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1815Ainsi avons-nous notre explication (qui n’est certainement pas la leur à haute voix et qui n’est certainement pas réalisée par eux comme telle dans toutes ses implications) ; explication de ce grand rush des dernières semaines, du couple-vedette de l’Europe, Merkel-Hollande (honneur aux dames), vers l’idée aussi fondamentalement novatrice que le rendez-vous annuel du Monstre du Loch Ness (voir le Traité de Dunkerque de 1947 ou le débat de 1954 sur la CED) d’une Europe s’unissant pour établir son propre système de défense. La chose est apparue au détour de la déclaration du président-poire français à son arrivée au sommet de Bratislava... Malin et informé, Spoutnik-français a fait son titre sur ce point (« Hollande: “L’UE devra se défendre par elle-même, si les Etats-Unis s’éloignent” »)
« La France ne peut être le seul pays à assurer la défense de l'Europe, a déclaré François Hollande vendredi à son arrivée au sommet de Bratislava, organisé pour relancer le projet européen après la décision britannique de quitter l'Union. “[La France] peut être la première, mais elle veut que l'Europe avec la France, l'Europe et la France dans l'Europe, puisse assurer sa propre défense dans le cadre des alliances que l'on sait, c'est-à-dire de l'Alliance atlantique avec notre partenaire américain”, relève-t-il.
» Et de souligner : « Que chacun [le] sache bien : si les États-Unis font un choix de s'éloigner, l'Europe doit être capable de se défendre par elle-même. »
La signification de cette “petite phrase” immédiatement noyée dans le flot extraordinaire d’appréciations, de réflexions, de propositions concernant les innombrables tensions centrifuges de l’UE, c’est simplement que le candidat républicain, The-Donald, commence à apparaître aux yeux de ces dirigeants européens si avisés comme autre chose qu’un clown sans importance. Ainsi naît dans leurs esprits strictement encadrés par les consignes du Système la possibilité, – qui, au rythme où vont les choses et le naufrage d’Hillary acquiert de plus en plus des allures de probabilité, – qu’il y ait un “président Trump” le 8 novembre prochain, et qu’il tiendra ses promesses en fait d’initiatives audacieuses et avec une puissance de caractère qui serait peut-être suffisante pour pousser avec efficacité à leur application. Parmi ces promesses, il fait de moins en moins de doute, parce que toute la dynamique de la campagne et son propre succès ont montré à Trump qu’il était sur la bonne voie à cet égard, qu’on trouvera un “certain désengagement” US des affaires du monde. (Et l’on sait de quoi il s’agit : si une telle initiative parvient à être lancée malgré la formidable opposition qui se dressera à Washington, alors elle acquerra sa propre logique et deviendra de plus en plus importante, – avec l’ampleur et l’extension du domaine du désengagement à mesure.)
Pour l’Europe absolument lovée depuis 2005-2007 (arrivée des pays de l’Est, élection de Sarkozy en France) au sein de la pseudo-puissance US, comme jamais elle ne fut auparavant malgré sa longue histoire de servilité, il s’agit d’un événement possible encore lointain (pensez, quelques semaines), et surtout auquel il est difficile à toutes ces têtes élégamment vides de croire. En même temps, ces mêmes tête “élégamment vides” sentent confusément que, s’il avait lieu, il s’agirait d’un événement absolument terrible, absolument bouleversant, déstructurant et dissolvant bien plus qu’aucun autre, plus qu’aucune autre crise parmi la litanie de la chose sur le bulletin de santé de l’UE. (Cela, d’autant plus que le déferlement de haine anti-Trump que la presse-Système et les élites-Système européennes déverseraient contre lui feraient rapidement empirer les choses dans une époque où triomphe la communication.) Alors, on travaille sur la “défense européenne”, cette entreprise dérisoire qui a échoué mille fois et qui échouerait mille fois encore si l’on s’y attelait vraiment, mais qui permet tout de même quelques coups de menton martiaux et s’assortit d’ailleurs de la promesse qu’il s’agit d’abord de lutter contre le terrorisme (et éventuellement contre Moscou, pensent certains, – très fine manœuvre stratégique).
(La seule issue acceptable dans cet imbroglio serait que la France, si elle en avait encore les moyens technologiques après les braderies stratégiques type-globalisation de ces dernières années, reconstituât ses capacités militaires et stratégiques et s’instituât gardienne, et gardienne “tous-azimuts” de la sécurité de l’Europe dans les domaines les plus hauts de la puissance militaire, comme elle le fut d’une façon plus ou moins bancale à l’une ou l’autre occasion. Autant aller à Lourdes avec des chefs d’État du calibre de Hollande [et Sarko-Juppé pour ce qui viendrait éventuellement], qui n’ont plus rien de français et ne sont plus capables de raisonner qu’en “citoyens européens”. Par contre, si ces clowns insistent comme il est inévitable qu’ils fassent pour une grande fiesta européenne de la défense commune, avec comme inspirateur Clausewitz-Juncker, ils vont produire d’abord un monstre bureaucratique de papier, puis de services, avec un effet complètement dissolvant sur les très-rares forces effectives existant en Europe qui feraient mine de “faite bataillon commun”... Nous envisageons même la cerise sur le gâteau, c’est-à-dire que l’un d’entre eux, parmi les clowns français hypnotisés parmi les plus récentes sottises à faire, accoucherait de l’idée brillante d’“européaniser” la force nucléaire française, ce qui serait le fin du fin de la fin de tout.)
Quant au sommet lui-même, – puisque nous y sommes, il faut bien en parler, – il nous semble être l’habituel imbroglio catastrophique avec les différents partis et clans des pays aux préoccupations différentes et intéressés par des types différents de crise (les rayons de l’UE sont très fournis en matière de crises). La très fine Fuehrine Merkel, en perte vertigineuse de vitesse chez elle, semble donc être venue à Bratislava, décidée à ce qu’on parle le moins possible des “sujets qui fâchent” (Brexit, réfugiés, dictature du dogme financier, etc.) ; alors, de quoi parleraient-ils s’ils ne parlent pas de ces affaires délicates, puisqu’il n’y a plus en Europe comme questions politiques communes que les sujets de division ?
On retiendra ici quelques citations d’un texte russe (par Dmitry Dobrov, de RIA, traduit en anglais par FortRuss le 16 septembre) parce qu’il nous semble bien résumer les contradictions, les impasses et les mésententes qui caractérisent complètement la situation de l’UE. Le titre lance l’habituel corollaire de toute réunion européenne depuis 2008-2010, qui colle à l’UE comme le sparadrap du capitaine Haddock (« Le sommet de Bratislava : le commencement de la fin pour l’UE ? », – si seulement ils avaient le courage d’en finir...)
« EU leaders have set before themselves the task of “restoring a sense of political unity” in the run up to the Rome Summit in March 2017 dedicated to the 60th anniversary of the establishment of the European Community – the forerunner of the EU.
» Although the summit has been called “informal,” it undoubtedly reflects a new balance of power in the European Union due not only to the Brexit vote, but also formed by the resistance of a number of countries to the policies of Brussels and Berlin. Judging by everything, the agenda will be dramatically changed under pressure from the countries of Southern Europe who demand an easing of the EU’s financial policy, as well as the countries of Central Europe, including the Visegrad Group, who are concerned by the European Union’s too liberal migration policies.
» The summit is taking place amidst Europe’s political and financial crisis, and the questions posed at the meeting will be quite unpleasant for the cautious and inert European bureaucrats. These circumstances explain Germany’s desire to reduce tension and avoid critical topics such as Brexit, the migrant crisis, and the rise of right-populist movements. German Chancellor Angela Merkel has already stated that the topic of Brexit will not dominate the day’s agenda in Bratislava, but that “other priorities” will be discussed.
» Merkel also remarked that the Bratislava meeting will not be a “summit for big decisions,” as EU leaders will merely determine the program of action for the coming months. But whether this will happen is in fact unclear. The countries of Southern and Central Europe clearly demonstrate a disobedience towards Brussels and Berlin. [...] Angela Merkel, who previously played the role of the informal leader, has practically become a “lame duck” because of her unpopular migration policies. Therefore, the “informal” EU summit in Bratislava could become yet another chatting parlor after which the European crisis will only continue to develop according to its own logic. »
Les Européens se débattent donc dont leurs inextricables situations (situation crisique générale de l’UE, situation crisique contradictoires des zones, situations crisiques nationales), pour le traitement et la résolution (?) desquelles on s’exhorte les uns les autres lorsqu’on est éloigné les uns des autres et dont il faut au contraire éviter de trop parler, sinon d’en parler tout court, pour éviter la foire d’empoigne lorsqu’on est ensemble. Il est évident que dans ce climat d’hypercrise caractérisé par l’hyperimpuissance et l’hyperparalysie, rien ne court le risque très dangereux d’être résolu. Par contre, effectivement, l’élection d’un Trump agirait comme un électrochoc majeur sinon diluvien, en mettant l’Europe devant tout ce que la plupart des chefs d’État et de gouvernement européens, – sauf les “traîtres”, qui sont plutôt favorables au populisme de Trump, – estiment être une perspective insupportable et impensable.
Le facteur circonstanciel essentiel qui ferait de l’élection de Trump ce qu’on en décrit, c’est 1) que cet événement ne dépend en rien de l’Europe-UE, de sa “dynamique” productrice de processus de paralysie et d’impuissance empêchant de traiter sérieusement quelque problème que ce soit ; et 2) que cet événement US n’est en rien “complice” de l’Europe (comme le serait un traité transatlantique ou un président US globaliste), mais au contraire adversaire déclaré puisque Trump est effectivement adversaire déclaré du globalisme. Le seul sens où il pourrait intervenir, ce serait en soutenant les populistes européens (comme on l’a vu avec Farage, de UKIP), et dans ce cas il sèmerait au sein de l’UE une panique indescriptible, qui conduirait inévitablement à une désintégration. Le facteur-Trump, en cas d’élection de la bestiole, constitue le seul événement (potentiel) capable de secouer l’Europe d’une façon inattendue conduisant à des situations complètement nouvelles dont la désintégration de l’UE constituerait effectivement à notre sens l’effet général dans tous les cas envisageables.
Bien entendu, le contraire, qui a été énoncé par le président-poire, – une Amérique s’éloignant de l’Europe (sous-entendu, avec Trump), qui conduirait l’Europe à s’intégrer militairement et à se constituer en “bloc de puissance”, – est une fiction absolument complète, une narrative datant d’un demi-siècle, qui n’a aucune chance de se réaliser, en aucun sens, sqans le moindre doute avec le personnel actuel et dans la situation présente. Aujourd’hui, l’on se trouve dans cette position inattendue : le sort de l’Europe dépend du résultat des élections US ; “position inattendue” mais certainement pas inédite : il sera dit que, même pour le meilleur (ditto, la désintégration de l’UE), l’Europe dépend complètement des USA... Pas de surprise, donc.
Mis en ligne le 17 septembre 2016 à 09H35
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