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3017Comme l’on sait, s’il n’y avait “l’Europe ! L’Europe !” (comme disait un cabri), c’est-à-dire l’UE, nous serions très malheureux. L’on sait également combien l’UE est acclamée en général pour l’apport économique qu’elle procure à ses États-membres. L’on sait enfin que l’UE, frappée d’une très grave crise depuis 2008-2009, nous rassure chaque jour sur la chronologie de la chose, et qu’en fait nous voilà qui remontons la pente après avoir touché le fond. Cela fait partie de la narrative générale pour laquelle les braves et pauvres Ukrainiens, agitant leur fureur dans les rues de Kiev avec l’approbation bienveillante de diverses autorités-Système du bloc BAO et de leurs habituels bras armés chargés de subventions plantureuses (uniquement pour les désordres, pas pour les pauvres), courent derrière leur promesse des “lendemains qui chantent”. Ainsi l’Ukraine a-t-elle changé de mirage des “lendemains qui chantent”, passant d’Est en Ouest et d’URSS en UE. C’est un parcours qui ne croit pas si bien dire...
Maintenant, la vérité de la situation. Pour ce qui concerne l’UE et dans cette situation générale que l’on connaît, les chiffres ont leur poids et leur signification. Russia Today a choisi (le 9 décembre 2013) d’extraire une lignes de statistiques, dans les statistiques Eurostat qui viennent d’être publié pour 2012, et son collaborateur Egor Piskunov en a fait un dossier. La ligne choisie est finalement, du point de vue du “facteur humain”, la plus significative, puisqu’elle concerne la “population risquant la pauvreté ou l’exclusion sociale”. Cela a bien plus de signification que les chiffres du chômage ou d’autres références uniquement chiffrées ; il s’agit bien d’une condition humaine et psychologique, autant qu’économique et professionnelle. Il s’agit donc de la prise en compte d’un processus qui implique la possibilité, pour chaque individu considéré, de la destruction d’une vie dans les sens les plus larges des termes employés, – aussi bien “destruction” que “vie”.
Le résultat est extrêmement significatif. L’UE est réellement devenue, selon ce qu’on peut désormais nommer une “tendance” puissante extrapolée des années 2008-2012, une productrice performante de l’abaissement vers la destruction des êtres humains dans leurs milieux sociaux et économiques, et par le moyen notamment de ces milieux sociaux et économiques dont ils finissent par être exclus. Il s’agit bien là de la “tendance génocidaire” signalée le 13 novembre 2013 ; il s’agissait alors de l’accord de libre-échange UE-USA, cette fois il s’agit du fonctionnement normatif de l’UE. On a même, – dans le cas, au moins, de l’Italie, – une surprise qui ne déplaira pas trop aux démagogues-idéologues qui sont pour les quotas et qui jugent injustes que les immigrés (les “étrangers” dans le texte) payent un trop lourd tribut à l’entreprise génocidaire, par rapport aux populations qui traînent avec elles le vice irréfragable de vivre et de travailler dans leurs propres pays : une association d’aide alimentaire aux démunis accueillait, à Rome, 55% d’“étrangers” et 45% d’Italiens en 2010, elle a accueilli en 2013 35% d’“étrangers” et 65% d’Italiens...
«Last year, 124.5 million people, or 24.8 percent of Europe’s population were at risk of poverty or social exclusion, compared to 24.3 percent in 2011 and 23.7 percent in 2008, the Eurostat said in a document published earlier in the week. The data included people who were falling within at least one of the three categories: at-risk-of-poverty, severely materially deprived or living in households with very low work intensity. Bulgaria (49 percent), Romania (42 percent) and Latvia (37 percent) top the list, followed by Greece, Lithuania and Hungary. In comparison, the Netherlands and the Czech Republic (both 15 percent), Finland (17 percent), Sweden and Luxemburg (both 18 percent) can boast the lowest number of people at risk of poverty.
»However, even founding EU countries like Italy are struggling more than ever. Some 18.2 million -Italians are facing poverty – that is the highest number in the EU, even though proportionally (29.2 % of the population) the country seems to be doing not too bad. With the Italian economy going through its longest recession since the World War II, over 12 percent of adults are unemployed, while four out of ten young people don't have a job. There are no official figures on the homeless, RT’s Egor Piskunov reports.
»Marco, 46, used to work as a pizzaiolo (pizza maker) - many Italians used to call it ‘the golden skill’ which would always get you work in Rome. However, it did not hold true for Marco, who was sacked one day and has not been hired since. He has been living on the street for about four years now and says he sees little chance of fixing his life.” “When you live on the street, survival is what takes up most of your time. Simply getting a shower is a challenge. It takes so much time to take care of yourself as a normal person. You reach the end of the day and you’re exhausted and depressed,” he told RT. [...]
»With the number of those in need increasing, more Italians are beginning to turn to charity and humanitarian aid for help. [...] “Two years ago we had about 55 percent of foreigners and 45 percent of Italians coming here,” [ Pietro Zezza, a volunteer at Caritas Food Emporium in Rome] said. “Today we have about 65 percent of Italians and 35 percent of foreigners. So the figures are reversing.”»
Ces chiffres sont très impressionnants dans la tendance qu’ils marquent (23,7% en 2008, 24,3% en 2011, 24,8% en 2012). Le système économique tel qu’il fonctionne, avec une redistribution systématiquement inégalitaire dans le sens privilégiant la richesse acquise (les plus riches devenant plus riches), il s’en déduits que le nombre de pauvres/exclus sociaux ne peut aller qu’en augmentant. La situation est évidemment pire aux USA, où ces conceptions sont pratiquement un fondement de ce pays, les épisodes avec des tendances à une redistribution vers les moins riches étant des exceptions considérées comme telles, et souvent considérées comme antiaméricanistes (notamment les épisodes des deux Roosevelt, Teddy et Franklin Delano, le second étant continué dans un certain sens par les deux présidents démocrates des années 1960, avant la réaction radicale de 1971-72, notamment avec le “Manifeste Powell” d’août 1971 [voir le 23 août 2003]).
La situation à laquelle nous nous référons rappelle celle de certains milieux dirigeants US liés, directement ou indirectement, au corporate power, durant les premières années de Grande Dépression. C’était notamment la position du secrétaire d’État au Trésor Mellon, une des plus grosses fortunes US à l’époque, qui s’opposait en 1931 à certaines tendances et mesures du président Hoover pour venir en aide aux chômeurs et aux “hyper-pauvres” engendrés par la crise. On le rappelait dans un texte du 6 mai 2013 :
«Par ailleurs, il importe de constater qu’existe effectivement un état d’esprit conduisant à envisager des logiques d’élimination (d’extermination ?) de la population, sous la forme de l’argument énoncé techniquement de “forces du travail” devenues inutiles (d’ailleurs inutiles par l’action même du corporate power). On retrouve dans son fondement du capitalisme prédateur et darwiniste l’état d’esprit de la grande Dépression, avant l’arrivée de Roosevelt, lorsque le secrétaire au trésor Mellon (l’une des plus grosses fortunes des USA à cette époque) déconseillait au président Hoover, en 1931, de venir en aide aux chômeurs, estimant que le chômage allait permettre l’élimination des individus inaptes au travail, incompétents, dépourvus de “conscience laborieuse” (c’était l’expression favorite de Mellon). Ce darwinisme social prend aujourd’hui des allures de folie engendrant la situation extrême qu’on connaît, dans tous les cas telle qu’elle est exposée par le système de la communication, et contenant évidemment une dimension d’autodestruction qui n’était pas perceptible durant la Grande Dépression.»
Mais, comme nous le suggérions dans ce texte, la démarche intellectuelle d’un Mellon et de ses pairs était structurée selon un darwinisme social impitoyable, en vogue aux USA depuis le début du siècle et surtout dans les années 1920, et qui d’ailleurs prolongeait dans l’esprit les démarches de génocide culturel aux USA, notamment contre les Indiens, ou Native Americans, sinon celle de “génocide écologique” du fait de l’hyper-industrialisation des USA à partir de la fin de la Guerre de Sécession. (Ce darwinisme social avait conduit au développements à des lois sur l’eugénisme dans nombre d’États US, du début du siècle jusqu’aux années 1920, qui servirent de modèle au nazisme après son accession au pouvoir. Ce précédent fut utilisé comme argument d’antériorité contre l’“exceptionnalisme maléfique nazi” par la défense juridique de divers nazis impliqués dans le procès de Nuremberg et d’autres procès du même type, pour retourner certaines accusations d’élimination de catégories sociales contre les accusateurs, les autorités US en Allemagne. Certains ont également comparé ce darwinisme social aux USA à la politique stalinienne de terreur policière et concentrationnaire, définie comme le moyen de l’apparition d’un “homme nouveau”, ou homo communistus, par élimination des réticents.) Comme on le voit, le courant du capitalisme hyperlibéral, ou plutôt “capitalisme sauvage”, porte en lui, dans l’extrême de sa logique, cette dimension génocidaire.
La différence, aujourd’hui, se trouve dans ce que nous désignons comme une “dimension de folie” dans la citation ci-dessus. Quoi qu’on puisse penser de l’aspect destructeur des années 1920-1930, – et il laisse à penser jusqu’aux jugements de condamnation les plus extrêmes, certes, – il n’y avait pas pour autant cette dimension nihiliste que nous assimilons également à une psychologie de démence. Parallèlement aux thèses de Mellon, le capitalisme d’alors développait aux USA une logique tactique de productivité qui renvoyait à une certaine préoccupation des segments de travailleurs ayant échappé au darwinisme social, par intérêt d’abord, éventuellement par un certain paternalisme sélectif (le “fordisme” de Henry Ford développait l’idée, et l’appliquait dans les usines de ce conglomérat, de la nécessité de hauts salaires pour les ouvriers, pour que la production automobile trouvât son débouché naturel également dans une classe ouvrière accédant à une certaine prospérité).
Aujourd’hui, tout cela est complètement absent, et d’ailleurs avec l’aide du désordre complet de la production, soumise à une globalisation qui est effectivement d’abord la création d’une situation chaotique de production, autant qu’au déchaînement incontrôlable du crédit qui écarte, en créant des “bulles” explosives génératrices de crises autodestructrices, la nécessité de la circulation de l’argent vraie sous la forme de l’emploi et d’un niveau de salaires (ces deux éléments, production et crédit, ont atteint un stade crisique de désordre et d'incontrôlabilité totalement déstructurant et dissolvant). La rupture du rapport de cause à effet entre la nécessité de maintenir un niveau de pouvoir d’achat pour la population et la lutte nécessaire contre la pauvreté est complète. La logique extrême d’extermination de ce “capitalisme sauvage”-là n’a plus aucune rationalité, même perverse ; elle est laissée à son déchaînement complet et transforme le “capitalisme sauvage” en un “capitalisme dément” totalement emporté par une fascination des situations les plus extrêmes sans la moindre conscience ni des conditions, ni des effets de la chose, – sans parler évidemment des arguments étiques, moraux, etc., totalement broyés et pulvérisés par la narrative moralisante des “valeurs” du Système couvrant d’un manteau de vertu faussaire la catastrophe en cours. La stricte orthodoxie de l’idéologie qui impose la terrorisation de l’esprit en l’habillant des charmes de l’hybris fait le reste (cette “idéologie”, en fait cette bouillie pour les chats de l’hyperlibéralisme, de la compétitivité, de la “destruction créatrice”, de la dénonciation de la dimension régalienne de la puissance publique, de la “liberté individuelle”, du même hybris charmeur caractérisé par sa dimension pathologique extrême).
On se trouve donc devant une situation qui n’est ni planifiée, ni pensée en elle-même comme planifiée, même si certains en jugent ainsi au nom eux-mêmes d’une déformation idéologique et d’un besoin d’explication rationnelle faisant de l’élément humain le moteur de toutes choses. Cette situation est simplement vécue, sinon subie avec désespoir, fascination ou extase selon de qui l’on parle, dans son complet déchaînement, sans qu’aucun esprit parmi les acteurs-figurants de la chose ne soit capable d’embrasser tous les facteurs de causes à effets, des fondements et de leurs conséquences, et surtout de ses causes originelles. C’est pourquoi, cette situation d’hyper-surpuissance, née selon nous d’irrésistibles mécanismes pervers dont l’origine renvoie au phénomène du “déchaînement de la Matière” et dont la volonté de destruction (selon le schéma dd&e) est avérée, qui accélère jusqu’à la démence une pathologie fondamentale de la psychologie de ceux qui la favorisent, cette situation donc ne peut déboucher sur un ordre fondé sur les liquidations en question ; elle ne peut déboucher au contraire que sur une accélération entropique massive et extrêmement rapide du désordre attaquant prioritairement l’aspect apparemment structuré de la dynamique de surpuissance, et réalisant ainsi l’équation surpuissance-autodestruction. Bien entendu, cette équation surpuissance-autodestruction s’applique également et parallèlement, au niveau ultime, à la destruction du monde par le Système, autre dimension génocidaire du Système, cette fois contre la nature elle-même, qui est le facteur formidable écrasant et définissant pour la métahistoire la dimension catastrophique de cette crise d’effondrement ; et là aussi, certes, avec l’équation surpuissance-autodestruction, le Système, qui a pris possession de la nature, s’avérant nécessairement le premier touché par ce processus de destruction de la nature qu’il suscite. Le fait est, selon nous, qu’il ne s’agit pas ici d’une prévision relevant d’un catastrophisme quelconque mais bien de l’observation de la situation en cours, sous nos yeux.
Mis en ligne le 10 décembre 2013 à 08H47
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