d’importance n’est faite au facteur du désordre, y compris du désordre psychologique, qui est selon nous un point absolument capital. Pour autant, cette divergence n’a qu’une importance mineure, dans la mesure où le rôle de la Russie dans cette phase colossale de la Crise Finale d’Effondrement du Système n’est pas tant de comprendre que de résister, et il n’est de résistance plus forte que celle qui affronte un ennemi perçu comme si complètement maléfique.
• Une importance capitale est désormais allouée à la force, et à la force militaire s’il le faut, – et il semble que des circonstances pressantes qui s’accumulent font craindre qu’il le faudra. Ce qui est remarquable, de l’aveu même du Saker-US, c’est une conviction extrêmement partagée que la seule possibilité de mettre un terme à l’affrontement actuel, c’est de l’amener à son état d’incandescence, c’est-à-dire au bord du conflit mondial, ou bien dans les premiers accrochages d’un conflit local engageant un conflit mondial entre Russes et Américains ; l’on va même jusqu’à l’hypothèse d’infliger des pertes significatives aux USA, pour leur “faire prendre la Russie au sérieux” et les conduire effectivement à un peu plus de sagesse. Il y a dans ces conceptions des attitudes que nous avons déjà évoquées, notamment lors de la crise ukrainienne, lorsqu’elle atteignit un paroxysme qui fit craindre un affrontement direct entre la Russie et le bloc-BAO. Nous écrivions ainsi le 4 mars 2014, quoique tout de même un ton plus bas que les experts signalés par le Saker-US mais tout de même sur un ton qui montre que la séquence actuelle débutait dans les circonstances de cette crise ukrainienne...
« Cela nous ramène aux hypothèses maximalistes évoquées plus haut, qui nous semblent plus que jamais les plus crédibles. La résolution de la Russie est pour nous un facteur fondamental sinon le facteur fondamental dont tout dépend, comme il était déjà évoqué dans notre texte du 3 mars 2014, concernant ce que nous désignions comme “les méditations de Poutine”. C’est l’idée, d’ailleurs suggérée par Trenine, que la Russie en a assez du bloc BAO et de ses folies irresponsables, et ne le considère plus comme un interlocuteur fiable mais comme une nuisance qu'il faut placer devant ses responsabilités.
» On voit que même l’hypothèse catastrophique d’un affrontement nucléaire est évoquée par Saker (“...ending up in a war against Russia, possibly a nuclear one”). Les conditions stratégiques et psychologiques existent d’ores et déjà pour cela, avec l’incompréhension, les appréciations méprisantes, les déséquilibres divers, les illusions sur les forces disponibles, la présence de nombreuses forces incontrôlées et même autonomes poursuivant un but de désordre, l’absence de légitimité et d’autorité, tout cela ici et/ou là selon les situations, etc.
» Mais nous insistons dans le même texte sur l’hypothèse d’un “choc psychologique” de la possibilité d’un affrontement nucléaire, qui pourrait déclencher une brutale dynamique déstabilisatrice du Système, entraînant à son tour une accélération exponentielle du processus d’effondrement modifiant radicalement la situation du monde, – et, par conséquent, les conditions de l’affrontement, y compris la perspective catastrophique du nucléaire qui serait ainsi écartée par des événements extraordinaires. Dans les textes divers cités, on distingue également la question de la fragilité du système financier à cet égard, dont on voit déjà les premiers signes avec les fluctuations des bourses depuis l’aggravation de la situation ukrainienne ; on imagine ce qui pourrait se passer de ce côté si, par exemple, au terme d’une ou deux semaines de tension en augmentation comme nous connaissons actuellement, Poutine annonçait qu'il met les forces nucléaires stratégiques russes en alerte (c’est peut-être déjà fait mais ce qui compte dans cette sorte de situation, c’est bien entendu ce qu’on nomme l’“effet d’annonce”). »
Ce qui est en effet remarquable chez ces divers “sentiments d’experts” tels que nous les rapporte le Saker-US, c’est l’absence de référence aux risques fondamentaux d’un affrontement, et notamment le risque de la guerre nucléaire. On croirait que, pour eux, l’enjeu n’est pas tant d’affirmer la puissance russe ou toute autre sorte considération de cette sorte jusqu’à la considération finale du risque nucléaqire, que de faire sortir de son espère de simulacre hypnotique les USA/le bloc-BAO, si nécessaire en coulant deux ou trois corvettes de l’US Navy.
Il y a, dans cette conception face à l’énigme du Système et de l’américanisme, autant de logique de l’extrême que de risque de l’extrême. A la question “qu’est-ce qui peut provoquer une guerre nucléaire, sinon un engagement guerrier menaçant de mener à une guerre nucléaire ?”, répond la question “qu’est-ce qui peut provoquer la peur de provoquer une guerre nucléaire, sinon un engagement guerrier menaçant de mener à une guerre nucléaire ?”.
On proposera comme conclusion l’hypothèse que l’élection de Poutine du 18 mars, avec les effets extérieurs qu’elle a engendrés, a fixé peut-être décisivement l’affirmation russe de la résistance, la mesure de sa résolution : on verra ce qu’il en est demain en Syrie, ou bien après-demain en Ukraine par exemple. Si elle n’a pas résolu ce que nous nommerons décidément “l’énigme du Système”(qui se manifeste dans le comportement US), la Russie tend à nous signifier qu’elle ne veut plus reculer devant cette énigme selon le simple argument qu’il s’agit d’une énigme ; à l’énigme elle-même de se découvrir pour ce qu’elle est, éventuellement en s’effondrant en fumée ou en poussière, ce qui serait élégant et bienvenu.
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