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18995 février 2016 – Les primaires ont donc débuté, avec l’Iowa. D’une façon générale, les résultats sont passés comme une lettre à la poste dans la pensée-Système et la presse-Système, et dans les commentaires généraux. Ils se résument à un acte de foi, un jugement impératif, une évidence qu’il est inutile d’encombrer par une démonstration qui ferait un peu vulgaire : Hillary a accompli et bien entendu réussi son premier pas vers la nomination, c’est-à-dire son élection en novembre prochain. Le Monde nous dit qu’elle a été “égratignée” par Sanders comme lorsqu’on se balade, qu’on cueille une mure au milieu des ronces, et qu’on se griffe, et que ce n’est pas grave ; le New York Times avait tout prévu d’avance au risque de provoquer chez nous une nausée bien embarrassante qui aurait tout de même pu attendre les résultats, avec un long éditorial, le 31 janvier, nous décrivant la grandeur, la sagesse, la vertu de la candidate, et combien il ne pouvait rien arriver qui put mettre en question son élection d’ores et déjà faite. (« L’éditorial du Times de dimanche se déclarant en faveur de Clinton pourrait difficilement être plus fantaisiste [“narrativiste”] et hagiographique s’il avait écrit par l’équipe de communication de la candidate », écrit Norman Solomon, avec son insolence caractérisée.)
Il y a dans toutes ces certitudes affichées, caparaçonnées dans une superbe indifférence pour les vérités-de-situation, une volonté arc-boutée de verrouiller la narrative qui préside à la destinée du monde sans la moindre concession faite à la situation du monde. A proprement parler, un tel verrouillage et une telle position d’arc-boutée ne sont pas vraiment un signe de force et de sérénité dans la certitude du triomphe ; on irait même, pour se donner du cœur à l’ouvrage, jusqu’à faire l’hypothèse qu’ils tremblent de trouille, les 0,1% des 1% qui se démènent comme de très-beaux diables à effectuer leurs virements à six zéros aux “super-PAC”. $Mille $trillions de $mille $trillions de $mille sabords, dirait le capitaine Ad-Hoc.
Il n’est pas assuré que nombre de combattants antiSystème ne cèdent pas à ces sirènes de la certitude naissant pourtant d’une position de déroute générale et de complète faiblesse de l’“hyperimpuissance”, même si c’est pour s’insurger vertueusement contre elles : dénoncer les sirènes mais ne pas mettre en doute une seconde la chanson, paroles et musiques, qu’elles nous dispensent. La démarche est toujours la même, que ce soit pour l’applaudir ou pour s’en désoler : décrire la situation comme “normale”, c’est-à-dire conforme aux vœux de l’establishment, avec victoire de Clinton considérée presque comme dans la colonne “déjà fait” du “big Now”. Pourtant, d’ores et déjà cette seule dernière remarque mesure combien la situation qui a émergé de l’étrange (dans son déroulement) élection de l’Iowa ne peut pas être définie par la certitude : il est assuré que l’establishment ne compte, pour l’instant, que sur Hillary Clinton, même si Rubio (3ème chez les républicains) a fait un bon résultat en voix par rapport aux prévisions ; et encore Clinton manœuvre-t-elle avec la menace de l’Emailgate, qui est bien entendu décrite soudain comme dérisoire par la narrative du “tout est normal, tout se déroule selon le plan prévu”.
Cela dit pour sacrifier au conformisme de la narrative-Système, il est évident que l’événement de l’Iowa a provoqué un changement conjoncturel de l’intérêt (“conjoncturel”, donc qui est amené à évoluer selon les résultats à venir). C’est de Trump à Sanders que, pour des raisons évidentes, s’est portée l’attention réelle (même celle du Système, hors de sa narrative, lorsqu’il chuchote, parce que, soudain, malgré son pavlovisme bien huillé, il n’est plus assurée qu’elle seule [Hillary] compte). En effet, si Trump a connu un faux-pas qui ouvre une interrogation sur son sort, Sanders a par contre réalisé une performance indiscutablement brillante, correspondant, en dépit de tous les obstacles, pressions, illégalités, magouilles et autres qui se sont dressées contre lui, à rien moins qu’un triomphe. Norman Solomon, déjà cité, détaille dans le texte référencé les diverses tentatives de “révolutions” anti-establishment qui ont eu lieu au sein du parti démocrate depuis celle, réussie même si ce fut une “révolution” aisément récupérable, de Roosevelt en 1932 : il y en a eu quatre (compris celle de Sanders), et bien entendu tout se concentre autour du sort de cette quatrième tentative qui présente la caractéristique de se faire dans une situation si complètement exceptionnelle qu’elle concerne toute la situation politique de l’américanisme (pas seulement les démocrates), et d’une façon générale la situation politique du monde.
« By demanding a “revolution” to shift power away from Wall Street, Sen. Sanders is attracting millions of young Americans who want fundamental change. He’s also upsetting the Democratic establishment which favors only incremental “reforms” acceptable to corporate interests, as Norman Solomon notes. [...] Now, as the delegate selection process for 2016 gets underway, we’re in the midst of the first major insurrection against the Democratic Party power structure in 28 years. The millions of us who support the Bernie Sanders campaign — whatever our important criticisms — should aim to fully grasp the huge opportunities and obstacles that await us. »
• Il est remarquable que le site WSWS.org, qui consacre un long article au “Vote Sanders dans l’Iowa” le 3 février, mette de côté dans ce texte son approche très critique du candidat qui se définit lui-même comme “socialiste”, et qu’il (WSWS.org) considère en temps normal comme le faux-nez de Wall Street, qu’il accable de sarcasmes de type-trotskiste et ainsi de suite. Cela implique que ce site particulièrement austère, formaliste, psycho-idéologiquement super-rigide, surtout pour la politique aux USA, s’est pour une fois départi de cette réserve qui est la carapace habituelle de sa vertu idéologique.
Pour l’essentiel, il salue donc le résultat de Sanders, qu’il voit comme le signe d’un mouvement populaire extrêmement puissant. Dans ce cas, WSWS.org fait sans le vouloir, – nous ne le clamerons pas trop haut pour ne pas heurter ces âmes pures, – de l’antiSystème par effraction, sur la gauche de la gauche de la gauche, – mais quoi, il fait de l’antiSystème, et c’est ce qui compte d’autant plus que c’est si rare. (Nous répétons que ce jugement vaut pour ses démarches sur la politique US.) Il y a même cette occurrence rarissime où WSWS.org cite (dans sa deuxième allusion) la campagne de Trump implicitement comme antiSystème sans déverser contre lui son habituel torrent d’anathèmes et de fureurs.
« Iowa Democratic Party officials declared Hillary Clinton the winner of the Iowa Democratic caucuses Tuesday afternoon by the narrowest of margins. The former secretary of state edged Vermont Senator Bernie Sanders by 699 to 695 in delegates to the state convention, with two state delegate equivalents still to be determined. More significant was the announcement of the total turnout of 171,109, divided nearly equally between the two candidates. Approximately 85,000 people—a third of them young people under 30—cast votes for Sanders, a candidate who identifies himself as a “democratic socialist.” This is 30,000 more than the number of people who voted for Senator Ted Cruz, the ultra-right winner of the Republican caucuses, and nearly double the vote for the massively hyped campaign of billionaire Donald Trump.
» Sanders rolled up a huge margin among younger voters: those 17-29 supported him over Clinton by 86 percent to 11 percent; Democratic voters in the 30-44 age bracket also gave him a majority. Lower-income voters, those making under $30,000 a year, backed Sanders heavily, as did those in the $30,000-$50,000 a year range. Clinton’s support was concentrated among upper-income and older voters, particularly those over the age of 65, who turned out in large numbers. Entrance/exit polls found that the Vermont senator’s claim to be a socialist was one of the main attractions of his candidacy, as far as his supporters were concerned. Sixty-eight percent of Democratic caucus-goers regarded having a socialist president as a good idea, with 31 percent strongly in favor.
» The mass support for Sanders explodes the myth, peddled endlessly by the American media, that the American people are unalterably wedded to capitalism. In his speech to campaign aides and volunteers Monday night in Des Moines, Sanders reiterated the condemnations of economic inequality, the criminality of Wall Street and the corruption of the US political system by big money that have been the basis of his campaign. Hillary Clinton sought, however awkwardly, to strike a populist pose as well, telling her supporters Monday night that she too was a “progressive” who shared her opponent’s goals of universal healthcare, good jobs and rising wages, only differing on the best methods to achieve them.
» The broad support for Sanders’ campaign has taken the corporate-controlled media by complete surprise, an expression of the vast chasm that separates the entire establishment and the mass of the American people. Now the commentators and pundits express bemusement over the hatred of Wall Street and the corporate elite—expressed in a left-wing form in the Sanders campaign and in a right-wing form in the campaign of billionaire real estate mogul Donald Trump—when, according to the media, American society is doing well, particularly compared to its European and Asian rivals. »
• Justin Raimondo, comme l’on sait, est devenu un fervent partisan de Donald Trump, non à cause du programme ni de la personne de The Donald, mais parce que ce candidat est pour lui le plus anti-interventionniste et le plus anti-establishment. Son commentaire du 3 février ne cache pourtant pas combien l’Iowa a été pour Trump une sérieuse déception, ce qui fait de la situation républicaine une “énigme enrobée de mystère” où l’élan acquis par Trump se trouve brusquement mis en question.
Mais Raimondo est finalement, malgré ses engagements très marqués sur la droite libertarienne, en essence un véritable antiSystème. Il accorde donc une grande importance à la performance de Sanders, au fait qu’il ait mis à mal le tabou qui veut qu’aux USA le mot “socialisme“ tue politiquement celui qui se targue de favoriser cette orientation, et lui-même, Raimondo, qui n’est pas loin d’avoir cette considération pour le concept, ne cache pas la satisfaction qu’il a éprouvée de ce principal enseignement de l’Iowa. Cela, c’est bien être antiSystème dans le fait de savoir qui est l’“ennemi principal” et de tout sacrifier à l’attaque contre lui.
« The good news for anti-interventionists out of Iowa is that Bernie Sanders has defied the conventional wisdom and effectively delayed the coronation of Hillary Rodham Clinton. In spite of a ramped up effort to isolate the Vermont socialist from the Democratic mainstream, Hillary is in for a bruising fight that will only get bloodier when Sanders smashes her in New Hampshire, as seems likely. [...]
» On the Democratic side of the equation, the populist insurrection against the Establishment scored a stunning victory in Iowa. In spite of a number of dicey Clintonesque incidents – thanks to some very questionable shenanigans, the real results may never be known – the Sanders team managed to fight the Clintonians to a draw. That is a huge blow to Queen Hillary’s coronation plans. She is looking at a looming defeat of major proportions in New Hampshire – that is if the poll numbers hold – and what two major beatings prefigure on Super Tuesday is anybody’s guess.
» So far the Sanders campaign has gone easy on Hillary, with the candidate declaring his indifference to the email scandal – in spite of the fact that whistleblowers have suffered grievously for what she appears to be getting away with – and stupidly insisting on running a “positive” campaign. Some observers, this one included, have seen this as evidence that the Sanders campaign, instead of being a genuine rebellion, is in fact a means for the Clintonians to herd reluctant leftists into the Democratic column in the general election. After all, if Bernie fails to get the nomination, is there any doubt that he’ll endorse Hillary?
» Yet this matters less than either Sanders or Team Clinton imagine. Unlike the Trumpist revolt on the Right, the Sanders “political revolution” has little to do with the personality of its leader. It seems genuinely to be about ideology. A stunning 48% of Iowa voters described themselves as “democratic socialists” in one poll: there lies the future of the Democratic party. The vast majority of those voters are, like Sanders, opposed to the endless wars and an expensive empire that drains the country of funds they want to maintain the welfare state. [...]
» What this all means in terms of the politics of foreign policy in this country is that the bipartisan interventionist consensus, which has ruled the roost in Washington since the end of World War II, is under heavy assault from both the left and the right. Whether this pincer movement can succeed in ousting the mandarins of Empire remains to be seen: but one thing we do know – it’s going to be an epic battle. So get out the popcorn, and pull up a chair – the show’s already started! »
• Pour terminer cette revue de quelques commentaires qui sont pour nous des “faits intellectuels” permettant de donner une assise variée constituant une vérité-de-situation là où la réalité-qui-n’existe-plus s’avère impuissante pour nourrir notre jugement, nous donnons une rapide interview de Diana Johnstone à RT-France. Il y a déjà eu quelques interventions de Johnstone sur notre site, et cette “dissidente” antiSystème placée à gauche sur l’arrangement politique aux USA, est aussi, en général, plus pessimiste dans ses analyses. Elle nous donne ainsi, dans ce rapide interview, une vision qui est sans la moindre concession à d’éventuelles supputations, qui tient froidement compte, d’une façon réaliste, de la puissance du Système. Ce n’est pas nécessairement notre approche, et c’est bien entendu la raison également de notre choix de la citer entièrement dans cette interview, avec le mérite de la clarté.
Johnstone nous donne un point de vue qui a toute sa cohérence et son intérêt, et qui nous donnera par ailleurs un point d’appui bienvenu pour notre commentaire, un peu plus loin dans cette analyse. (L’interview a été publié le 2 février sur le site de RT-France, avec le titre : « Primaires de l’Iowa : “Toutes sortes de manipulations à venir pour assurer la victoire de Clinton” ». Le plus récent livre de Johnstone, publié à l’automne 2015, porte sur la personnalité et la carrière d’Hillary, et surtout sur la politique-Système des USA qu’elle est évidemment absolument prête à poursuivre avec un extrémisme pétulant et sans la moindre réserve : Hillary Clinton, la Reine du chaos. [Voyez un entretien particulièrement intéressant, notamment par sa clarté, de Johnstone, également avec Jean Bricmont, à propos du livre Hillary Clinton, la Reine du chaos, le 26 octobre 2015].)
RT France : « Bernie Sanders est persuadé que son résultat lors du caucus de l’Iowa est déjà une victoire. Comment l’interprétez-vous ? »
Diana Johnstone : « A moins d’être écrasés, les candidats se proclament toujours victorieux. Pour Bernie Sanders, c’est effectivement une victoire morale, vu que cet homme relativement peu connu est parvenu à faire presque jeu égal avec la grande favorite du Parti démocrate, du complexe militaro-industriel, des médias et de l’argent… en bref, de l’establishment. Pourtant, il reste des points sombres dans la proclamation des résultats qui pourraient faire craindre toutes sortes de manipulations à venir pour assurer la victoire finale de “la favorite”. »
RT France : « Sur les 1 700 caucus organisés dans l'Iowa, six ont été le théâtre de tirages au sort pour départager les deux candidats arrivés à égalité parfaite. Est-ce démocratique de décider le sort du candidat avec une pièce de monnaie ? »
Diana Johnstone : « Il s’agit apparemment d’une coutume locale de l’état de l’Iowa, dont les manières d’organiser les primaires sont très particulières. Oui, cela semble bizarre, et cela me fait remarquer que le chemin vers le pouvoir est semé d’embûches et que la machine Clinton est bien placée pour en tirer parti. »
RT France : « Quelles sont les chances de Bernie Sanders contre Hillary Clinton dans ces primaires démocrates ? Peut-on déjà faire un pronostic ? »
Diana Johnstone : « En général, j’évite les prévisions car la vie est pleine de surprises. Mais une victoire de Bernie Sanders serait une telle défaite pour les pouvoirs dominants – politique, financier, médiatique – qu’il est difficile d’imaginer qu’une telle constellation de puissances ne puisse pas arriver à l’empêcher. L’espoir le plus réaliste, c’est que la campagne de Sanders serve à renouveler la vie politique à gauche après une défaite qui laisserait un goût amer à ses très nombreux supporters. »
RT France : « Est-ce que le résultat de Marco Rubio vous étonne ? Quel est votre avis sur les perspectives de Donald Trump face aux autres candidats républicains ? »
Diana Johnstone : « Chez les républicains, l’étonnement n’est plus possible. Dans son déclin intellectuel dramatique, ce parti est devenu un objet d’études sociologiques plus que politiques. Mais je soupçonne qu’une fois l’effet de surprise (inspiré par son franc parler) passé, la réussite initiale de Trump dans les sondages s’avère éphémère. L’appareil du Parti ne veut absolument pas de lui, les médias l’exècrent, les minorités en ont peur, le monde de la culture et les intellectuels l’ont en horreur et ses adhérents manquent de cohérence. A la fin, tout risque de rentrer dans l’ordre avec un candidat républicain assez médiocre qui favorisera la victoire d’Hillary Clinton. »
Si nous disons que l’interview de Diana Johnstone nous donne “un point d’appui bienvenu pour notre commentaire”, c’est parce que nous voulons orienter ce commentaire vers une hypothèse que nous combattons le plus souvent même s’il nous faut évidemment admettre son existence et sa puissance ; une hypothèse dont nous parlons peu parce que tout le monde (surtout la presse-Système) en parle et qu’il n’y a, en général, pas grand’chose d’intéressant à en dire sinon la description massive d’un événement convenu poursuivant la même chose (GW/BHO/politique-Système) en pire. Par ailleurs, nous tenons compte fondamentalement de notre conviction que la réalité s’est désintégrée totalement et que la seule connaissance du monde dépend de l’enquête permanente qui doit être faite pour tenter de distinguer dans l’amas de ruines de la réalité les quelques vérités-de-situation éclairantes qui correspondent rarement aux éditos de la presse-Système.
Ainsi considérons-nous que l’hypothèse principale de la toute-puissance inarrêtable du Système que nous tenons en fait pour une surpuissance produisant son autodestruction favorisant les hypothèses antiSystème, n’est rien d’autre qu’une hypothèse et, dans le climat faussaire et subversif général, une hypothèse qui peut aisément s’avérer elle-même complètement faussaire et subversive, et par conséquent qui peut se volatiliser complètement en un instant. C’est bien entendu une des raisons qui nous fait privilégier les hypothèses antiSystème parce qu’elles contribuent à entretenir le sentiment de la possible/probabilité de la fragilité du Système ; par ailleurs, parce que dans cette subjectivité complète, il faut faire un choix et que notre choix va dans la promotion de l’antiSystème naturellement ; par ailleurs encore et enfin, parce que nous déterminons aisément des vérités-de-situation qui vont dans ce sens.
Mais si nous faisons ce que nous rejetons d’habitude (orienter notre commentaire vers cette “hypothèse que nous combattons le plus souvent” par hostilité, et par manque d’intérêt de cette hypothèse), c’est parce que, paradoxalement, nous jugeons tout de même y trouver des choses intéressantes et qu’il nous importe de les dire. Bien entendu, cette hypothèse est celle, unanimement applaudie par tout ce qui est lié au Système, de la victoire de Clinton vue comme une issue souhaitable et vertueuse.
Ces “choses intéressantes” portent sur deux domaines que nous développons à ce point du processus des élections présidentielles, dans le cas de la victoire d’Hillary Clinton, – dont nous continuons à penser qu’elle reste une hypothèse conjoncturellement et opérationnellement très loin d’être assurée. Cela signifie qu’en développant les remarques qui suivent, qui impliquent une victoire de Clinton, nous ne tenons aucunement pour acquise cette possibilité tant ce que la primaire de l’Iowa ne nous a montrés qu’une chose, qui est le désordre où se trouvent aujourd’hui ce processus, et par conséquent le Système lui-même qui devrait pouvoir contrôler ce processus dont il assure prétendument la maîtrise.
La première de ces “choses intéressantes” est un des grands principes de notre travail qui contient en lui-même une contradiction permanente avec laquelle nous devons continuellement composer. A partir de ce que nous jugeons de l’état du Système (point de surpuissance où la surpuissance produit son autodestruction), et tenant compte du constat constamment réaffirmé que le Système est d’une puissance absolue à laquelle rien ne se peut mesurer, se pose un dilemme contradictoire, entre tactique et stratégie.
• Tactiquement, mais aussi, bien entendu, par sentiment de choix et d’engagement sans restriction, nous sommes constamment conduit à favoriser tout ce qui peut avoir une vertu antiSystème. Mais il s’agit souvent d’une occurrence tactique, avec bien peu de chance d’interférer directement et décisivement sur la stratégie. Pour en rester aux élections présidentielles US, nous sommes conduits bien entendu à soutenir le duo Sanders-Trump, que nous avons identifié comme de type-antiSystème. Pour autant, nous n’espérerions rien de fondamental dans la victoire elle-même de l’un ou de l’autre. (D’une façon générale, c’est le désordre que susciterait une victoire de l’un ou de l’autre qui nous paraît intéressant, comme nous l’avions vu, par exemple dans le cas de Trump.)
• Stratégiquement, et dans cette mesure où nous attribuons au Système une capacité formidable d’autodestruction, nous serions conduits à considérer que la victoire d’une Clinton constituerait un pas important dans l’accélération de la politique-Système, et donc des actions déstructurantes qui portent en elle-même une très grande capacité d’autodestruction ; le Système étant alors beaucoup plus conduit à des actions qui aboutirait à “faire aïkido” contre lui-même... Cela nous semble particulièrement le cas avec une Hillary Clinton, qui apparaît comme le type de psychologie la plus apte à un pousser à ses limites extrêmes un tel emportement, à la différence d’un Obama et même d’un GW Bush. C’est Hillary Clinton qui nous servit, en son temps, comme modèle archétypique de la définition de l’affectivisme comme force principale activant une politique-Système. (“Affectivisme”, que nous avions d’abord nommée “affectivité” : « La raison devenue “idiote utile” de l’affectivité ») Bien entendu, il est extrêmement difficile, d’un point de vue psychologique, de suivre ce raisonnement et de l’introduire dans une analyse, tant il constitue une contrainte affreuse du jugement, un viol du penchant naturel d’un antiSystème ; pourtant, nous pensons qu’à terme le raisonnement a toute sa valeur, et qu’une personnalité comme Clinton telle-qu’elle-est-devenue convient parfaitement, – c’est-à-dire, Clinton ayant perdu toute mesure et tout sens commun depuis 9/11 :
« Mais il est vrai aussi qu’à partir du début du XXIème siècle, de 9/11 pour être plus précis, cette même femme a perdu dans une sorte de dissolution paroxystique toutes ses qualités de mesure et de contrôle de son jugement, qu’elle a perverti son caractère, corrompu son âme et le reste. « Vous autres, Européens, vous n'imaginez pas l'ampleur de l'effet qu'a produit sur nous l'attaque du 11 septembre », disait le vice-président Cheney à l’ambassadeur français venu lui faire ses adieux, en novembre 2002. Hillary, aussi secouée que les autres, s’est transformée en harpie hallucinée du type R2P (Right-To-Protect), – qui est surtout le droit que s’arrogent les fous d’imposer leur sagesse démocratique à coups de bombes intelligentes, à qui passe à portée de drone. Elle est devenue, plus qu’aucun autre et qu’aucune autre, une représentation pressante et acceptable d’une Amérique devenue folle. »
La seconde de ces “choses intéressantes” complète et élargit la première. Clinton est, dans cette campagne, dans un état d’esprit très spécifique, c’est-à-dire au paroxysme de ce que nous indiquions dans les lignes précédentes, parce qu’elle se juge seule à pouvoir et à devoir être élue, parce que ces dernières années comme secrétaire d’État, puis s’occupant de faire prospérer une fortune à partir de cette position notamment avec diverses rentes venues du secteur bancaire et financier, ont constitué un formidable renforcement à cet égard. Dans cette élection, Clinton nage dans un océan de subvention de différents donateurs, notamment de Wall Street, de Soros, et autres “usual suspects”, sans aucun doute bien plus que tout autre candidat. Cette corruption la charge d’une psychologie extrêmement spécifique, qui constitue une parfaite description de personnalité-corrompue du Système, ce qui finit malgré tous les votes et victoires possibles à en faire un personnage absolument insupportable par sa charge de corruption, de suffisance, d’affectivisme et d’hybris postmoderniste (une civilisée du type-“We Came, We Saw, He Died”). En en sens, même si elle arrive à rassembler des voix en nombre suffisant grâce à la surpuissante charge du Système, elle rassemble en même temps contre elle, et parfois des mêmes qui votèrent en sa faveur, un potentiel de haine et d’agressivité extraordinaire, y compris dans son propre parti, y compris dans le monde politique washingtonien et dans le monde parlementaire..
Cette situation pourrait ressembler, si l’on se reporte à la classification que Norman Solomon fait de l’évolution au sein du parti démocrate, à la situation de 1972, lorsque le parti démocrate réussit une “révolution progressiste” en parvenant à la désignation du sénateur McGovern (de la gauche progressiste du parti) pour l’élection présidentielle. Solomon écrit : « Although the nomination eventually went to Johnson’s vice president Hubert Humphrey – a supporter of the war who was the choice of Democratic power brokers – the unmasking of the party’s undemocratic process led to internal reforms that aided the Democratic Party’s second modern insurrection. It came four years later, when Sen. George McGovern won the presidential nomination, thanks to grassroots movements involving young people and activists of color. But any sense of triumph disappeared in the wake of President Nixon’s landslide re-election in November 1972. »
Cette comparaison que nous faisons est entre celle d’un Nixon réélu triomphalement contre un courant réformiste puissant, et l’hypothèse de l’élection d’une Clinton contre un courant de la même sorte, – tout cela, en mettant à part les classifications, les étiquettes, etc., des uns et des autres, des républicains et des démocrates, etc. On peut même dire qu’à cet égard, Clinton serait dans une position pire, avec un fort courant réformiste dans son propre parti et une base républicaine qui cultive contre elle une haine irréfragable. L’analogie devient alors qu’il s’agit dans les deux cas de deux politiciens confirmés, déjà usés par des antagonismes durables dans l’appareil du gouvernement : pour Nixon, c’était l’évidence après un premier mandat de quatre ans qui fit notamment de l’état-major un de ses adversaires les plus acharnés et l’instigateur de ce qui allait devenir le scandale du Watergate.
Pour Clinton, ce ne serait pas moins le cas d’une usure du pouvoir finalement, après son mandat de secrétaire d’État et les traces qu’elle a laissés à la suite, avec quelques bombes à retardement et notamment l’Emailgate ... Si elle était élue, cela signifierait qu’elle n’aurait pas été inculpée par la grâce de son prédécesseur, mais qu’elle aurait contre elle un ennemi formidable dans le chef du FBI (qui a mis à jour et étalé l’Emailgate), et d’autres avec divers autres services de sécurité, l’ensemble disposant d’armes semblables à à celle qui emporta Nixon dans le Watergate. Des fractions non négligeables des forces armées, comme la DIA déjà célèbre pour son opposition aux guerres type-neocon, ont déjà une position hostile arrêtée à cet égard. (*) On peut dire que Clinton commencerait son premier mandat avec l’usure d’un président qui aurait déjà quatre ans de présidence, et pour cela d’autant plus vulnérable dans sa position intérieure qu’elle ne manquerait pas de déployer sa politique maximaliste.
Pour ces diverses raisons, on peut penser qu’elle constituerait un cas et une personnalité propices à susciter des emballements du Système dans le sens qu’on signalait plus haut, notamment au contraire de ses deux sinon, trois prédécesseurs (son mari compris), qui débutèrent leurs mandats respectifs comme vierges et néophytes, bénéficiant de ces périodes de répit que d’aucunes nomment “état de grâce“. Avec Hillary, la guerre interne et le désordre externe qui caractérisent notre époque ne connaîtraient aucun répit et se trouveraient même haussées à un niveau supérieur. C’est pour cette raison que l’analyse stratégique conduit une pensée antiSystème comme celle qui nous habite à juger que cette élection pourrait s’avérer très difficile, et peut-être décisive selon les circonstances, pour le sort du Système, alors que sa réaction immédiate, et tactique, d’antiSystème pousse évidemment à souhaiter sa défaite par tous les moyens possibles.
Note
(*) Précisons à cet égard et pour fixer le propos analogique que, de notre point de vue le plus général possible selon ce que nous estimerions être le “bien commun”, les militaires US ont aujourd'hui une position inverse à celle qu'ils avaient en 1970-1973, Nixon étant en général et dans la mesure de ses possibilités un homme politique de type-structurant au contraire de Clinton, complètement de type-déstructurant.
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