Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
2231Un sondage n’est jamais qu’un sondage, une hirondelle ne fait pas le printemps, etc. Il n’empêche que Rasmussen, un des instituts les plus sérieux aux USA, publie le résultat d’un sondage portant sur 1.500 Américains, sur tout le territoire US, selon les critères habituels de pondération (classes d’âge, appartenance aux partis, etc.). Les résultats sont vraiment très intéressants.
S’il s’agit d’indiquer ses préférences sur l’échiquier politique, 36% de toutes les personnes sondées disent qu’ils sont pour le parti démocrate d’abord, 23% pour le mouvement populiste Tea Party ensuite, 18% pour le parti républicain enfin. 22% ne sont pas décidés. Cette deuxième place du Tea Party, à un tel pourcentage de près d’un tiers parmi ceux qui ont une opinion, est un événement d’une très grande importance.
Autre résultat significatif, qui concerne les personnes interrogées qui ne sont affiliées à aucun parti. 30% ne sont pas décidées. Pour ceux qui ont fait leur choix, le Tea Party arrive en tête avec 33%, le parti démocrate avec 25%, le parti républicain avec 12%.... Pour les sondés qui se disent républicains, 39% disent qu’ils voteraient républicains mais 33% pour le Tea Party – le reste n’est pas décidé. D’une façon générale, chez les votants qui se disent “conservateurs”, le Tea Party arrive en tête. Seule la catégorie d’âge des plus de 60 ans échappe en partie à ce bouleversement.
RAW Story, qui rapporte la nouvelle du sondage Rasmussen, le 7 décembre 2009, fait notamment ce commentaire:
«For this survey, the respondents were asked to assume that the Tea Party movement organized as a new political party. In practical terms, it is unlikely that a true third-party option would perform as well as the polling data indicates. The rules of the election process –written by Republicans and Democrats – provide substantial advantages for the two established major parties. The more conventional route in the United States is for a potential third-party force to overtake one of the existing parties.
»Nationwide, voters' disaffection with the two major parties (Republicans and Democrats) is so great that a near-majority say a new party is needed to represent their views. Democrats, however, are more satisfied with their party than Republicans, the poll asserts.
»Forty-one percent (41%) of all voters nationwide say Republicans and Democrats are so much alike that a new party is needed to represent the American people. Republicans are evenly divided on this question, while Democrats overwhelmingly disagree. However, among those not affiliated with either major party, 60% agree that a new party is needed, and only 25% disagree.»
@PAYANT Ce sondage est particulièrement impressionnant, plus pour l’état d’esprit que ce qu’il semblerait indiquer du point de vue d’une comptabilité électorale stricte. La raison principale, bien sûr, est que Tea Party n’est pas constitué en parti politique, et son avantage est ainsi renforcé par des causes techniques (la technique du système pour favoriser les partis en place), mais surtout pour des causes d’opinion générale: le fait même d’être constitué en parti politique traditionnel est, pour les citoyens US un motif de désaffection, sinon de rejet radical. D’un point de vue général, les résultats montrent un état d’esprit absolument radical de rejet de la structure et du fonctionnement du système comme système de “parti unique” à deux ailes (une aile démocrate et une aile républicaine), et que cet état d'esprit touche la partie la plus dynamique les classes d'âge (en-dessous de 60 ans) traditionnellement les moins conservatrices du point de vue de l'action politique – paradoxe partiel puisque Tea Party est considéré comme conservateur, mais par contre très activiste. (On peut ajouter à ces résultats que le fort pourcentage des indécis a de fortes chances, dans son éventuelle évolution, de favoriser Tea Party, l’appartenance à un parti restant un facteur qui milite traditionnellement contre l’indécision.)
Un point particulier très intéressant est la position du parti républicain. Dans la situation actuelle de la communication politique, le parti républicain est complètement sur l’offensive à Washington et le parti démocrate sur la défensive, et Obama ne cesse de lui faire des concessions aux républicains alors que ce pari est minoritaire, alors que ce sondage montre qu’il est non seulement minoritaire mais complètement à la dérive face à la poussée du mouvement Tea Party, qui se différencie de plus en plus de lui après avoir subi une tentative de récupération de ce même parti républicain. Aujourd’hui, seules des personnalités républicaines populistes (voir Michele Bachmann) tentent de se concilier Tea Party mais en s’éloignant d’autant du parti républicain traditionnel. Aujourd’hui, si un républicain veut profiter de la dynamique de Tea Party, il est obligé de se détacher de son parti et c’est donc Tea Party qui récupère des républicains plutôt que le contraire.
C’est donc une très puissante situation de désordre qui est ainsi décrite. Le “parti” qui ne cesse de s’affirmer (Tea Party) est pour l’instant une organisation hors-système, qui n’est pas un parti, et ce sondage a de fortes chances de le conforter pour l’instant dans cette orientation. Le parti dominant en influence à l’intérieur du système est celui qui est en cours d’effondrement dans les sondages. Le parti dominant à l’intérieur du système, qui est dominant dans le sondage, est celui qui est partout sur la défensive et en plein désarroi avec un président de son propre camp qui fait une politique contraire au programme électoral de son élection. Si ce n’est du désordre, et un désordre qui touche directement l’organisation du système…
Notre appréciation est que le mouvement Tea Party a intérêt à suivre, et suivra sans doute cette orientation gagnante, à paraître de moins en moins comme une organisation suivant des orientations politiques classables dans la nomenclature du système, et de plus en plus comme une organisation antisystème. De cette façon, il devrait commencer à mordre de façon significative sur l’électorat démocrate. A-t-il intérêt tout de même à se préparer à une reconversion en parti constitué qui figurerait le “troisième parti” que les sondés appellent de leurs vœux?
Ce serait une opération très délicate, avec le risque énorme que Tea Party devenant le Tea Party comme il y a le parti républicain et le parti démocrate soit récupéré non plus par un simple parti mais par le système en général. En plus, son organisation, ou son absence d’organisation structurelle sur le modèle d’un parti, rendrait cette opération difficile et sans doute dommageable pour sa transformation. Néanmoins il pourrait tenter de la faire très rapidement, par surprise, à la veille des élections (mid-term, de novembre 2010).
Mais sa meilleure tactique est de rester extérieur au système et d’agir comme une force de déstructuration en intervenant vis-à-vis des candidats des partis classiques, pour l’un ou pour l’autre selon ses engagements critiques du système, et aussi en suscitant chez l’électeur des votes de défiance, des refus de voter, etc., qui auraient, dans le climat actuel, un très fort effet de délégitimation des représentants du système. Tea Party pourrait avoir un tel effet qu’il susciterait, à l’intérieur des partis du système, même après l’élection de novembre 2010, des ruptures internes et des engagements inhabituels de certains élus, largement antisystèmes. On peut également envisager que des candidats des partis du système, tout en restant dans leurs partis, deviennent des candidats de facto de Tea Party à l’intérieur de leur parti (cela s’est déjà vu dans des élections partielles) et deviennent de véritables élus de Tea Party à l’intérieur des deux partis traditionnels, accentuant ainsi le désordre à l’intérieur du système.
Quoi qu’il en soit, la conclusion générale est que le mouvement Tea Party, quelles que soient ses intentions et sa philosophie, s’il en a d’une façon organisée ce qui est très douteux, est manifestement devenu une force majeure de déstructuration du système. C’est une illustration convaincante, presque statistiquement mesurée, de l’état actuel de la crise du système à l’intérieur même des structures fondamentales du système – exactement la définition d'une crise de déstructuration.
Mis en ligne le 8 décembre 2009 à 06H21