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2361Inutile de présenter Robert Parry, donc, puisque tous nous connaissons ses qualités ... Son dernier texte sur ConsortiumNews, « Will US Grasp Putin’s Syria Lifeline? », du 23 septembre, nous permet de disposer d’un historique extrêmement convaincant, et assuré autant des meilleures sources que d’un jugement sûr (c’est le cas de Parry), de la crise syrienne et de la création de Daesh, en connexion directe avec la crise irakienne depuis le chapitre de mars 2003 et la catastrophe qui s’est abattu sur ce pays avec l’attaque US, – véritablement, “mère naturelle, putative, biologique et officielle de toutes les conneries” produites par le Système, la civilisation de l’Ouest, le bloc BAO, tout cela confondu en un seul artefact de destruction du monde où la bêtise des acteurs-Système étouffés par le déterminisme-narrativiste ne le cède à aucune autre vertu de la postmodernité. Rarement, un texte aussi bien documenté aura montré aussi clairement le filiation entre mars-2003 et les évènements qui défilent, depuis le printemps 2011 en Syrie, depuis l’été 2014 avec Daesh. Or, mars-2003 était l’événement le plus faussement planifié et le plus complètement bâti sur une narrative qu’on avait pu imaginer jusqu’alors (depuis, on a fait mieux, beaucoup mieux), si bien qu’on en ferait l’archétype originel (“mère naturelle, putative, biologique..”, etc.) du désordre-Système et producteurs à mesure de tous les désordres qui nous affectent présentement. Les sottises marquèrent toutes les étapes de l’installation américaniste, dans une mesure prodigieuse, à commencer par la dissolution de l’armée irakienne et de toutes les structures administratives et du parti-Baas, sous prétexte que tout cela sentait à plein nez son Saddam. On reste interdits et le souffle coup, dix ans plus tard, devant un tel monument de la stupidité humaine, devant sa solidité, devant sa fécondité, devant sa résilience..
A partir de là se développa une féroce guérilla antiaméricaniste et éventuellement anti-chiite puisque Saddam et la minorité sunnite menaient le pays avant l’arrivée de la civilisation. Pour stopper cette terrible hémorragie qui menaçait de transformer la victoire-Mission Accomplished en une formidable défaite, Washington D.C. sortit l’arme suprême, absolue, l'arme de l'héroïsme postmoderne : du fric, encore du fric, toujours du fric. On acheta donc l’ennemi, une première fois en 2006, une seconde fois en 2007, – et c’est cela qu’on désigne comme “la plus puissante armée que l’histoire ait connue”. Cette manne de fric, qui arrivait en Irak à bord des gros C-17 de l’USAF par palettes et par tonnes de papier-monnaie imprimé par la Fed, il fallait bien que les récipiendaires, outre de foutre une culottée à l’armée US, en trouvassent l’usage. C’est ainsi, nous rappelle Parry, que naquit à l’origine, via Al Qaïda in Irak (AQI), ce qui allait devenir ISIS, puis ISI, puis IS (ou EI en français-hollandesque), alias notre-Daesh actuel. (Pendant ce temps-là, bien entendu, le fric continuait à affluer, puisque la tactique est si bonne, les héroïques monarchies pétrolières agissant au nom d’Allah entrant dans la danse.) Dans ce cas, l’Irak étant où elle est et la Syrie où elle se trouve, Bachar étant aussi détestable que Saddam du point de vue de la théologie courante, la suite était écrite. Parry rappelle que dès le “printemps arabe” de la Syrie (printemps 2011), des agitateurs venus de ces groupes richement dotés faisaient leur travail de provocateurs en tirant sur la police et sur l’armée syriennes ... Dans tout cela, est-il nécessaire de faire appel à la géopolitique et au Grand Jeu dont on nous rebat les oreilles depuis 15-20 ans à propos des neocons et du reste ? Nous continuons à répondre par la négative, et même plus que jamais, la bêtise régnante et ne cessant de grandir et de grossir faisant bien l’affaire, du moment que les commentateurs-Système et combien d’antiSystème se chargent d’en faire un film hollywoodien sur les complots sans nombre qui, depuis des décennies, ne cessent de réussir au profit de l’Empire. Si l’on prend l’histoire courante depuis 1945, les USA ont été sacrés “Empire-installant-son-hégémonie-sur-le-monde” à bien quatre ou cinq reprises, en 1945, en 1981, en 1989-91, en 1999, en 2003, et ainsi de suite, dans une intronisation sans cesse recommencée sur des terres déjà acquises et conquises dès l’origine.
Le texte de Parry nous rapporte tout cela, notamment depuis 2006-2007, avec ces deux services financiers successifs des autorités US arrosant de frics les divers tribus, clans, groupes, etc., en Irak du côté sunnites qui avaient constitué le parti de Saddam, pour acheter l’illusion de ne pas avoir subi la déroute du siècle ; et tout cela se métamorphosant de soi-même, sans nécessité de planificateurs, en ces groupes terroristes que l’on connaît, bientôt avec l’entrée dans le jeu et à visages découverts des “pétromonarchies” balançant entre le vertige des richesses pétrolières et la trouille incurable de leur illégitimité. (Au-dessus, certes, un peu de piment des glorieux affrontements religieux donne le sentiment de l’historique et nourrit les exégèses qui donnent tout son sérieux au désordre.)
Parry nous rappelle ces circonstances, depuis 2011 contre Assad, en nous rappelant également combien de fois cela a été analysé par les services de renseignement (les papiers de la DIA de 2012), sinon décortiqué en public par le vice-président lui-même. Il suffit, nous rappelle-t-il, d’écouter Joe Biden le 2 octobre 2014, parlant devant les élèves de la Harvard Kennedy School : “Nos alliés dans la région ont été notre plus grave problème en Syrie ... Les Saoudiens, les Émirats, que faisaient-ils ? Ils étaient si déterminés à abattre Assad et à lancer une guerre par procuration entre sunnites et chiites, alors qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont distribué des centaines de $millions, des milliers de tonnes d’armes pour quiconque voulait se battre contre Assad, et cela pouvait avoir du sens sauf que les gens qui recevaient tout ça étaient des groupes comme Al Qaïda et Al Nusra, et tous les éléments extrémistes djihadistes venus de tous les coins du monde”.
Les évènements eux-mêmes, leurs formes, leurs effets devraient pourtant nous convaincre que là où tant de monde voient une machination qui va “très vite” donner des résultats spectaculaires de conquête selon un mouvement stratégique qui devrait avoir un sens pour mériter cette identification, – là, certes, il n’y a que désordre. Aucune de ces crises soi-disant machinées par les concepteurs de l’hégémonie de l’Empire-nième version, ne débouche sur rien et impose à tous ceux que l’on croit impliqués comme les initiateurs de la chose une sorte de paralysie de la décision et une complète infécondité du jugement. Une fois déclenchées, la crise, les batailles, les souffrances, les destructions, les inepties, les intrigues, ne cessent de tourner sur elles-mêmes ... Depuis 2003, l’origine irakienne de la grande crise du Moyen-Orient, continue à être à peu près, prise avec la Syrie dans un ensemble géographique naturel dit “Syrak” par certains, le centre du tourbillon selon lequel évoluent ces crises. La liquidation d’Assad annoncé à l’automne 2011 pour la semaine prochaine, la prise de Bagdad par Daesh annoncée fin juin 2014 pour la semaine prochaine, équivalent, en signification et en dynamique, à la crise ukrainienne par exemple, qui ne cesse également de tourner sur elle-même puisqu’il s’agit bien là de la mécanique universelle de notre temps, – avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie recommencée plusieurs dizaines de fois en 2014, remplacée par la reprise des combats dans le Donbass recommencée presqu’autant de fois depuis Minsk2 et janvier 2015. Bien entendu, en observant tout cela on ne parle aucunement ni de la fin de la crise, ni du rétablissement structurel des choses, mais du désordre par lui-même, pour lui-même et rien que cela, sans réel avantage pour personne puisque tous les acteurs en subissent nécessairement des conséquences néfastes, évoluant selon la dynamique habituelle du désordre qui est tourbillonnaire (d’où notre idée de “tourbillon crisique”) et par conséquent stratégiquement nihiliste. En écrivant seulement à propos de la région du Moyen-Orient, alors que les acteurs extérieurs ne se portent pas mieux, y compris les USA jusqu’à l’effondrement du sentiment de la puissance, Alastair Crooke écrit le 18 septembre :
« Look around the region: nation-states, institutional structures, the fabric of human security are disintegrating ‘all at once; all together’. States are fractured in Iraq, Syria, Libya, Yemen, Lebanon (where there is no state) – and in Egypt, Tunisia and Algeria the state is hardly secure. Turkey is on the verge of civil war, and Saudi Arabia is increasingly internally conflicted (Arabic). It is not just Syrian refugees that are heading to Europe: the airports are bulging with the middle classes (with their second passports), as well as the destitute who stand on the beaches. It seems that the idea of migrating to Germany (if one can) has seized the imagination of families and the young, everywhere in the region, ‘all at once; all together’. Of course, Iran stands out as the exception – an island of stability, and effectiveness in its foreign statecraft; but paradoxically this seems only to heighten and throw into sharper relief, the despair of others. »
... Ci-dessous, nous mettons en ligne un extrait du long texte de Robert Parry signalé plus haut, qui porte justement sur cet aspect de l’enchaînement du désordre et des causes du désordre, de la subversion générale des structures, de l’entropisation des situations. Le passage concerne l’activité américaniste à partir de 2006-2007, lorsque l’argent, de “nerf de la guerre”, devint en Irak la seule arme encore valide pour “la plus puissante armée que le monde ait connue” réduite à un état de désarroi et de déroute tactique et psychologique... (Nous gardons le sous-titre qui ouvre ce passage comme titre de l’extrait.)
« Further complicating Official Washington’s let’s-blame-Putin Syrian narrative is the unintended role of President George W. Bush and the U.S. military in laying the groundwork for these brutal Sunni extremist movements through the invasion of Iraq last decade. After all, it was only in reaction to the U.S. military presence that “Al Qaeda in Iraq” took root in Iraqi and then Syrian territory. Not only did the ouster and execution of Sunni leader Saddam Hussein alienate the region’s Sunnis, but Bush’s desperation to avert an outright military defeat in Iraq during his second term led him to authorize the payment of billions of dollars to Sunni fighters to get them to stop shooting at American soldiers and to give Bush time to negotiate a U.S. troop withdrawal.
» Beginning in 2006, those U.S. payments to Sunni fighters to get them to suspend their resistance were central to what was then called the “Sunni Awakening.” Though the program preceded Bush’s “surge” of troops in 2007, the bought-and-paid-for truce became central to what Official Washington then hailed as the “successful surge” or “victory at last.” Besides the billions of dollars paid out in pallets of U.S. cash to Sunni insurgents, Bush’s “surge” cost the lives of another 1,000 U.S. soldiers and killed a countless number of Iraqis, many just going about their daily lives until they were blown apart by powerful American munitions. [See, for example, the “Collateral Murder” video leaked by Pvt. Bradley/Chelsea Manning]
» But what the U.S. intelligence community is only now assessing is the collateral damage caused by the bribes that the Bush administration paid to Sunni insurgents. Some of the cash appears to have become seed money for the transformation of “Al Qaeda in Iraq” into the Islamic State as Sunnis, who continued to be disenfranchised by Iraq’s Shiite-dominated government, expanded their sectarian war into Syria. Besides the Iraqi Sunnis, Syria’s secular government, with Assad and other key leaders from the Alawite branch of Shiite Islam, also was set upon by home-grown Sunni extremists and foreign jihadists, some of whom joined the Islamic State but mostly coalesced around Al Qaeda’s Nusra Front and other radical forces. Though the Islamic State had originated as “Al Qaeda in Iraq” (or AQI), it evolved into an even more bloodthirsty force and, in Syria, split off from Al Qaeda central.
» U.S. intelligence followed many of these developments in real time. According to a Defense Intelligence Agency report from August 2012, “AQI supported the Syrian opposition from the beginning, both ideologically and through the media. … AQI declared its opposition of Assad’s government because it considered it a sectarian regime targeting Sunnis.” In other words, Assad’s early complaint about “terrorists” having infiltrated the opposition had a basis in fact. Early in the disorders in 2011, there were cases of armed elements killing police and soldiers. Later, there were terrorist bombings targeting senior Syrian government officials, including a July 18, 2012 explosion – deemed a suicide bombing by government officials – that killed Syrian Defense Minister General Dawoud Rajiha and Assef Shawkat, the deputy defense minister and Assad’s brother-in-law. By then, it had become clear that Saudi Arabia, Qatar, Turkey and other Sunni-ruled countries were funneling money and other help to jihadist rebels seeking to oust Assad’s regime, which was considered a protector of Christians, Shiites, Alawites and other minorities fearing persecution if Sunni extremists prevailed.
» As the 2012 DIA report noted about Syria, “internally, events are taking a clear sectarian direction. … The salafist, the Muslim Brotherhood, and AQI are the major forces driving the insurgency in Syria. … The West, Gulf countries, and Turkey support the opposition; while Russia, China, and Iran support the regime.” The DIA analysts already understood the risks that AQI represented both to Syria and Iraq. The report included a stark warning about the expansion of AQI, which was changing into the Islamic State or what the DIA referred to as ISI. The brutal armed movement was seeing its ranks swelled by the arrival of global jihadists rallying to the black banner of Sunni militancy, intolerant of both Westerners and “heretics” from Shiite and other non-Sunni branches of Islam.
» As this movement strengthened it risked spilling back into Iraq. The DIA wrote: “This creates the ideal atmosphere for AQI to return to its old pockets in Mosul and Ramadi [in Iraq], and will provide a renewed momentum under the presumption of unifying the jihad among Sunni Iraq and Syria, and the rest of the Sunnis in the Arab world against what it considers one enemy, the dissenters [apparently a reference to Shiite and other non-Sunni forms of Islam]. ISI could also declare an Islamic State through its union with other terrorist organizations in Iraq and Syria, which will create grave danger in regards to unifying Iraq and the protection of its territory.”
» Facing this growing Sunni terrorist threat — which indeed did spill back into Iraq — the idea that the CIA or the U.S. military could effectively arm and train a “moderate” rebel force to somehow compete with the Islamists was already delusional, yet that was the “group think” among the Important People of Official Washington, simply organize a “moderate” army to oust Assad and everything would turn out just great. On Oct. 2, 2014, Vice President Joe Biden let more of the cat out of the bag when he told an audience at Harvard’s Kennedy School: “our allies in the region were our largest problem in Syria … the Saudis, the emirates, etc., what were they doing? They were so determined to take down Assad and essentially have a proxy Sunni-Shia war, what did they do? They poured hundreds of millions of dollars and tens of thousands of tons of military weapons into anyone who would fight against Assad, except the people who were being supplied were Al Nusra and Al Qaeda and the extremist elements of jihadis coming from other parts of the world.” [Quote at 53:20 of clip.]
» In other words, much of the U.S.-led anti-Islamic State coalition actually has been involved in financing and arming many of the same jihadists that the coalition is now supposedly fighting. If you take into account the lost billions of dollars that the Bush administration dumped on Sunni fighters starting in 2006, you could argue that the U.S.-led coalition bears primary responsibility for creating the problem that it is now confronting. Biden made a similar point at least in reference to the Persian Gulf states: “Now all of a sudden, I don’t want to be too facetious, but they have seen the lord. … Saudi Arabia has stopped funding. Saudi Arabia is allowing training [of anti-Islamic State fighters] on its soil … the Qataris have cut off their support for the most extreme elements of terrorist organizations, and the Turks … [are] trying to seal their border.”
» But there remain many doubts about the commitment of these Sunni governments to the cause of fighting the Islamic State and even more doubts about whether that commitment extends to Al Qaeda’s Nusra Front and other jihadist forces. Some neocons have even advocated backing Al Qaeda as the lesser evil both vis a vis the Islamic State and the Assad regime... »
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