The United States of Terrorism

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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The United States of Terrorism

1er novembre 2015 – Je vais écrire ici sans tenir le moindre compte des faits qui sont venus après la première impression qu’il m’importe de décrire ; c’est-à-dire que je ne veux parler que de la “pensée spontanée” si l’on veut, qui révèle ce qui s’est mis dans votre esprit à force de perception, d’expérience, d’intuition, et qui s’impose à l’occasion d’un évènement. Ma démarche ne prétend en rien décrire une réflexion politique ou autre, ni polémique par exemple, sur le sujet abordé ; le sujet, lui,  n’est ainsi qu’un révélateur de ce qui forme la structure de l’esprit dans sa réaction. Il s’agit de ma réaction à partir des premières nouvelles depuis qu’on a appris qu’un avion russe avait explosé en vol au-dessus du Sinaï hier après-midi ; depuis l’affirmation par Daesh (l’État Islamique), une ou deux heures plus tard et sans aucune documentation convaincante en quoi que ce soit, qu’il était le responsable, l’auteur et le maître d’œuvre de la destruction de l’avion... J’en reste là pour l’“exposé des motifs”, comme on dit, pour passer aux réactions de l’esprit sans plus m’intéresser aux faits.

Sans aucune autre information ni spéculation, apparaît l’idée que Daesh pourrait très bien avoir voulu faire cela, y aurait pensé peut-être, bref qu’il aurait très bien pu faire son travail de terroriste, quoi qu’il en soit des faits eux-mêmes. Là-dessus, se greffe aussitôt l’autre idée, très largement substantivée, notamment par l’ancien directeur de la DIA, que Daesh est une production pratiquement labellisée Made in USA, presque autant que le sont DisneyWorld ou le JSF ; qu’ils (les USA) l’aient voulu ainsi, qu’ils n’aient pas expressément suivi de plan, qu’ils aient perdu ou pas le contrôle de la chose (Daesh), peu importe ici. Je veux simplement signaler la conclusion aussitôt venue à l’esprit : Daesh, c’est-à-dire les USA, en plein travail courant de terrorisme, qui pourrait être soupçonné d’avoir fait exploser un avion civil en vol, qui pourrait s’en étonner ? (Un commentteur impertinent disait hier quelque chose comme : “S'il est avéré que Daesh a commis un tel acte, alors la Russie pourra accuser les USA d'avoir commis un acte de guerre à son encontre”.) Ainsi cette conclusion se transforme-t-elle en ce titre qui ne fait que joindre en une conclusion évidente les différentes proposition du raisonnement : The United States of Terrorism. Dans mon esprit, et je ne suis certes pas le seul, tant s’en faut si l’on compte très-logiquement que cette conclusion est atteinte inconsciemment par nombre d’esprits qui n’osent se l’avouer à eux-mêmes, cette alchimie qui fusionne les USA et le terrorisme est faite. En un peu moins de quinze ans, depuis 9/11, le réflexe de nombre d’esprits, – encore une fois, je parle de réflexe venu de la profondeur de l’expérience et de la mémoire, sans réflexion dirigée, – le réflexe fondamental s’est développé et il est désormais que les USA sont absolument l’État-terroriste par définition, UST pour USA. (On ajoutera qu’ils n’ont pas vraiment chercher à freiner cette alchimie de la pensée des profondeurs, entre tortures, exécutions sommaires [drone], arrestations illégales, mépris total de la souveraineté, etc.)

Surtout pas de spéculation, pas de calcul, pas d’élaboration et de savants raisonnements, pas de Grand Jeu, pas de “complots” dans tout cela. Je parle de la réaction pure de la mémoire instruite par les évènements et les analyse faites à mesure, et je parle du terrorisme pur, de la méthode, de la façon d’être, et nullement de buts, de plans, de raison d’être. L’ontologie des USA, sans aucun argument de causalité et sans aucune hypothèse de finalité, est devenue ceci que cette puissance n’est rien d’autre qu’un gigantesque artefact produisant du terrorisme pour la chose elle-même, c’est-à-dire une sorte de recherche passionnée de nihilisme et de désordre dans le cadre de l’illégalité, sans autre but que cette production-là.

Quel chemin parcouru depuis 9/11, – oh boys ! Là-dessus, ce matin encore et sans aucune intention par rapport à mon sujet, pendant mon exercice sur vélo d’appartement que je fais toujours un livre dans les mains et à côté tout un matériel pour prendre des notes, un peu tremblées par le mouvement, il se trouve que je parcourais un ouvrage récemment acquis d’occasion : Le “concept” du 11 septembre – Dialogues à New York (octobre-novembre 2001), entre Jacques Derrida et Jürgen Habermas, avec Giovanna Borradori (chez Galilée). J’ai à peine commencé le livre, tout en l’ayant feuilleté comme on fait d’habitude, en très grande diagonale, saisissant une phrase ou l’autre, etc., donc je ne vous en dirai rien d’essentiel ni de détaillé. Le thème, pourtant, est dans l’exposé même du titre : la recherche de la définition du 11-septembre en tant que “concept” d’un “événement majeur”, ou la question de « Qu’est-ce donc, aujourd’hui, un “événement majeur” ? » Cela est discuté évidemment à partir de l’appréciation de 9/11 comme l’attaque fondamentale du terrorisme lancée contre les USA, et cet acte du terrorisme instituant cette activité (le terrorisme) comme un des grands phénomènes du temps, de ce XXIe siècle commençant avec l’idée que les USA en sont la première et la principale victime.

Parcourant les pages comme j’ai dit et songeant à l’événement de l’avion explosé de la veille et des spéculations que cela engendra aussitôt, puis des réactions de mémoires comme je les ai décrites, j’ai mesuré l’extraordinaire changement qui s’est opéré depuis 9/11, qui est un complet renversement de situation et de perception. L’essentiel, le “concept” qui doit nous occuper n’est plus aujourd’hui le 11-septembre ni “l’acte du terrorisme qui institue cette activité comme un des grands phénomènes du temps” ; toutes ces idées deviennent absolument secondaire sinon futiles et dérisoires, comme si tout cela n’avait jamais existé en tant que tel, de cette façon ; l’essentiel de 9/11 observé rétrospectivement, historiquement sinon métahistoriquement à la lumière des évènements que nous vivons et précisément de celui de l’avion russe, c’est la révélation aveuglante, la mise à nu sans contestation possible, l’affirmation absolument sans équivoque que les USA sont l’État-terroriste par excellence (j’allais dire “par essence”, mais “par contre-essence” conviendrait mieux). Les UST, ou United States of Terrorism, totalement nihilistes, privés absolument de la moindre capacité de réflexion et d’action structurés, donc les UST entièrement devenus cet outil d’entropisation du Système agissant nécessairement par le terrorisme, et qui s’exposent désormais comme tel, sans l’ombre d’un doute ni le moindre doute pour laisser le plus petit coin d’ombre dans ce concept.

Peut-être les partisans des thèses LIHOP ou INSIDE JOB pour l’attaque 9/11 (laisser faire l’attaque dont on est instruit ou organiser soi-même l’attaque [voir le matériel sur ce site, sur Daniele Ganser]) devraient-ils réfléchir à cette explication qui transcende absolument tout ce qui a été dit à propos de 9/11 : l’attaque 9/11 n’a pas signifié ni même manipulé une circonstance justifiant une riposte générale des USA contre le terrorisme ou le “faisant-fonction de” selon des plans de soi-disant conquête hégémonique, mais nous a signifié que les USA étaient leurs propres terroristes. Cette attaque a servi à nous révéler, éventuellement par sa propre organisation mais ce n’est pas l’essentiel, que les USA sont bien The United States of Terrorism en s’offrant comme apparente victime de ce qu’ils n’ont plus cessé de manifester depuis. C’est en cela seulement, et pour cela et rien d’autre, que 9/11 est désormais un concept exactement à l’inverse de ce qu’envisageaient Habermas et Derrida, et que Daesh existe dans le désordre et le nihilisme les plus complets, même de lui-même par rapport à lui-même.