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2468Le point formel qui permet de mesurer à quel point d’affrontement l’on se trouve dans la campagne USA-2016, c’est la question de l’acceptation théorique, de principe, du résultat de l’élection par chacun des candidats, posée à nouveau hier lors du troisième et dernier débat, à moins de trois semaines du vote. On l’a déjà noté, il s’agit d’un point de coutume, informel, qui constitue une sorte de sanctification volontaire des deux candidats principaux du système de l’américanisme. Au soir du scrutin et le résultat proclamé, les deux candidats réconciliés se saluent, le vainqueur reconnaissant la victoire de son adversaire et le système de l’américanisme, – le Système lui-même, – ainsi célébré à la place qui lui revient : au-dessus de tout et sanctifiant toutes ses vertus, sa corruption, ses fraudes, ses illégalités, sa trahison systématique des promesses originales, ses narrative constantes qui tiennent la réalité dans son état de pulvérisation. L’instant est solennel et pompeux dans sa fausse simplicité, et il signifie aux électeurs, plutôt poliment : “Bravo citoyens, vous avez voté, une fois de plus vous l’avez disons dans le dos...”
D’une façon générale, dans les élections présidentielles courantes, on ne demande pas aux candidats s’ils se soumettrons gracieusement à cette tradition célébrant leur unité-Système. Cela va de soi et ce qui va de soi n’a nul besoin, entre gentlemen, ou mieux entre gentlemen-Système, d’être acté et répété de quelque façon que ce soit ; la répétition et la confirmation de l’évidence, c’est déjà une place laissé au doute... On ne s’étonnera donc pas si la question a déjà été posée très souvent à Trump, qui c’est connu n’est pas un gentleman-Système, qui ne cesse d’être chaque jour plus violemment dénoncé par tout ce que le Système compte de surpuissantes manifestations de son empire comme un être horrible, difforme et même non-être parce qu’hors-Système sinon antiSystème, – la question étant “au soir du scrutin, si vous êtes battu, reconnaitrez-vous la victoire de votre rivale ?”. Lors du deuxième débat, question posée et réponse affirmative sans enthousiasme du The-Donald. (Réponse également affirmative autour de lui ces dernières semaines, de son colistier, de son chef de campagne, de sa fille.)
Hier soir, troisième et dernier débat et, ô (fausse-vraie) surprise, réponse sous forme de non-réponse (“je verrai à ce moment... Je vous laisse dans l’incertitude”) ; ce qui amena cette exclamation d’Hillary, qui n’est pas seulement feinte et exprime, en partie véritablement, le sentiment décrit qui est celui du Système : « That’s horrifying » (“c’est horrifiant” ou “c’est horrible”, mais mieux encore “c’est terrifiant”, “c’est épouvantable”, “c’est catastrophique“, etc.).
Voici l’exemple du Washington Times rapportant ce moment du débat sous forme de nouvelle-urgente (Breaking News), le 19 octobre dans la soirée, sous le titre extrêmement torturé d’une négation suivie de deux approbations qui sont ainsi écartées, cela traduisant au moins symboliquement l’émotion du rédacteur : « Trump refuses to agree to accept results of election » (traduire “refuser d’accepter d’accepter”, cela montrant bien qu’il y a refus d’accepter une coutume fondamentale, qui est celle d’accepter le résultat : donc double négation, double péché, double horrifying et ainsi de suite)
« Donald Trump refused Wednesday to commit to accepting the results of the November election, saying there’s too much evidence of fraud for him to be sanguine. While his top campaign officials, his vice presidential nominee and his own daughter have said they would accept the results, Mr. Trump declined to do so.
» “I will look at it at the time,” he said at the third presidential debate.
» “I will keep you in suspense,” he added.
» “That’s horrifying,” Democratic nominee Hillary Clinton countered. »
On voit donc bien que Trump n’a pas refusé tout net, il a bien refusé “d’accepter d’accepter”, en précisant “on jugera sur pièces”, au jour et à l’heure dite. Mais il s’agit d’un moment symbolique, rien de moins, et il est essentiel parce qu’il revient à ceci qui doit être considéré justement d’un point de vue symbolique : Trump déclare publiquement et solennellement, avant toute circonstance qui nécessiterait une délibération à ce propos, qu’il soumet ce qui est en théorie une coutume sacrée et hors du jugement humain et des circonstances, justement à la fortune du jugement humain et des circonstances. Il soumet la théorie de la coutume sacrée aux faits à venir et la brise symboliquement d'une manière qu'on ne peut quialifier que de sacrilège.
Hors du symbole qui fait l’essentiel de la réponse de Trump, dans le domaine des événements courants, le fait de la contestation du résultat existe évidemment une fois que les événements justement le permettent et même l'autorisent. Le premier mardi de novembre 2000, jour de l’élection, Al Gore, à qui on n’avait pas soumis la question posée à Trump, avait contesté le résultat de l’élection et avait porté le cas de la Floride devant la justice qui avait aussitôt ordonné un recomptage de voix, laissant donc la décision de l’élection en suspens. En décembre 2000, un gros mois après le vote de l’élection présidentielle, Al Gore avait accepté une décision en faveur de GW Bush de la Cour Suprême, décision totalement baroque à force d’être faussaire et corrompue et dont le principe lui-même était contestable (la seule voie démocratique eût été un nouveau vote de la Floride), après plusieurs semaines épiques de pseudo-vérifications-bidons, un véritable western en Floride pour le recomptage des votes. Al Gore, qui l’avait emporté en nombre de voix dans l'élection générale, avait accepté la décision de la Cour parce qu’il ne voulait pas mettre en péril le système de l’américanisme, et contester le Système et sa corruption ainsi mise à nue. Il s’était montré finalement parfait candidat-Système et l’on célébra ses vertus comme l’on félicite le cocu de l’être avec tant de grâce. Trump ne pose donc pas un acte impensable en soumettant son acceptation à la question de la fraude, mais parce qu’il parle sur le principe même avant le fait, et enfin parce que c’est Trump, tout est symbole et prend une proportion considérable parce que le symbole est nécessairement antiSystème. On pourra prendre comme exemple d’appréciation apaisante mais se terminant tout de même par le constat qu’il s’agit du symbole d’une état de guerre ouvertes, ce commentaire de Joseph Farah, ultra-chrétien très mal vu, éventuellement et à l’occasion antiSystème, certainement pro-Trump mais néanmoins bon citoyen américain, qui recommande désormais de prier d’ici le 8 novembre pour le sort d’America The Beautiful :
« About Trump’s statement that he would not necessarily accept without challenge the outcome of the election, that doesn’t bother me.
» It’s not unprecedented.
» In 2000, then Vice President Al Gore challenged the outcome of the election. I don’t recall Hillary Clinton being horrified by that decision – even if the basis for that decision was largely based on the fact that Gore won more votes than George W. Bush. That was the law of the land.
» I didn’t hear Trump say he would put together an army of discontented supporters and occupy the White House. What I assumed he was saying was that he would consider his legal options, which is perfectly appropriate.
» I suspect, as I write this column, just minutes after the debate has ended, that much will be made of his comment by what we euphemistically call “the mainstream media.” That’s what they do. That’s what they have done throughout this campaign. That’s what I suspect they will continue to do right through Election Day. »
Tout cela étant écrit, rien n’est donc écrit... Le déchaînement anti-Trump du Système va se multiplier comme Farah l’envisage, contre l’homme qui est présenté comme voulant s’attaquer à ce qu’il y a de plus sacré dans les institutions, le soutien aveugle au Système et à toutes ses nombreuses vertus (voir plus haut). On va voir les effets de cette déclaration de Trump, notamment sur ses partisans, sur son équipe de campagne, sur son colistier ; mais d’ores et déjà, les réactions sont favorables, notamment celle de son colistier Mike Spence, l’un des plus incertains dans son équipe, qui soutient sans restriction la réponse de Trump à cause des conditions scandaleusement anti-Trump de la campagne et des indiscutables possibilités de fraude ; enfin, Spence rassure tout le monde en résumant son entrain par cette quasi-tautologie : “No question he’ll accept outcome he’ll win” (ce qui s’interprète évidemment comme ceci : “Il [Trump] acceptera sans problème la décision puisqu’il gagnera”). Il semble bien que Trump n’a pas réagi d’instinct à la question, sans consultation préalable avec son équipe (ce serait improbable, tout le monde sachant que cette question serait posée), ni qu’il ait finalement donné une réponse différente de celle qui était prévue. L’hypothèse de la réponse d’instinct est faible, justement parce que la réponse n’est nullement un refus net, donné sur le coup et la pression de l’instinct justement, mais une expectative conditionnelle impliquant une certaine prudence, signifiant par ailleurs “Ne fraudez pas et tout se passera bien” ou bien “Oui, si vous ne fraudez pas” (c’est-à-dire “... Je reconnaîtrai la victoire de ma rivale”, mais plus sûrement : “Je n’aurais rien à reconnaître d’ailleurs puisque je gagnerai si vous ne fraudez pas”).
Si le Système va encore plus se déchaîner contre Trump comme on l’a noté, la guerre menée par celui qui est devenu quoi qu’il en soit et qu’il en veuille un antiSystème pur va être encore bien plus féroce qu’elle n’a été jusqu’ici. Tout le linge puant est sur la table, bien en évidence, de la corruption à la fraude, aux élections évidemment truquées (what else ?) qui nous attendent ; on peut ne pas aimer, et l’on n’a qu’à se boucher le nez, mais la logique des événements nous oblige d’en passer par les latrines puisque c’est le principal théâtre d’opération du Système. Finalemen nous aurions tendance à fort peu nous attarder sur les résultats de ce débat d’hier soir (qui est le meilleur ? Qui l’a emporté ?) sinon pour constater que le modérateur fut le meilleur des trois en se montrant plus équilibré et moins anti-Trump que ses deux prédécesseurs. Ce débat s’est déroulé comme un événement parmi d’autres de cette campagne qui n’est faite que d’une succession d’événements peu ordinaires, dont la plupart sont, contrairement aux débats, hors du contrôle du Système. Du coup, on lui accorde moins d’importance, et moins d’effets sur les électeurs ; il n’est décisif en rien, comme les deux précédents, ou bien l’on dira qu’il n’est pas plus décisif que tous “les événements peu ordinaires” qui constituent cette extraordinaire campagne.
On en restera donc là, sur ces quelques mots de Trump, effectivement et impérativement pris dans le sens symbolique qui s’intéresse moins aux faits qu’à la signification cachée et puissante qu’il faut leur accorder, qui mettent en cause le Système, ses ors en toc et ses corruptions en masse ; ces quelques mots qui sont effectivement et impérativement une mise en cause symbolique du Système, c’est-à-dire une mise en cause au plus haut niveau qui se puisse concevoir. Et quoi qu’on en dise sur la constitutionnalité d’une réclamation à l’issue de l’élection si Trump est déclaré battu, on doute très fortement, vraiment très fortement, que la chose se passe dans le cadre rassurant de la seule constitutionnalité. Ainsi, quoi qu’on dise et quoi que lui-même veuille, Trump a, avec cette réponse prudente, franchi le Rubicon hier soir à Los Angeles... Mais comment faire autrement ? Le Rubicon est là, il faut bien le franchir... Après, vous savez bien, – Alea Jacta Est.
Mis en ligne le 20 octobre 2016 à 10H47
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