The Donald sort son six-coups : America First ! 

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 2070

The Donald sort son six-coups : America First ! 

On a déjà eu quelques échos du premier “grand discours” de Donald Trump en matière de politique étrangère, discours prononcé le 27 avril à l’invitation du Center for the National Interest, qui est un institut de tendance nixonienne (originellement, le “Centre” était nommé “Nixon Center”) dont les préférences politiques vont à la tendance réaliste et complète opposition avec ce que les neocons nous offrent habituellement en matière de politique de sécurité nationale (ou, plus vite dit, de “folie de sécurité nationale”). Le texte en lui-même pourrait être jugé, selon ce qu’on en a, comme fidèle à ce qu’on sait d’une manière chaotique des habitudes et pseudo-conceptions de The Donald, et comme décevant par rapport à ce que certains partisans d’une politique de rupture pouvaient en attendre. Il y a certains passages qui suggèrent des changements importants, d’autres qui prolongent sinon aggravent une politique en cours, et d’ores et déjà calamiteuse (concernant l’Iran, par exemple), mais nous serions tentés de dire, – qu’importe ? D’abord, lorsqu’on voit ce qu’il reste d’un discours électoral présentant une politique pour un mandat, dans le cours et au terme de ce mandat... (Voir Obama-2008 et ce qu’il en advint.) Ensuite, pour ce cas particulier des présidentielles-2016 aux USA particulièrement, parce que ce qui compte essentiellement, ce sont la perception, l’interprétation, la compréhension, le symbolisme même, qui accueillent l’intervention, avec toutes les conceptions et les engagements des commentateurs, c’est-à-dire le verdict du système de la communication. Enfin, parce que le véritable combat de cette époque terrible concerne moins le contenu d’une politique que la forme même de la politique, et au-delà, la bataille de l’antiSystème contre le Système... C’est sur ces derniers points surtout que l’on peut trouver une vérité-de-situation.

Un mot, ou plutôt deux, une expression déjà fameuse domine ce discours, comme d’ailleurs l’esprit de toutes les interventions parfois disparates de politique étrangère de Trump : America First (“l’Amérique d’abord”). Cette expression en apparence innocente est, aux USA, particulièrement fameuse et, du point de vue du Système, chargée de souffre et d’odeurs qualifiée de malsaines par les goûteurs autorisés. C’était le nom du grand mouvement isolationniste qui fut particulièrement actif à la fin des années 1930 et jusqu’au 7 décembre 1941, qui s’opposait à tout engagement des États-Unis dans le Seconde Guerre mondiale. Pour cela, il fut parfois assimilé à un mouvement pro-nazi, ce qui, sur le fond des choses, constitue une stupidité et une monstruosité intellectuelles largement alimentées par la détestation personnelle du président Roosevelt pour le principal inspirateur et animateur d’America First que fut le grand aviateur Charles Lindbergh.

(Une des preuves à charge contre Lindbergh fut notamment son voyage en Allemagne en 1938, à l’invitation personnelle de Herman Goering, lui-même ancien pilote, – il avait fait partie avec brio de l’escadrille du fameux “baron rouge” von Richthofen, en 1917-1918. Lindbergh y fut décoré par Goering au cours d’une visite organisée en grandes pompes. Depuis, il a été mis en évidence que Lindbergh avait accepté cette invitation en coordination avec le ministère de la Guerre US, qui voulait avoir une évaluation précise de la puissance aérienne militaire allemande. Lindbergh rapporta effectivement cette évaluation mettant en évidence que la Luftwaffe était devenue une force militaire impressionnante. Cette précision qui fait de Lindbergh un agent de renseignement en service pour son pays est rarement prise en compte sinon complètement ignorée par les commentateurs-Système de type-standard, avec inculture garantie.)

Bref, America First est, au sein du Système qui ne déteste pourtant pas de soutenir l’Ukraine avec ses bataillons néonazis, un anathème standard, d’autant qu’il ressuscite la malédiction du spectre de l’isolationnisme. Pour cette raison et en commentaire de son discours, Trump a évidemment été assimilé par certains au nazisme et “hitlérisé” dans un même souffle (« Ce slogan est surtout associé à l’aviateur Charles Lindbergh, qui passa beaucoup de temps dans les années 1930 à expliquer combien le régime nazi était merveilleux », selon Eli Lake, de Bloomberg.News, réussissant fort bien la fusion de la sottise et de l’inculture). Tout cela n’a guère d’intérêt au niveau du commentaire historique qui se caricature lui-même et s’autodétruit à mesure ; il n’empêche, le symbole reste, c’est-à-dire le plus sérieux et le véridique, qui concerne l’isolationnisme considéré plus comme état d’esprit, comme “philosophie politique” adaptée à l’époque que comme un tournant opérationnel à 180 degrés des USA.

Là, on retrouve une ligne de force de la position de Trump, l’isolationnisme étant alors transcrit en un terme plus actuel, qui est son opposition à la globalisation et au globalisme ; et l’on voit ainsi combien les termes de la polémique postmoderne (circa-années 1930, – que du moderne) sont transformées en une bataille fondamentale qui a absolument tout son sens et toute son importance. Le passage suivant du discours, notamment, est mis en exergue par Justin Raimondo, dans son article d’Antiwar.com du 29 avril, retenant surtout la position d’opposition frontale de Trump aux neocons ainsi bien situés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des serviteurs fidèles du Système et de ses conceptions de déstructuration, de dissolution et de destruction des identités :

« Out with the neocons – and in with a new foreign policy that promotes peace, prosperity, and the radical idea that we have to put American interests first. Trump was explicitly making an appeal to anti-interventionists... [...] And then there’s this: “No country has ever prospered that failed to put its own interests first. Both our friends and our enemies put their countries above ours and we, while being fair to them, must start doing the same. We will no longer surrender this country or its people to the false song of globalism. The nation-state remains the true foundation for happiness and harmony. I am skeptical of international unions that tie us up and bring America down and will never enter.” »

Cette phrase, ce passage, sont effectivement au cœur d’une actualité qui, aujourd’hui secoue le monde et constitue l’argument fondamental de tous les affrontements que suscite l’opposition du courant antiSystème au Système, et cela particulièrement en Europe : « Nous ne capitulerons plus au nom de ce pays et de ce peuple devant les chimères du globalisme. L’État-nation reste la véritable fondation du bonheur et de l’harmonie... » Du coup, effectivement, si Trump devient le candidat républicain devant un adversaire démocrate qui serait Hillary Clinton, s’il suit cette forme de pensée qui semble être la principale ligne cohérente chez lui, alors le débat des présidentielles deviendra d’un intérêt certain car il s’agira d’un débat qui ne concerne pas seulement les USA, mais bien le monde entier de cette époque entièrement crisique. Nous aurions tendance à penser qu’à côté de cela, le reste, le contenu des politiques, se trouve comme désincarné et de peu d’importance.

Le paradoxe, – mais ce n’est pas nouveau, – est alors que les notions de “droite” et de “gauche” sont non seulement dépassées, mais simplement insensées, c’est-à-dire sans le moindre sens. On voit en effet, comme conséquence de cette position centrale de Trump face à l’archi-position-Système de Clinton, nombre de domaines où Trump se trouve largement “sur la gauche” de Clinton, ou bien, ce qui va dans le même sens mais n’est pas tout à fait la même chose, où Clinton est très largement “sur la droite” de Trump. (On le sait, la logique comptable-vertueuse inspirée par le Système nous enjoint de voir en Hillary Clinton une démocrate plus “progressiste” et vertueuse que Trump et en Trump un républicain horriblement conservateur, démagogue, raciste et ainsi de suite : vertu “de gauche” contre vice “de droite”... A côté de telles conceptions lorsqu’elles sont confrontées à la réalité, Platon nous paraîtrait chronologiquement et intellectuellement un “moderne” si ce mot n’était pollué par ceux-là même qui raisonnent avec un ou deux siècles de retard, par conséquent si l’on parvenait à le débarrasser de l’inversion qui le caractérise dès son origine.)

En d’autres termes, le discours de Trump, si c’est bien celui du candidat républicain, nous donne un avant-goût d’un débat de communication, durant l’élection générale et si son adversaire est bien Clinton, qui sera d’un très puissant intérêt au contraire de ce que nous subissons en général. Il s’inscrirait alors dans la logique et dans les termes d’un nombre de plus en plus élevé de débats électoraux et, – par exemple mais exemple aussitôt à l’esprit, – pourrait préfigurer le débat français des présidentielles du printemps prochain, une élection enchaînant directement sur l’autre. C’est-à-dire que la politique US dans ses phases électorales sortirait de ce qui l’a toujours caractérisée, cet aspect provincial étrange qui fait de la première puissance du monde, durant ces périodes, une addition de petits problèmes régionaux et locaux sans rapport avec l’extérieur, saupoudrés de formules usées et abusées à force de répétition, – American Dream en premier. Au contraire, les présidentielles-2016 aux USA ont toutes les chances, à côté et en plus des possibilité de désordres, de prolongements imprévus et inattendus, etc., de développer un débat central, le débat central de notre temps, auquel personne ne peut rester indifférent. Cette fois, ce ne serait plus un débat sans intérêt pour l’extérieur de la puissance des USA pour décider de sa propre gestion pendant quatre ans mais un débat sur l’orientation de cette puissance dans un monde totalement dominé par le Système, dont cette puissance a été jusqu’ici le principal bras armé et dont on découvrirait qu’elle est devenue lasse de ce rôle marqué par cette soumission à une dynamique si totalement destructrice.

Pour illustrer cette évolution si importante dans ce qui est devenu décidément une crise de l’américanisme parfaitement identifiable et compréhensible, nous avons pensé que deux courtes interviews réalisées par RT aurait ici quelque intérêt. La première est celle de Rania Khalek, une journaliste indépendante mais dont les collaborations et les activités indiquent un net classement “à gauche” du spectre de l’antiSystème. Outre d’avoir son propre site, elle fait partie de la direction du site Electronic Intifada et collabore à Common Dreams, The Nation, Salon, etc. Khalek est clairement partisane de Bernie Sanders.

RT : « In light of Donald Trump revealing his foreign policy stance, which points are likely to be put into practice and which are likely to remain just good sound bites, if he becomes US President? »

Rania Khalek : « Donald Trump says a lot of things, he flip flops a lot, but there is one consistent message he has had throughout his campaign – a message of anti-interventionism. Trump, when it comes to foreign policy, has been repeatedly invoking these ideas that are in many ways isolationist in comparison to the way US foreign policy is right now. He has repeatedly said he is against the US meddling abroad, he is against foreign intervention, and he seeks diplomacy with countries like China, Russia, and before he did use to say Iran as well until he was attacked heavily for that. What Trump has tried to do, he has tried to straddle this kind of balance, this line between neo-conservatism, which dominates US foreign policy at the moment, and isolationism, which is much more in keeping with a kind of message he’s had throughout his campaign

» The bigger story here isn’t just what Trump said, because he has been saying these things at every Republican debate, and he has been getting a lot of backlash for it. The big story here is that, if you look at the two frontrunners in the race right now – you have Donald Trump on the Republican side and the likely nominee of the Democratic Party is going to be Hillary Clinton. We’re looking at an interesting situation, where we’re likely to go into a general election, or we’re going to see a debate between a Democrat Hillary Clinton, who is going against Donald Trump, and she is going to be to his right on foreign policy. »

RT : « Trump's foreign policy promises a drastic departure from what we have heard from Hillary Clinton. When comparing the foreign policy stances of the two, which candidate sounds like a more reasonable choice for the US and the world at large? »

Rania Khalek : « It’s very strange, because Trump is this demagogue, who has been saying really crazy, racist and bigoted things. But when it comes to foreign policy his message to the world – we don’t have a record to compare it to, because he has never been in political office before — but just based on his words and his speech… it was a much more reasonable and far less belligerent foreign policy outline than is the bipartisan consensus that exists in Washington D.C. right now.

» I would argue that also Hillary Clinton is even more belligerent than that bipartisan consensus. Clinton in many ways is a neoconservative. Clinton is somebody who is very much interested in regime change and she says this openly. She was involved in it in Libya, which was absolutely disastrous, as Trump pointed out. She also participated in the overthrow of the regime in Honduras, which is now in chaos, as well. People are fleeing violence from that country. Clinton is somebody who is very much interested in continuing these kinds of foreign policy blunders like the Iraq War. Like Libya, where, as Trumps is talking about – he spoke of less military aggression. He said our number one priority should be stability and peace. So if you are somebody in the outside world, abroad, outside of the US, especially in the Middle East or someone in Central America – seeing Trump’s message today contrasted with the kind of message that we see from someone like Clinton, there’s no question that he is the preferred candidate. »

RT : « How do you find his chances if he comes up against Hillary Clinton? »

Rania Khalek : « Because of domestic US politics he is very unlikely to win as president of the US just because of his race baiting, his language, etc. There is a large portion of the Republican Party that is opposed to Donald Trump, not because of his racism, but because he is out of step and out of line from that neo-conservative hawkish outlook that they prefer. And they are likely to be voting for Clinton instead. Liberals are certainly not going to vote for Trump. Hillary Clinton is likely going to be the next president if it is between the two of them.

» However, it is going to be interesting seeing them debate each other, because he is going to be able to say to her: “You voted for the Iraq war, I opposed it. Look what you did in Libya, I opposed that. ISIS shows up wherever you go intervening.” … He is going to be attacking her from her left. There is also the issue of trade policy in the US. I don’t think it’s going to make a difference domestically, but it certainly is going to be interesting to watch internationally. »

La seconde interview est celle de Ivan Eland, du CATO Institute. Il s’agit en général d’un institut de tendance conservatrice-libertarienne, et Eland en est le commentateur le plus sollicité. Ses positions de politique extérieure, moins marquées que celle des libertariens plus activistes (Ron Paul, Justin Raimondo), sont de type conservteur-“réaliste”.

RT : « What do you make of Trump’s statement that foreign policy under President Obama and Secretary of State Hillary Clinton was a “total disaster?” »

Ivan Eland : « I think it is a bit overstated, but I think he is onto something. He is kind of a crazy candidate, but his views are very sensible and they are in the realist school of foreign policy, which Obama has purported to be as well. But Obama sort of deviated from that in going into Libya and trying to overthrow the government there, going back into Iraq and Syria, running an illegal drone war. So I think a lot of the criticisms of Obama, although overstated, are valid. The idea that we should improve relations with Russia and China is a good one – in particularly with Russia. China is a question mark, but certainly the rise of China makes Russia and the US as they have many times in their history, their interests coincide. They also have an interest, as he pointed it out, in battling Islamic radicalism and Islamic terrorism. »

RT : « He also said that under his administration ISIS will be “gone quickly.” Do you think that’s possible without military intervention? »

Ivan Eland : « That is a bit overoptimistic, because even if they take back the cities from ISIS, it’s going to go to ground and into a guerrilla-type operation. However, I think he is onto something when he says you just can’t use military power, you have to use philosophy. And his philosophy seems to be less military intervention. A lot of these Islamist groups have local interests, and that is fine. The US shouldn’t necessarily get involved, because then that converts a local interest into an international interest by battling the US. They get volunteers; they get money for doing that. If the US had a lower profile in the Middle East, we would have less of a problem with Islamic terrorism. »

Ces deux interviews sont intéressantes parce que, comme le voit, elles s’adressent à deux commentateurs justement séparés par des identifications politiques classiques différentes, mais qui se rejoignent pour apprécier, chacun de leur point de vue, l’intérêt et l’importance politique objective de l’intervention de Trump, et pour eux deux dans un sens qui se révèle très utile dans une sorte de tentative de rétablissement de la prise en compte de la réalité. On retrouve ainsi souvent l’opinion exprimant réserves et doutes sur la personnalité de Trump, mais avec la reconnaissance que son intervention provoque des secousses importantes et des changements peut-être fondamentaux, – et bienvenus, d’une façon générale. Si Trump est un peu “clown-ou-bouffon” il est dans tous les cas “‘clown-ou-bouffon’ utile”. (Voir l’expression employée par Eland : “...I think he is onto something”, signifiant bien que, malgré tous ses défauts et ses excès, il met à jour, même sans le chercher, quelque chose d’important.)

Il n’est nullement évident que nous partagions les affirmations prospectives de l’un ou de l’autre, notamment pour ce qui est des perspectives électorales des deux candidats, notamment ce qui est implicitement perçu comme la supériorité de Clinton. Effectivement, cette supériorité tend à se réduire dans les sondages et, à notre sens, rien n’est joué à cet égard ; le débat lui-même devrait être capital, avec un hurluberlu comme The Donald, capable du pire comme du meilleur, et une personnalité si parfaitement corrompue comme l’est Clinton qui devrait se cantonner dans le rôle de la vertu offensée et sur la défensive ; les effets d’un tel débat devraient se faire sentir en déplacement des popularités et des intentions de vote selon d’autres critères que les sempiternels mots d’ordre du Système de type “valeurs sociétales” et autres, selon la tactique classique utilisée pour diviser l’opposition antiSystème naturelle.

Pour notre information et en passant, sinon pour terminer cette appréciation générale, mais non sans intérêt, il faut savoir que 86% des journalistes US qui suivent la campagne pensent que Clinton va gagner, et parmi eux tous ceux qui n’ont pas vu venir Trump, qui n’ont pas pensé une minute qu’il pourrait devenir un candidat sérieux, qui n’ont pas cru une seconde qu’il pourrait arriver en tête chez les républicains, etc. Il faut savoir également que l’un des nouveaux axes d’attaque des neocons contre Trump est que ce candidat, en plus d’être “hitlérisé” comme on l’a vu, est l’homme du Kremlin. Cela fait beaucoup pour un seul candidat et, manifestement, permet de se demander si tous ces avis et analyses ne sont pas simplement le signe que ses chances de victoire sont en train de s’accroître. Il y a des prospectives contraires et des oppositions-calomnieuses qui constituent des signes sérieux que la submersion par la bêtise et l’inversion par habitude finissent par produire des effets très inattendus.

 

Mis en ligne le 29 avril 2016 à 15H38