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3126Il y a eu un deuxième débat (dans la soirée du 16 septembre) des prétendants à la nomination du parti républicain, le GOP (Great Old Party), pour les présidentielles US de 2016. Le débat n’a rien apporté d’exceptionnellement nouveau dans les positions et les arguments, sinon qu’il a paru conforter la position largement affirmée de leader dans cette compétition du désormais célébrissime The Donald. On notera tout de même que notre ami Justin (Raimondo), qui est pour nous une référence des antiwar et des ennemis du Système aux USA, semble justement trouver de plus en plus de charme, non pas au personnage de Donald Trump qui est décidément difficile à digérer, mais dans tous les cas aux idées qu’on parvient à distinguer dans son discours. C’est un signe extrêmement significatif, compte tenu du sentiment extrêmement hostile que Raimondo portait à Trump lors de l’entrée en lice de la chose, il y a trois ou quatre mois d’ici. Dans sa chronique du 18 septembre, il note à ce propos :
« Une approche raisonnable [des affaires extérieures] et cette phrase, – “un monde beaucoup plus stable”, – ont sans nul doute rencontré les attentes les plus ardentes des téléspectateurs... Voici Trump, la soi-disant “tête brûlée”, promettant un retour à la normale ! Qui l’eut cru ? [...] Trump affirme constamment “je suis le plus militariste dans cette pièce”, et pourtant ce débat a révélé que, lorsqu’il en vient aux dossiers spécifiques, il est en fait l’un des moins militaristes. Sur la Russie, sur le Moyen-Orient, et sur la démarche de négocier avec nos soi-disant adversaires, il est à des kilomètres des Rubio-Fiorina-Cruz et du militarisme fou des Républicains classiques. Ainsi en arrivons-nous à cette situation : les deux qui mènent la course, Trump et Carson, – malgré leurs fanfaronnades occasionnelles, – sont ceux qui sont les plus aptes et les plus décidés à enterrer la politique extérieure sous influence des “neocons”. »
Le premier sondage auprès des téléspectateurs après le débat, selon le Washington Examiner, a été celui du Drudge Report qui interrogeait ses lecteurs tout au long des échanges. Le Drudge Report n’est certainement pas une source classique ni scientifique pour cette sorte de démarche, mais il reproduit évidemment le sentiment d’un lectorat extrêmement indocile, souvent extrémiste, souvent populiste ; si le site est de tendance républicaine sans le moindre doute, s’il est suivi avec attention parce qu’il draine une audience considérable, il n’est pas vraiment pro-establishement. Par conséquent, il n’est pas étonnant qu’une grande majorité de ses lecteurs donne l’avantage à Trump, mais il n’en reste pas moins que les écarts sont, vraiment, extrêmement significatifs ; et les chiffres ont du sens puisqu’ils concernent justement les électeurs républicains, ceux qui décideront du sort de Trump lors des primaires ... 61% des téléspectateurs désignent Trump comme le vainqueur du débat, ensuite 14% pour Cary Fiorina, ensuite Cruz et Rand Paul avec 6%, Ben Carson avec 5%, Rubio avec 4%, puis Jeb Bush, Christie, Huckabee, Kasich, Walker, chacun avec 1%.
Bien, tout cela n’a plus l’originalité de nous étonner, au rythme où vont les choses et à la façon dont The Donald, classé bouffon-guignol par le Système il y a quatre mois, est en train de prendre fermement en mains les rênes de la course à la désignation du GOP. La nouvelle du jour nous vient plutôt de la sémillante ambassadrice des USA aux Nations-Unies, Samantha Power. Le même Washington Insider nous signale l’analyse que fait l’ambassadrice de l’audience exceptionnelle que le débat des candidats du GOP a connu sur les canaux TV internes de l’ONU. Samantha a donc pris sa loupe et s’est lancée sur les traces des coupables pour en sortir l’argument imparable que l’Amérique est toujours la “nation indispensable” puisque tout le monde s’intéresse avec autant d’empressement à ces débats pré-présidentielles des primaires, – tout cela sans parler directement du Donald parce que c’est un sujet délicat alors que c’est justement le sujet central, sinon exclusif, de cet intérêt soudain pour les débats du GOP avant les primaires et les présidentielles...
En effet, les déclarations que fait Power (lors d’une rencontre avec la presse organisée par le Christian Science Monitor) tendent bien entendu à justifier cet intérêt sans précédent pour ces débats internes au GOP par l’argument que tout ce qui est US provoque évidemment une telle réaction ; mais elle prend garde également à ne pas justifier cet “intérêt sans précédent” par la présence de Trump. Du coup, par allusions sans trop de dissimulation, comme elle sait faire, elle laisse entendre en nous prenant par la main pour que nous n’ayons pas peur du noir que, certainement, tout ce que cette assistance nombreuse voulait voir, c’est l’apparition d’un leader “sérieux” capable de s’opposer avec succès à The Donald. L’essentiel, nous dit l’ambassadrice, est que les USA continuent à avoir un successeur du même gabarit que les présidents “sérieux” et producteur de politiques si réussies et si efficaces de ces 15-20 dernières années ; et c’est bien cela, nous explique-t-elle, qui justifie l’intérêt passionné et soudain pour les débats internes du GOP, à l’ONU même, où il paraîtrait que la quasi-unanimité des ambassadeurs, sans le moindre veto, a suivi à la TV le débat...
« “I have not done a straw poll but my guess based on the sort of feedback in the hall is that the unprecedented viewership of the first Republican debate that some significant share, some modest share of that spike came from other country's ambassadors watching the debate,” said Powers Wednesday. She said that world leaders are more interested in the GOP field than normal. While she did not mention front-runner Donald Trump, the focus of Wednesday's CNN debate, she hinted that the leaders are eager to see somebody else emerge, someone more in tune with traditional presidents.
» “In other words, I think there is more interest at this stage of the election, in some of the more colorful aspects of the primaries than there might have been in the past, um, but look, there's a deep interest in who runs America. And so I think as things winnow down, I'll probably hear more, but right now, you know, until things sort of settle, you don't hear about specific individuals and so forth. You just hope that cooler heads will prevail and that we'll continue to exercise leadership in accordance with international norms, and that we will continue to want to build multilateral coalitions and so forth,” she said at a media event hosted by the Christian Science Monitor. »
Notre première réaction devant l’insistance de l’ambassadrice US aux Nations-Unies à interpréter cette audience exceptionnelle à l’ONU pour le débat du GOP par le fait que tout le monde cherche à distinguer une personnalité capable de déboulonner Trump serait simplement de penser qu'on peut y voir au contraire le signe d'une sorte d'incantation ; disant cela, Power ne ferait rien d'autre que tenter d'exorciser la crainte extrême, confinant à la trouille panique de l’establishment, que, justement, Trump émerge comme candidat républicain. Ne peut-on imaginer en effet que si “tous les ambassadeurs” étaient devant leurs postes de télévision, c'était plutôt pour découvrir qui est exactement ce Donald dont tout le monde parle désormais, ou s'en faire une idée plus précise ? L’ambassadrice devrait songer à cette explication, qui a le mérite de faire simple alors qu’elle fait, elle, terriblement compliqué dans son interprétation...
D’habitude, cette sorte d’affaire, – l’arrivée tonitruante d’un tel outsider dans une campagne électorale, – commence comme un choc politique et se termine soit par une dissolution, soit par la bouffonnerie. Avec The Donald, le chemin suivi est jusqu’ici remarquablement inverse : l’affaire a commencé comme une bouffonnerie qui avait bien des difficultés à prendre forme, à laquelle personne n’a pris vraiment pris garde, que personne n’a vraiment prise au sérieux (“Encore The Donald qui fait des siennes !) ; et voilà désormais qu'elle prend petit à petit de la consistance. Ce n’est pas que Trump soit un génie qui se révèle, mais plutôt que la résistance du Système à cette sorte d’intrusion est de plus en plus faible ; et, dans cette faiblesse on trouve le constat que les candidats-Système qui sont là pour “assurer” la défense du Système contre toute intrusion sont d’une banalité de plus en plus consternante, nous assurant finalement d’une seule chose qui est leur incapacité totale à jouer quelque rôle que ce soit, y compris celui que leur assigne le Système.
Comme l’on voit, malgré la satisfaction béate de Samantha Power qui n’a pas nécessairement compris ce qui se passe, nous avancerions donc l’hypothèse que la cause de l’intérêt soulevé à l’ONU par le débat, somme toute encore de peu d’importance dans la course à la présidence où nous n’en sommes qu’aux prémisses, se trouve justement dans le Donald et rien d’autre... Et pourquoi pas, Samantha, ne pas développer encore plus notre hypothèse ? Là non plus, ce ne sont ni le génie ni le programme de Trump qui attirent tous ces diplomates à l'ONU, mais bien la lassitude éprouvée à l'encontre des Etats-Unis officiels, de leur establishment-Système, de leur prétention, de leur hégémonie imposée par narrative, de leur arrogance, de la stupidité de leur politique, de leur “sérieux” grotesque, et cela valant même, et même surtout pour les alliés des USA qui doivent stoïquement supporter les foucades du géant titubant, marmonnant, ivrognant, trébuchant, attaquant, s’auto-glorifiant, etc. L’intérêt pour le GOP et The Donald est à la mesure de la lassitude que le “reste du monde entier”, y compris tout ce qu’il peut y avoir d’artefact-Système affirmant hautement leur proaméricanisme, y compris naturellement aux USA même, éprouve pour la chevauchée chaotique de l’Empire au milieu de ses contradictions innombrables, à la mesure du dégoût pour le désordre épouvantable que tous ses actes sèment autour de cette chevauchée. Nous dirions même que cette lassitude et ce dégoût sont partagés par les USA à l’encontre des USA, c’est-à-dire une sorte de lassitude-dégoût du Système pour le Système dans une étrange opérationnalisation de la pulsion d’autodestruction enfantée par la dynamique de surpuissance.
Par conséquent se pose d’ores et déjà la question la plus baroque qu’on puisse imaginer : The Donald est-il une sorte de Messie, peinturluré façon-postmoderne ? On ne répondra ni par oui ni par non, bien entendu, mais on fera l’hypothèse que ce qui caractérise plus que tout ce candidat qui pour l’instant domine le lot, c’est justement qu’il n’a absolument rien pour faire un candidat. Nous parlons de sa personnalité, de sa psychologie, de son comportement, etc., – et dans ce cas, qu’importe son programme... Trump ne fait pas du tout “sérieux”, et s’il était finalement élu, ce qui est désormais possible moins à cause de ses progrès et de sa résilience qu’à cause de la folie du Système, son inauguration elle-même ressemblerait à une telle caricature de la pompe bombastique de la Grande République-pourrie-jusqu’à-la-moelle qu’on se trouverait devant une sorte d’impasse dès cet instant de son élection. Nous privilégions cette explication pour toutes les diverses boutures antiSystème, si différentes mais à finalité antiSystème consciente ou inconsciente, qui fleurissent ici et là, – Corbyn, Marine Le Pen, The Donald ... Ce n’est pas ce qu’ils pourraient faire, ce qu’ils feront, etc., qui importe, mais plus simplement le choc considérable de leur élection, le jour de cette élection, au sein d’un Système qui se trouve dans un état de tension absolument terrible... Pour ces diverses occurrences, nous parlons, nous, d’évènements antiSystème et non d’évolution idéologique. Si l’une de ces étranges créatures est élue, le jour de son élection se produira un séisme antiSystème dont nul ne peut mesurer les conséquences, qui constituera une colossale secousse tellurique. Au-delà ? C’est une terra incognita qui nous attend, déjà ravagée par avance par le séisme.
Mis en ligne le 20 septembre 2015 à 11H29
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