Tu-160 si proches de la Floride

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Tu-160 si proches de la Floride

Au vu de certains signes, actes et paroles depuis leur arrivée, il ne fait aucun doute pour notre compte que la “visite d’amitié”, – presque des vacances à les entendre, – des deux bombardiers stratégiques russes Tu-160 Cygne blanc au Venezuela est effectivement, comme nous en faisions l’hypothèseun très sérieux signal stratégique d’avertissement aux USA, une démonstration par la communication de projection de forces. Mis en perspective, cet acte comme nous le considérons, qui prépare peut-être/sans doute une véritable stratégie de projection de forces, avec des bases russes dans certains pays d’Amérique Latine, ne peut être considéré comme une surprise, mais comme la concrétisation d’une réelle logique de montée en puissance russe depuis deux mois (annonce du retrait US du traité FNI). Il n’est que de relire les citations que nous faisions le 25 octobre dernier d’un article d’Andrei Sakoulov (voir sa traduction complète sur Le Sakerfrancophone), tout cela suivant cette annonce du retrait du traité FNI et accompagnant la visite de Bolton à Moscou : 

« Andrei Akoulov dépose un article, qui représente certainement un des ‘éléments de langage’ de la riposte russe dans la guerre de communication autour du traité et de la nouvelle “course aux armements” qui va s’ensuivre, sur Strategic-Culture.org le 22 octobre 2018. Bolton à Moscou, qu’on a vu assez secoué et paradoxalement (?) tout sourire pour les Russes lors de conférences de presse et face à Poutinea certainement dû en entendre du même genre lors de l’un ou l’autre de ses entretiens... :

» “...Cette capacité peut être augmentée. Les navires de guerre russes équipés de missiles de croisière pourraient stationner par rotation dans des pays comme le Venezuela ou le Nicaragua. Les bombardiers stratégiques russes pourraient également utiliser des bases aériennes dans ces pays. La Russie n'a jamais menacé les États-Unis continentaux, mais elle devra maintenant le faire. Après tout, ce n’est pas elle qui a commencé cette course. »

Il y a divers faits intéressants depuis l’arrivée des deux Tu-160 à Caracas, accompagnés des techniciens qu’il faut mais aussi d’un contingent d’une centaine de militaires, – ce qui fait beaucoup pour une visite d’amitié et pourrait signifier qu’on y trouve quelques spécialistes des infrastructures et de la coordination pour d’éventuelles futures installations russes...

• Parmi les faits et gestes au cours de ce séjour, il y a des manœuvres de coordination aérienne, comme promis, entre les deux Tu-160 et des chasseurs F-16 et Su-30 de la Force Aérienne du Venezuela. L’on apprend dans le langage châtié et polides communiqués russes que le vol de manœuvre a duré dix heures et qu’il s’est déroulé dans l’espace aérien de la Mer des Caraïbes, d’où l’on se trouve, sur sa bordure Nord, – horreur, – à des distances de 150 à 400 kilomètres des côtes de Floride jusqu’au Texas dans le Golfe du Mexique.

« Des bombardiers stratégiques russes Tu-160 ont survolé l'aire maritime des Caraïbes, a relaté le ministère russe de la Défense. Ce vol a eu lieu dans le cadre de la visite d'une délégation des forces aériennes russes au Venezuela. “Le vol a duré environ dix heures”, a précisé le ministère. Les appareils russes ont effectué certaines étapes en équipe avec les chasseurs Su-30 et F-16 appartenant à l'aviation militaire vénézuélienne. Les pilotes des deux pays se sont entraînés à coopérer dans les airs.

» Il a été souligné que le vol a été effectué conformément au droit international en suivant les consignes d'utilisation de l'espace aérien. »

• Il y a eu le sympathique coup de main de quelques brutes américanistes, protestant à grands cris et donnant ainsi, sans intervention des Russes qui restent calmes et jouent aux touristes, la perception d’une véritable initiative stratégique. Dans un univers normal, où la raison aurait sa place sans perturbation excessive, on se demanderait pourquoi les susdites brutes américanistes ne cessent de pousser les hauts cris chaque fois que les Russes font quelque chose, amplifiant ainsi considérablement la perception de la puissance russe contre laquelle ils paraissent ainsi désarmés ; oui, pourquoi ? Parce que ce sont des brutes, et lorsqu’on cite un Pompeo ou un Rubio, que peut-on attendre d’autres d’eux que de la piètre et basse sottise démagogique par rapport au Système qui lers conduit et les oblige ?

• En effet, Pompeo, secrétaire d’État qui insulte le reste du monde comme une fille des rues, et le petit Marc Rubio, sénateur de cette Floride qui trempe ses doigts de pieds aux ongles manucurés dans le Golfe du Mexique si intimement proche de la Mer des Caraïbes dans l’espace aérien de laquelle évoluèrent les Tu-160 pendant dix heures, c’est-à-dire sur près de 8 000 kilomètres, avec pourrait-on croire des vols près ce Cuba sinon de la Floride, Rubio et Pompeo donc ont tiré la sonnette d’alarme... Rubio, qui est d’autant plus faucon et neocon qu’il est de petite taille, a déclaré que les USA devraient se préparer à ce que « [d]es avions de combat russes entre profondément dans la zone d’identification de la défense aérienne des USA... [...] L’arrivée des deux bombardiers russes est très alarmante et l’exercice n’est rien de moins qu’une menace pour la stabilité de la région et pour la sécurité nationale des USA ». Quant à Pompeo, il a jugé cette visite très alarmante et il a estimé, en bon père de famille, que ce déploiement était également « un gaspillage de l’argent des contribuables [russes et vénézuéliens, suppose-t-on] de la part de deux gouvernements corrompus [russe et vénézuélien, suppose-t-on]. » Venant d’un si pompeux secrétaire d’État des États-Unis qu’est Mike Pompeo, au nom des États-Unis dont on connaît la frugalité comptable et avisée en matière de dépenses de l’argent des contribuables pour des manœuvres, déploiements, menaces et guerres inutiles, etc., un tel jugement nous confirmera que la sagesse antique est toujours bien vivante parmi nous.

• Pour ce qui est de la presseSystème américaniste, on s’en rapportera à l’habituelle source déversant des FakeNewsRT, constatant avec un esprit d’équité : « [L]es médias se sont engagés dans une nouvelle vague d'hystérie antirusse, qui a fait les gros titres de la plupart des principaux d’entre eux. Une moitié a choisi de prévenir avec inquiétude que les bombardiers russes “à longue portée… supersoniques… à capacité nucléaire” se trouvaient déjà au Venezuela, tandis que l’autre se montrait plus intéressée par le fait que le mouvement avait “provoqué la colère” de Washington et avait entraîné une nouvelle détérioration des relations entre les deux puissances. »

Dans cette affaire, officiellement et par les habituelles filières d’analyse, les Russes la jouent moderato cantabile, mais tout de même espérant que le poisson morde à l’hameçon, – ce qui fut fait via Pompeo et Rubio. Le commentateur militaire de RussiaGazeta.ru, le colonel en retraite Mikhail Khodarenok, a qualifié l’événement de “bon exercice d’entraînement” pour les pilotes des Tu-160, mais rien qui puisse se rapprocher d’une opération de projection de forces : « Pour qu’elle soit crédible, une démonstration de projection de forces devrait inclure au moins une division de bombardiers stratégiques, avec une quarantaine d’aéronefs accompagnés de plus d’une centaine de chasseurs de protection, qui seraient déployés sur des aérodromes vénézuéliens en l'espace de 24 heures. Il faudrait y ajouter des croiseurs de bataille ou des sous-marins polyvalents ultramodernes de type Yasen-M. »

Cela est parler en termes techniques, tactiques et stratégiques à la fois, mais cela n’a aucune chance d’être entendu. Il reste l’inévitable dimension psychologique, qui est, dans le chef de la direction américaniste, nécessairement hyper-paroxystique, avec comme référence l’absolue supériorité américaniste, « maintenant et pour toujours » (dixit Pompeo il y a dix jours à Bruxelles). Il s’agit, de façon générale, de l’exceptionnalité américaniste qui autorise des déploiements US partout dans le monde, y compris les croisières de “tourisme historique” de l’US Navy en Mer d’Azov et dans la baie Pierre-le-Grand où nichent Vladivostok et la Flotte russe du Pacifique, à la satisfaction de l’universelle humanité, le peuple russe compris ; qui, d’un même souffle, dénonce furieusement comme une épouvantable provocation la moindre “visite d’amitié” de deux Cygnes blancs au régime corrompu de l’imposteur vénézuélien Maduro. Le colonel Khodarenok se trompe bien gravement s’il croit que ses paroles raisonnables influeront en quoi que ce soit les esprits évaluateurs et furieux de “D.C.-la-folle”, sinon en les excitant comme devant une ruse dialectique sournoise. Les Tu-160 à Caracas constituent une initiative affreuse, porteuse de tous les plus grands dangers, dont la Russie devra répondre devant le tribunal de l’Histoire.

Ces constats nous ramènent donc à l’essentiel, car nous croyons bien entendu que Poutine ne croit pas un mot de la sagesse du colonel Khodarenok, qu’il croit au contraire que les “collègues” américanistes ont effectivement pris la visite des deux gracieux Cygnes blancs comme une préparation à une agression imminente de l’immonde Russie, – après tout, c’est un pas supplémentaire dans la logique qui a conduit au Russiagate au cours duquel la Russie a manipulé de façon honteuse l’élection du nouveau président des États-Unis. Poutine croit cela, et il le savait bien avant, lorsqu’il décida cette escapade des deux Tu-160, qu’il proposa à Maduro lors de la visite du Vénézuélien à Moscou. Il y a deux ans, Poutine n’aurait pas proposé une telle chose, dans les circonstances actuelles qui évoluent selon un nouveau schéma d’affrontement depuis 2014, qui sont infiniment plus graves qu’en 2008 et qu’en 2013 (les deux visites russes précédentes, de la même sorte, à Caracas). Effectivement, la logique de ces enchaînements est impossible à détourner : Poutine prépare bien la Russie à un conflit (« L’événement signale enfin que la Russie raisonne désormais dans ses relations avec les USA uniquement en termes de capacités opérationnelles de combat et se prépare activement à la possibilité/à la probabilité d’un conflit dès 2019 »).

 

Mis en ligne le 13 décembre 2018 à 21H00