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234520 décembre 2016 – Je ne crois certainement pas que c’est le destin auquel il rêve, le Trump. Il se voit plutôt en Grand Réformateur, « America Great Again », restaurateur des valeurs traditionnelles de l’Amérique, valeurs capitalistes mais protégées par un néo-isolationnisme adapté acrobatiquement à la postmodernité qui a accouché, elle, du globalisme déchaîné jusqu’à la démence tant que je le nommerais bien “hyperglobalisme”. (Rien que dans cette dernière proposition du neo-isolationnisme face à l’hyperglobalisme, il y a une contradiction indépassable, mortelle, voire autodestructrice.) Mais on ne peut faire que ce qu’il vous est permis de faire selon le destin, et non ce que vous ambitionnez de pouvoir faire, et cela aujourd’hui plus qu’en aucune autre époque. Ainsi pourrais-je être porté à croire, selon un certain point de vue armé d’une logique qui n’est pas infondée, que Trump va devoir suivre une politique encore bien plus extrême que celle qu’il a dans l’esprit, – et je dis bien “suivre” bien plus que “conduire”, comme l’on est entraîné irrésistiblement par son destin.
Je voudrais ici poursuivre la proposition contenue dans la fin de la présentation (ce 19 décembre) du texte de Robert Parry, où il est écrit, citant Parry, que Trump viendra à la Maison-Blanche nécessairement affaibli, donc incapable « d’agir d’une façon agressive vers une détente avec la Russie ». Là-dessus vient une affirmation de dedefensa.org en contrepied, proposant le contraire, de cette façon :
« Cette conclusion vient logiquement au terme de l’analyse de Parry et, pourtant, justement parce que nous sommes dans “cette époque sans aucun précédent ni équivalent”, nous ne la partageons pas du tout, – et nous reviendrons bien entendu rapidement là-dessus. Pour nous, ce serait justement parce qu’il serait affaibli, parce qu’il serait contraint sur le plan intérieur par diverses pressions, entraves, traîtrises et ainsi de suite, que Trump devrait se montrer très agressif dans ses entreprises extérieures pour casser la politique extérieure actuelle, justement parce qu’il s’agit d’un domaine où le président a beaucoup de pouvoir dans toutes les circonstances. (Dans d’autres circonstances mais selon une logique similaire, Roosevelt en 1937 et Nixon en 1973, agirent de même, en se tournant vers la politique extérieure à cause du blocage intérieur.) En fait, nous pourrions même être conduit à nous demander si les conditions ne sont pas en train d’être réunies pour “forcer” Trump à devenir l’“American Gorbatchev” que l’on attend depuis près de trois décennies, et cela sans qu'il en soit vraiment informé lui-même... »
Ce texte du Journal-dde.crisis serait donc l’un des éléments, aussitôt mis en place, du “et nous reviendrons bien entendu rapidement là-dessus”. Quel est le principal trait du caractère de Trump ? Manifestement, son avidité de “gagnant” selon les clichés américanistes à la fois rabâchés et détestables pour mon goût se traduisant, dans la pratique de la politique et dans la situation politique où il se trouve, par des penchants qui se révèleraient objectivement comme très originaux, très intéressants et à très forte potentialité révolutionnaire (donc antiSystème) : c’est le refus des entraves qui lui sont opposées, par les us et coutumes de la politique washingtonienne, par ses voies traditionnelles, par l’observation minutieuse de ses règles, – voilà, c’est bien ça : le refus de jouer selon les règles du jeu, qui est “leur jeu” : voilà le caprice de The-Donald, l’exigence de son immense ego comme ils disent en ricanant, – le refus de “leurs règles”. Dans cette époque folle, on peut tirer le meilleur du pire si l’on tombe sur un caractère entêté et assuré de lui-même, même au plus vil des propos.
En ce sens, Trump est l’antithèse d’Obama, Obama l’élégant et l’ironique, le sûr de lui jusqu’à pratiquer “leurs” règles du jeu en croyant que son immense finesse finirait par les prendre à leur propre piège ; Obama, qui tenta pendant huit ans, et combien vainement, de retrouver un accord bipartisan à Washington qui les mettrait tous dans sa poche pour pouvoir appliquer sa politique intérieure, tandis qu’il laissait aller la politique extérieure en s’arrangeant simplement pour la contenir là où elle risquait de l’entraîner dans un nouveau conflit. Ainsi Obama s’enfonça-t-il dans le marigot sans fond de la politique intérieure dont il était de plus en plus prisonnier, en se privant de l’outil de la politique extérieure qui, s’il l’avait maîtrisée pour des initiatives audacieuses, lui aurait donné une liberté nouvelle dans l’exercice de son pouvoir. Mon intuition, à considérer ce qu’il a déjà fait, est que Trump, placé devant la même situation en infiniment pire, se saisira de toutes ses forces de la politique extérieure pour en faire un instrument révolutionnaire pour assurer une maîtrise de son pouvoir et imposer l’autorité qui va avec la fonction de président... Et, à vrai dire, peu m’importe qu’il réussisse ou non sa politique intérieure, puisque de ce point de vue je crois qu’il commencera par sa politique extérieure, comme un bulldozer, et qu’il réussira, ce qui représente pour nous une libération de nombre des contraintes du Système.
C’est comme cela qu’a procédé Gorbatchev, à côté de son action intérieure qui fut essentiellement psychologique et non-politique, avec la glasnost qui libéra la psychologie de la population (ce qu’a fait et que continue à faire Trump de son côté, avec sa campagne [y compris sa campagne post-électorale], son maniement des tweets, ses vociférations, etc.). Sur le strict plan de la situation politique de la direction de l’URSS, Gorbatchev était autant prisonnier de sa nomenklatura que Trump l’est de l’establishment ; et il s’en libéra avec une politique extérieure d’une audace inouïe, liquidant la course aux armements, la sacralité de l’armement nucléaire, le mythe de l’équilibre des forces, pulvérisant le corset terrifiant de la fausse puissance soviétique, face à la fausse puissance otanienne et américaniste. Cette étourdissante politique extérieure qui brisait les tabous avec un entrain étourdissant mit KO debout la nomenklatura soviétique, – tiens, dont Eltsine faisait solidement partie au départ de l’expérience, – libérant ainsi la situation politique intérieure... On me dira aussitôt : mais il a tout perdu, toute la puissance soviétique, précipitant l’effondrement russe, les affreuses années 1990, etc. Sans aucun doute, mais il fallait cela pour parvenir au but, qui était de pulvériser le système soviétique et se libérer de ce corset de bureaucratie et de corruption psychologique, et permettre au bout du compte, comme on le voit aujourd’hui, la résurrection de la Russie, pour aboutir à Poutine. Il fallait que Gorbatchev fasse exploser le monde soviétique dans une politique extérieure incroyable d’audace pour qu’au terme la Russie se retrouve elle-même. Aujourd’hui, l’on hait Gorbatchev en Russie, comme, depuis deux siècles, l’on hait Talleyrand en France, notamment pour sa pseudo trahison-d’Erfurt.
(Admettons sans aucun doute que Talleyrand, qui est un haut esprit en plus d’être un grand caractère, était bien plus conscient que Gorbatchev de ce qu’il faisait en cherchant à “réduire” la France devenue gigantesque de l’Empereur, pour ressusciter la France du “milieu du monde”, une France redevenue l’axe et l’essentialité de l’équilibre de l’Europe qui représentait alors l’essentiel du monde ; en “réduisant” la France pour la faire renaître selon le principe universel de la souveraineté, avec ce commentaire pour justifier son appel aux Bourbons en ayant à l’esprit qu’au Congrès de Vienne il faudrait que la France s’annonçât en annonçant avant qu’on ne l’exigeât qu’elle abandonnait toutes les conquêtes de la Révolution et de l’Empire : « La maison de Bourbon seule, pouvait noblement faire reprendre à la France les heureuses proportions indiquées par la politique et par la nature. Avec la maison de Bourbon, la France cessait d’être gigantesque pour devenir grande. Soulagée du poids de ses conquêtes, la maison de Bourbon seule pouvait la replacer au rang élevé qu’elle doit occuper dans le système social ; seule, elle pouvait détourner les vengeances que vingt ans d’excès avaient amoncelées contre elle. »)
Pour la Russie, même si les nostalgiques pleurent l’URSS d’avant cette “catastrophe géopolitique” [selon Poutine] que fut sa dislocation, cette terrible transmutation signifiait qu’“elle [la Russie] cessait d’être gigantesque pour devenir grande”. Mais certes, là s’arrête l’analogie Trump-Gorbatchev. Les USA n’ont pas un cadre nouveau, – l’Occident et les USA, – auquel se frotter puis, ayant découvert sa perversité, se l’approprier comme référence antinomique (la Russie sait ce qu’elle doit être en regardant le bloc-BAO puisqu’elle comprend qu’elle ne doit pas être tout ce qu’est le bloc-BAO). Ainsi les USA se trouveraient-ils dans une autre position que l’URSS-redevenant-Russie, et c’est bien là qu’on peut dire que Trump, s’il est amené à être ce que l’on dit dans ce texte, devra “suivre“ son destin bien plus que “conduire” ses ambitions, retrouvant à nouveau une position de faiblesse-qui-fait-la-force, cela si superbement définie par Talleyrand à nouveau, rapportant un épisode des négociations du Congrès : « ...Ses ministres parlaient dans ce sens, sans le moindre embarras. “Tout est arrangement dans les affaires politiques, me disait l’un d’eux. Naples est votre premier intérêt ; cédez sur la Saxe, et la Russie vous soutiendra pour Naples. — Vous me parlez là d’un marché, lui répondis-je, et je ne peux pas en faire. J’ai le bonheur de ne pas être si à mon aise que vous : c’est votre intérêt, votre volonté qui vous déterminent, et moi, je suis obligé de suivre des principes ; et les principes ne transigent pas.” »
(De Gaulle a fait un peu la même chose à Londres, pendant la guerre, en s’opposant politiquement bien plus aux Anglo-Saxons qu’à n’importe qui [y compris le monstre d’en face]. Dans La Passion de Churchill, John Charmley, analysant la capitulation volontaire des Britanniques devant leurs alliés US, écrivit : « A quel point le Royaume-Uni était-il “le plus faible” des trois ? Son économie était-elle vraiment plus mauvaise que celle des Soviétiques ? Jusqu’en 1944, il avait plus d’hommes sous les drapeaux que l’Amérique. Dans quelle mesure le lend-lease rendit-il le Royaume-Uni plus dépendant des Etats-Unis qu’il n’était nécessaire ? La puissance qui fournit l’effort de guerre le plus important à l’Ouest jusqu’après le débarquement de Normandie ne disposait-elle vraiment d’aucun levier ? Il se pourrait que les historiens aient pris le refus de Churchill d’agir pour de l’impuissance à agir ; ce n’est pas une erreur que ceux qui ont étudié de Gaulle commettent. Lorsque Churchill lui rapprocha en novembre 1942 son entêtement et son ingratitude vis-à-vis des alliés auxquels il devait tout, le grand Français répliqua que c’était précisément parce qu’il ne lui restait que son indépendance et son intégrité qu’il exerçait l’une et l’autre si souvent. Eden avait raison de se demander si les Britanniques n’auraient pas du s’inspirer de l’exemple de De Gaulle. »)
La fin de l’URSS, c’était une étape ; les USA sous la présidence-Trump si le président Trump devient l’“American Gorbatchev”, c’est la fin du voyage. Les USA n’ont rien, ils n’ont pas de “référent” comme l’on dit en langage d’espionnage et de contrôle policier des esprits. Leur seul ennemi, c’est eux-mêmes car ils ne peuvent pas se replier, pour ne plus être “gigantesques” et devenir “grands”, sur la souveraineté originelle d’une nation qui aurait été grande effectivement, dès l’origine, parce qu’il n’y a pas de “nation américaine” à l’origine. (C’est toute l’originalité risquée du cas, la prophétie-Lincoln avec un emploi faussaire du mot “nation” : « En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant. ») Cette impasse du retour sur la grandeur originelle conduira l’“American Gorbatchev”, si c’est bien ce chemin qu’emprunte Trump, à utiliser sa faiblesse intérieure, après avoir montré la puissance extérieure qu’il pouvait avoir en disloquant la politique déstructurante et nihiliste des actuels USA, pour allumer la mèche de la dislocation des USA qui ne serait rien d’autre, elle, que l’entraînement de l’effondrement du Système.