The Donald-Patton et Hillary, et Sanders in extremis ?

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The Donald-Patton et Hillary, et Sanders in extremis ?

On ne manque pas de clamer haut et fort que pour la première fois, plusieurs sondages donnent Hillary et Trump à quasi-égalité, ou Trump en tête au niveau national, en supposant qu’ils soient les candidats des deux principaux partis ert les deux principaux candidats. Hier matin, l’institut de statistique et de sondage Rasmussen donnait, au niveau national, 42% à Trump et 37% à Hillary. Dans ce dernier sondage, il est notable que l’électorat noir, jusqu’ici considéré comme un point fort de Clinton, apparaît comme manquant notablement d’enthousiasme pour elle puisque seulement 57% des Africains-Américains interrogés affirment qu’ils voteront pour elle, le reste s’abstenant de voter plutôt que de voter pour Trump. C’est un très fort déficit pour Clinton qui comptait sur un vote massif de cette communauté.

Auparavant, un sondage Fox.News donnait 45%-42% en faveur de Trump, cette fois avec une précision très importante, le facteur des “appréciations positives/négatives” : 37% ont une appréciation positive de Clinton, contre 39% dans le précédent sondage, tandis que 61% des personnes interrogées ont d’elle une “appréciation négative”, soit une augmentation de 3% par rapport au précédent sondage de cette sorte. Trump enregistre une évolution importante en doublant Clinton dans les appréciations positives” avec une progression remarquable : 41%, contre 31% au précédent sondage.

Un aspect du sondage Rasmussen mentionné en premier lieu est également très intéressant et mérite d’être rapporté en détails. Il concerne le degré du sentiment de sécurité que donne au public l’un ou l’autre en tant que commandant en chef des forces armées, qui est la principale attribution expressément mentionnée d’un président des États-Unis. Même si les deux candidats sont très loin de rassurer les électeurs, l’essentiel est l’évolution de leur popularité respective à cette position, avec les chiffres de 33% des personnes interrogées se sentant plus à l’aise avec Trump comme commandant en chef, contre 20% avec Hillary. Cela signifie que ce qui fut toujours considéré comme l’avantage d’Hillary, par elle-même et par ses partisans, à savoir son expérience dans un poste de direction important en matière de sécurité nationale (secrétaire d’État) contre rien pour Trump, est en train de s’éroder à une vitesse considérable...

« A new RallyPoint/Rasmussen Reports national telephone survey finds that 52% of Likely U.S. Voters would feel less safe with Clinton, the presumptive Democratic presidential nominee, as commander in chief of the U.S. armed forces. Slightly more (54%) say they'd feel less safe if Trump, the likely Republican nominee, is commander in chief instead. But 33% say they'd feel more safe with Trump in charge of the U.S. military, compared to only 20% who feel that way about Clinton. Twenty-six percent (26%) say having Clinton in charge would make no difference in their feeling of safety, but just nine percent (9%) say that about having Trump as commander in chief. »

Tout cela représente clairement la “fabrication” d’un Donald Trump capable d’avoir une sorte de “stature présidentielle”. Ainsi passerait-il  du rôle de clown-bouffon au rôle de prétendant-sérieux, et cela sans avoir à passer par l’adoubement de son parti puisqu’à cet égard Trump a fait bien peu de concessions à la direction républicaine (ce serait plutôt le contraire) et se trouve dans une position telle où il peut prétendre toujours avoir son statut d’antiSystème qui lui a permis à de nombreuses reprises de faire la différence.

Encore n’avons-nous pas abordé l’essentiel, qui est la question de la communication. Un paradoxe extraordinaire est en train de naître, qui est celui de voir la candidate-Système par excellence, en principe soutenue à fond par la presse-Système, laisser filtrer, sinon laisser voir clairement de plus en plus sa crainte d’être dominée, sinon écrasée par Trump dans cet aspect central de l’élection présidentielle. C’est le paradoxe que l’on a déjà mentionné (voir le Journal-dde.crisis du 6 mai) et qui ne cesse de s’accentuer de jour en jour. Le Washington Examiner consacre une analyse détaillée sur cette question, le 20 mai. Elle relève, disons de la “stratégie de communication”, dont Trump semble être un maître accompli... (Quoique, dans son cas, on pourrait plutôt dire “tactique de communication” comme on verra plus loin.)... Cette stratégie (tactique) s’affirme par une position de domination des médias eux-mêmes, par le rythme, par le bruit (la voix), par la présence, par l’assurance du discours, etc. (D’où le titre de l’analyse en question : « La virtuosité de Trump pour dominer les médias constitue un danger mortel pour les aspirations présidentielles d’Hillary Clinton. »)

« During one 25-minute interview on Thursday, among the few the likely Democratic nominee has granted, she was asked about Trump a dozen times. That's an average of once every two minutes, and doesn't even count the number of times Clinton mentioned the presumptive Republican nominee unprompted to make a point. This wasn't an accident, but a result of Trump's deliberate communications strategy to flood the zone. In the Republican primary, the New York businessman's ubiquitous presence on television, and social media, primarily Twitter, helped sink an experienced field of opponents. They were constantly off balance and on defense — and being forced to respond to Trump reinforced an image among GOP voters that the real estate mogul was the only candidate offering solutions to their problems.

» Clinton could face the same fate in the general election, say political strategists, Democrats among them, if she doesn't loosen up and become more accessible to the press, something she finds very difficult to do because of deep-seeded mistrust. “Recognizing that you can't compete with him, you have to step up your game and get over your antipathy to the press and find ways to become more accessible,” said Jim Manley, a Democratic operative in Washington who backs Clinton. “They have a problem in part because he is using media to great affect right now, day in day out dominating narrative.”

» Clinton joined CNN Thursday afternoon for a live interview from Park Ridge, Ill., where she was raised. The former first lady, New York senator and secretary of state under President Obama took questions. Topics included Clinton's tough primary battle with Vermont Sen. Bernie Sanders and how the Democratic primary unifies when it's over; the threat of terrorism and the disappearance of a passenger airliner that had been on its way from Paris to Egypt; and of course, Trump, particularly his aggressive charges that she enabled her husband, former President Bill Clinton's past behavior with women that some of them have described as predatory.

» Clinton used questions about Trump from CNN's Chris Cuomo as an excuse to make her own case for the White House. In the process, she zinged Trump, calling him “unqualified” for the presidency, while refusing to respond to the aggressive, personal charges he has said he will continue to level against her. The Democrat didn't sound too interested in altering a communications strategy that critics call traditional and ill equipped for the modern era. “People can judge his campaign for what it is. I'm going to run my campaign. I'm not so much running against as I am running for the kind of future I think America deserves to have,” Clinton said.

» That's a big mistake, say Republicans who closely monitored Trump's dismantling of 17 Republican candidates, at least a dozen of whom were viable, high profile contenders. “One of the lessons from the primary was that the overwhelming majority of the time, Donald Trump was shaping the contours of the debate and doing it on his terms,” said communications strategist Kevin Madden, who advised GOP nominee Mitt Romney in 2012. »

La situation actuelle est stupéfiante lorsqu’on sait qu’en décembre encore, un débat des candidats républicains aux primaires auquel Trump n’avait pas voulu participer s’ouvrait avec un Jeb Bush remarquant à la satisfaction de tous, et sous l’approbation unanime : « Ce n’est pas l’absence du bouffon qui changera grand’chose », exactement comme l’on parle d’un meuble qui a été déplacé. Jeb a été balayé en huit semaines et la haine anti-Trump de la presse-Système n’a cessé d’enfler, en même temps que la dite-presse-Système lui offrait une formidable avant-scène d’où The Donald allait pouvoir mener son offensive sans discontinuer. Il ne faut en effet pas oublier une seconde que le sentiment général de la presse-Système a toujours été encore plus anti-Trump que le sentiment du monde politicien en général, et que cette presse anti-Système n’a guère changé, qu’elle reste toujours dans cette attitude. Mais on ne peut se priver d’un tel aimant à Audimat, d’une telle tête d’affiche, lorsqu’on a des actionnaires et que l’on est comptable de leurs bénéfices.

Trump est attiré par la télévision et par toutes les voies et voix du système de la communication à peu près comme Patton était attiré par les chars. Il sait qu’il tient là l’outil qui convient à merveille à sa corpulence, à ses postures, à sa jactance, à ses certitudes, et que le caméra, ou le micro, seront invinciblement attirés par lui à un moment ou l’autre. The Donald a vraiment quelque chose de Patton, c’est-à-dire son rythme incessant, sa dialectique à la fois furieuse et apaisée par le même argument évident (“Je suis le meilleur, il n’y a pas de souci à se faire”), son art du contrepied par absence de finasserie, de ruse, de message de communication sans communicant, par l’évidence, par la simplicité même sinon le simplisme de l’affirmation impérative. (Exactement comme Patton répondant à Eisenhower stupéfait qui lui demandait sans beaucoup d’espoir s’il pourrait faire pivoter sa IIIème Armée, de l’Est vers le Nord, pour aller délivrer Bastogne, et Patton répondant : “C’est fait en deux jours”, et partant, le cœur léger, pour le faire, et le faisant finalement.) Tout comme Patton, Trump est un tacticien d’une énergie de génie plus que de génie simple, et nullement un stratège. Il sait où il va puisque la voie stratégique est tracée, il fonce, et il ne cesse d’accabler l’ennemi sans lui laisser le temps de souffler, de s’organiser...

On ne décrit pas ici un grand acte de l’esprit mais simplement un formidable usage d’un phénomène mécanique (les chars pour Patton, la communication pour Trump). La chance, ici, c’est que le carburant de Trump c’est l’antiSystème, car l’argument de son rythme c’est le mépris des hiérarchies en place, c’est-à-dire le Système, de la même façon que Patton glapissait contre la hiérarchie. Et après, dira-t-on ? Patton a terminé, relégué à la tête d’une armée-bidon de classeurs de documentation jusqu’à son accident fatal de novembre 1945, disgracié, presque oublié, parce qu’on n’avait plus besoin de lui. C’est ici que les destins divergent car, pour Trump, il ne s’agit pas d’une guerre dont le but est cette victoire dont la maîtrise et le fruit reviennent aux stratèges et aux chefs politiques des stratèges. La guerre a changé de visage, nous sommes dans une époque sans stratèges, et, encore moins, sans chefs politiques des stratèges. Imaginez un Patton sans un Eisenhower et un Marshall au-dessus de lui et sans un Roosevelt puis un Truman au-dessus d’Eisenhower-Marshall... Situation inédite, destins différents, nous n’avons fait que décrire une similitude de méthodes pour des outils différents.

En face, puisqu’il y a un “en-face” jusqu’au bout, il y a la décomposition d’Hillary Clinton. Le fond de l’affaire n’est pas que Clinton est “moins bonne” que Trump, et même si elle est excellente elle n’a rien d’un Rommel privé de forces suffisantes affrontant Patton (ce “fils de pute génial” disait affectueusement Patton de Rommel). Elle vit dans un univers différent. On peut dire peut-être qu’elle a une guerre de retard, mais encore est-ce suffisant ? Elle a un plan qui est un plan d’une carrière suprême, un programme, une méthode rationnelle, une nuée de conseillers, des stratèges à son service, des vraies, et elle applique ainsi le contraire de la méthode-Trump qui est une copie de communication de la méthode-Patton (la phrase fameuse de Patton : « Un mauvais plan aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait dans une semaine »). Il n’est nullement assuré qu’elle soit vraiment consciente du danger qui pèse sur elle, parce qu’elle se base sur une expérience qui est entièrement structurée sur la certitude qu’elle a d’être plus expérimentée, plus capable, plus qualifiée que son adversaire pour la haute fonction de présidente, et que c’est une évidence que tout le monde doit s’empresser d’accepter, et notamment le public. Elle a un certain mépris pour la presse, dont la presse-Système, et compte que la validité évidente de son programme compensera largement son rythme plus bas et sa présence moindre dans les médias, – sans réaliser que, lorsqu’elle y a accède, aux médias, c’est pour parler de Trump, encore et toujours. Le Washington Examiner rapporte également ce jugement d’un des communicants d’Hillary : « Je pense que c’est beaucoup de bruit pour rien. Avoir toute la presse, ce n’est pas nécessairement avoir une bonne presse ; cette semaine, Trump a connu probablement l’une de ses pires semaines de la campagne et à cause de cela, il est partout dans les médias. » Mais au bout de cette semaine et de “tout ce bruit pour rien”, il y a les deux sondages qu’on a vus plus haut.

Il résulte de tout cela, de tous ces calculs et de tous ces plans que son équipe ne cesse de développer qu’elle-même, Hillary, paraît de plus en plus fatiguée, impuissante, à cours de souffle, c’est-à-dire de rythme. Et elle continue à parler de Trump, toujours de Trump. Cette femme a plus d’un quart de siècle de politique derrière elle, avec ses compromissions, ses compromis du diable, les arrangements sans nombre avec les turpitudes de Bill, son goût pour l’argent et donc pour la corruption, son caractère terrible et impitoyable, avec tout son côté sombre qui lui a forgé son surnom d’“Hillary MacBeth”. Il y a chez elle une terrible fatigue psychologique que seule donne la pratique sur un si long terme de la politique dans cette époque maudite. Leur affrontement sera terrible, même s’il ne se passe pas sur le même terrain ni dans le même univers. L’emportera celui qui imposera son univers à l’autre ; Trump paraît de plus en plus comme le mieux armé parce que sa dynamique a le potentiel de dispenser chez son adversaire une véritable terreur de l’affrontement dont cet adversaire ne connaît pas vraiment la cause.

... Là-dessus dira-t-on, et puisque rien n’est jamais vraiment assuré, même les raisonnements les mieux ajustés, un troisième larron peut se glisser dans cette course. The Donald ne cesse de tweeter à l’intention de Sanders : « Run, Bernie, Run. » Il y a trois mois, on ne parlait que d’un autre candidat pseudo-républicain ou pseudo-conservateurs, pour saboter Trump. Personne, vraiment personne de ce côté ne semble prêt à risquer, sinon sa tête du moins sa carrière dans une telle gageure type-kamikaze. De l’autre côté, il y a Sanders qui continue à faire bien plus que de la figuration, et les pressions qui grandissent sur lui, dont par exemple celle de Ralph Nader qui l’exhorte à cette candidature indépendante : « A 74 ans, qu’avez-vous à perdre ? » (Actuellement et au contraire de Clinton-Trump, et d’autant plus que les sondeurs ne croient pas à sa candidature, les sondages donnent Sanders nettement et solidement vainqueur s’il était seul contre Trump.) C’est alors que nous aurions, avec ces trois larrons en foire, une campagne d’un plus grand intérêt encore puisqu’elle pourrait bien se terminer devant la Chambre des Représentants (si aucun des trois candidats n’obtenait les 270 Grands Electeurs nécessaires pour être élus), avec une rue prête à éclater d’une fureur révolutionnaire car aucun des résultats que voterait la Chambre ne satisferait la rue, car nul ne peut aujourd’hui satisfaire la rue si une prolongation institutionnelle, une “troisième mi-temps” si l’on veut, lui permet de s’exprimer...

 

Mis en ligne le 20 mai 2016 à 17H12