Turquie-Russie : un scénario

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Turquie-Russie : un scénario

Parallèlement à la rencontre Poutine-Erdogan de Saint-Petersbourg, le site Katehon.com (tendance eurasisme, dominé par la personnalité et l’influence d’Alexandre Douguine) publie un article, ce 9 août, du Roumain Valentin Vasilescu, sur un “scénario” du rapprochement Russie-Turquie. L’intérêt de ce texte, qui fait partie de ce que nous nommions dans notre F&C d’hier “la possibilité de prévision”, se trouve dans les aspects techniques d’un tel rapprochement (aussi bien que dans certains détails inédits, également techniques sur le putsch avorté de Turquie).

(Vasilescu fait partie du parti souverainiste roumain PGR [Parti de la Grande Roumanie], parti devnu de très faible audience en Roumanie mais aux tendances très marquées accompagnées des soupçons et anathèmes habituels : souverainiste éffectivement, défenseur de valeurs traditionnelles qui le rapprochent nécessairement de Douguine et de la politique dominante en Russie. [Un texte de présentation d’un des thèmes théoriques exposés par Douguine sur Katehon.com, “La quatrième théorie politique”, commence par une référence explicite à René Guénon.] On retrouve les textes de Vasilescu dans cette filière antiSystème internationale, notamment en France sur le site Voltaire.net. L’aspect technique que nous soulignons plus haut est substantivé par le fait que Vasilescu, outre d’être un homme politique, a été un officier de l’Armée de l’Air roumaine, qu’il a été pilote de MiG-21, et qu’il doit par conséquent avoir gardé des contacts avec ce monde, notamment avec le monde de l’aviation militaire russe avec laquelle il était nécessairement en contact. [Né en 1961, Vasilescu a effectivement fait une partie de son temps comme pilote alors que la Roumanie était encore dans le Pacte de Varsovie et que l’URSS existait encore.] On peut faire l’hypothèse que ces liens ont perduré et facilitent pour Vasilescu un accès intéressant au monde militaire russe, ce qui donne effectivement du poids aux informations techniques charpentant son texte.)  

Sur le putsch avorté, Vasilescu donne donc des indications techniques très intéressantes, notamment une intervention extérieur (“Who else ?”, pour ceux qui ont une hypothèse à l’esprit) de brouillage des satellites turcs de commandement et de contrôle. Ce type de précision implique que le putsch avorté prend de plus en plus l’allure d’une agression extérieure contre la Turquie, venue de son grand allié de l’OTAN. Il s’en déduit, – et c’est une précision qui doit être mise en évidence, notamment pour appuyer notre texte référencé, – que le rapprochement de la Russie effectué par la Turquie est d’abord le résultat d’une nécessité vitale pour Erdogan (« ...Erdogan was forced toward a rapprochement with Russia »).

Vasilescu indique nettement qu’à son appréciation, Erdogan semble juger qu’il doit sa propre sécurité (notamment la prévention d’un second putsch) au soutien technique sans réserve (renseignement, écoutes, etc.) du puissant et très efficace système général de renseignement et d’écoute de la Russie dans toute cette zone. Il est manifeste qu’aujourd’hui, les USA sont perçus comme une colossale entreprise de “crime organisé”, agissant hors de toute contrainte légale et actant en liquidateur quand il le faut, exactement à l’image du “crime organisé” classique qui proliféra et continue à exister avec tant d’exubérance sur leur propre territoire. (On précisera pourtant qu'il s'agit du “crime organisé” lorsqu'il est devenu fou, pour expliciter l'erratisme dément des buts [?] poursuivis par les USA.)

Nous ne sommes plus au niveau des choix, éventuellement des caprices et des lubies de tel ou tel dirigeant (Erdogan dans ce cas), mais au niveau des nécessités vitales effectivement (cela à prendre au pied de la lettre, même personnellement pour un chef d’État ou de gouvernement lorsqu’on a à l’esprit le sort d’un Saddam Hussein ou d’un Kadhafi) ; et ces “nécessités vitales” prenant une allure d’une importance colossale si l’on y ajoute les scénarios possibles de l’après-8 novembre/USA-2016 comme on l’a vu hier.

Les autres indications de Vasilescu portent sur les mesures prises immédiatement par les Russes pour un rapprochement de la Turquie, indiquant que la Russie joue à fond la carte turque, toujours, selon nous, dans la perspective des possibles intentions US de la nouvelle administration à venir. Vasilescu envisage également ce que la Russie pourrait demander en échange à la Turquie, cela se résumant au respect de la résolution 2254 de l’ONU, ce qui conduirait la Turquie à abandonner la “coalition” dite anti-terroriste organisée par les USA, et à rétablir des relations avec la Syrie selon l’accord d’Adena de 1998 autorisant des frappes turques anti-terroristes dans l’espace aérien syrien jusqu’à 50 kilomètres de profondeur. Plus encore, les Russes proposeraient aux Turcs des opérations aériennes conjointes, ce qui donnerait le spectacle intéressant de voir des F-16 voler en coordination avec Su-24 plutôt que chercher à les abattre.

S’il ne s’agit que d’hypothèses, elles sont assez précises et explicites pour faire apprécier ce qui pourrait être un alignement de la Turquie sur la Russie, toujours en raison des événements extérieurs pressants qu’on envisage avec l’évolution des USA. Il n’est pas du tout assuré que de telles perspectives apparaissent publiquement en marge ou en conclusion de la rencontre Erdogan-Poutine d’aujourd’hui, l’intérêt des deux partenaires, et certainement l’intérêt de Poutine, étant d’éviter toute attitude inutilement provocante vis-à-vis de l’OTAN et des USA.

Il n’empêche... Si Vasilescu précise que le retrait de la Turquie de l’OTAN n’est pas envisagé pour l’instant (« This does not mean that Turkey will immediately exit from NATO... »), la sorte de changements qu’il suggère dans le rapprochement entre la Turquie et la Russie provoquera très-probablement une crise majeure au sein de l’OTAN, et particulièrement dans le climat absolument volatile et incontrôlable qu’on connaît aujourd’hui. Cette organisation ne pourrait accepter, comme les USA l’ont souvent montré, qu’un de ses membres entretiennent de tels liens techniques avec la Russie ; de même pour une autre hypothèse émise par Vasilescu, à savoir que les bases US/OTAN d’Incirlink et autres soient interdites de vol spécifiquement au sein de la coalition (« Specifically, Turkey will inform the United States of cancellation of the authorization to use Incirlik air base as the main operating base of the American anti-ISIS coalition, being able to be used by US for other purposes. The same notification will be sent to Germany »)... Tout cela, bien entendu, sans parler de l’ambiance au sein d’une alliance lorsqu’un de ses membres estime avoir été “agressé” par un autre de ses membres.  

Puisqu’il s’agit de “possibilité de prévision”, on ne peut tenir évidemment pour du comptant les détails que donne Vasilescu. Mais on doit les apprécier, notamment dans l’esprit qu’ils suggèrent, comme très significatifs, notamment à cause de leurs précisions, de leur cohérence, etc., et toujours bien sûr en tenant compte du climat actuel et des suite du putsch avorté dont il se confirme qu’il pourrait tout aussi bien être considéré, dans le même esprit de la chose, comme une agression US. (Le silence de l’OTAN lors du putsch tient-il à la difficulté pour cette vaste et brillante bureaucratie de déterminer dans quel sens l’Article 5, dont il est en général fait si grand cas, était applicable dans cette circonstance ? A l’avantage de la Turquie ou à l’avantage des USA ?) Quoi qu'il en soit de la justesse de ses prévisions, l'article de Vasulescu est un reflet très acceptable du climat et de la situation de tension crisique extrême qui règne, non seulement dans la région mais dans les relations internationales en général.

Voici l’article de Valentin Vasilescu, sur Karehon.com de ce 9 août.

dedefensa.org

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How could Turkey's rapprochement with Russia materialize?

Russia's decision to intervene with in Syria, including with tactical air support, to the legally elected government of Bashar al-Assad, is based on fighting an external invasion posed by Islamist rebels which have been selected, armed, trained and infiltrated into Syria from Saudi Arabia, Qatar, the US, England, France and Turkey. The strategic goal of Russia was more far reaching, lying in restricting US domination in the Middle East and forwarding the massive return of Russia in this region, after an absence of 30 years.

The method chosen by Russia proved extremely effective, since Russian aerial bombardments have created breaches in the lines of Islamist rebels, which immediately were developed by the Syrian army land troops, releasing over 50% of the territory occupied by the rebels.

On the other hand, the US has failed in terms of creating an army of opponents to fight against the army of Bashar al-Assad in Syria. And the change of US strategy in January 2016, when aerial bombing commenced, began to be made in favor of land-based Kurdish forces in Syria, led by groups of US special forces, marked a turning point in US relations with Turkey. Turkey is enemy no. 1 for the Kurds. The attempted military coup should be regarded only as an attempt to oust from power President Recep Erdogan, who does not agree with the creation by Americans of a Kurdish state encompassing 45% of the current territory of Turkey.

What would be the consequences of the coup?

It becomes increasingly clear that the US has dramatically blundered in relation to Turkey, and to avoid repeating the events of July 15, 2016, Erdogan was forced toward a rapprochement with Russia. This does not mean that Turkey will immediately exit from NATO, but that Erdogan will benefit from the information offered by the Foreign Intelligence Service of Russia (SVR) and the military intelligence GRU, to annihilate any attempted coup planned by the US and its allies. During the military coup in Turkey, a Turkish satellite center was hit by attack pro-coup helicopters, simultaneously a major world power jammed Turkish satellites. Turkish sources say that Russia would immediately  offer to Erdogan, unlimited access to its network of military satellites to be able to command troops, while remaining faithful to exchange information within the MIT (Turkish intelligence service).

As a confirmation of this hypothesis, Russia has decided to resume construction of four nuclear reactors of 1,200 megawatts in the province of Mersin on the Mediterranean coast, and the Turkish Stream pipeline, under the Black Sea. Russia will allow resumption of imports Turkey, which amounted to 30 billion annually, halted due to downing of Su-24 bomber on November 24th, 2015, in Syria.

What could Russia ask for in return from Turkey?

Firstly, Foreign Minister of Turkey Mevlut Cavusoglu can summon Syrian Aleppo region rebel groups to cease fighting (if Russia and Damascus give them - especially to Turkoman militia - specific guarantees - Katehon). It confirms the alignment of Turkey's policy to comply with the UN resolution 2254, that the legitimate government of Syria, represented by Bashar al-Assad, remain in power. If this plan succeeds it means that most likely Turkey will secure the whole borders with Syria and give up supporting the opponents of Bashar Al Assad, and will not allow the flow of recruits, weapons and ammunition to Islamic terrorist groups supported by Saudi Arabia, Qatar, USA, United Kingdom and France.

As a consequence of compliance with UN Resolution 2254 by Turkey, this country may leave the US anti-Islamic State coalition, which means the removal of any unauthorized flight in the Syrian airspace from the Turkish air bases. Specifically, Turkey will inform the United States of cancellation of the authorization to use Incirlik air base as the main operating base of the American anti-ISIS coalition, being able to be used by US for other purposes. The same notification will be sent to Germany. Incirlik is just 180 km from Manbij, surrounded by a Kurdish city and 400 kilometers of Raqqa, the capital of the Islamic State jihadist group. In order to bomb Islamic State targets in Syria and Iraq, the US, Germany and Saudi Arabia will have to move their bombers elsewhere if participating in the anti-Islamic State coalition.

The most convenient base for this coalition seems to be Al Azraq in Jordan, the headquarters of two squadrons of Jordanian F-16's, where 20 F-16's are also deployed from Bahrain and 8 F-16's of the Netherlands and Belgium, French Mirage 2000 jets, and  R-9 MQ unmanned planes/drones of the Americans. The dislocation of planes at Al Azraq, and bringing in ground equipment maintenance would take several months, during which the coalition will execute fewer missions. Al Azraq is over 700-800 km from Islamic State targets in Syria and Iraq and coalition airplanes hitting the Islamic State will need to be fueled in the air.

Also as a result of compliance with UN Resolution 2254 by Turkey, the Pentagon could not, via land, supply the Kurds of weapons, ammunition, and instructors from US special operations forces through Turkey. Rmeilane American base in the Syrian province of Hassake in Kurdish-controlled area, where the Pentagon receives reinforcements, can remain isolated.

The third step, which Putin might agree with Erdogan, would be hiring a part of the fleet of 196  Turkish F-16C, to act alongside with Russian bombers in Syria. For the beginning, joint missions could be run from the Russian command center in Latakia, Syria. Turkish aviation would receive additional missions to bomb Islamic State targets, allowing the Syrian army to move forward from Palmyra until Raqqa, liberating central, eastern and north-eastern Syria.

Simultaneously with this, Bashar al-Assad will be persuaded by Russians to resume cooperation with Turkey in terms of the Treaty of Adana on 20 October 1998. This treaty allowed Turkey to pursue air strikes or capturing Kurds terrorists on a depth of 50 km inside Syria. Frequently, after committing attacks in Turkey, Kurdish terrorists refuge in northern Syria. Subsequently, air strikes of Turkish aviation would neutralize the force of combat groups of Arab-Kurdish YPG / SDF that is considered a rebel group by Bashar Al Assad, although it is supported by special forces of the four Western countries (USA, UK, France and Germany). Aviation and an anti ISIS coalition led by Americans would be required to give notice or to coordinate missions with the Russians and Turks.

Valentin Vasilescu