Une tentative de “coup d’Etat” d’un nouveau type

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Une tentative de “coup d’Etat” d’un nouveau type

L’audition de Chuck Hagel par la commission des forces armées du Sénat, avant le vote sur sa désignation par le président Obama, est un cas sans précédent dans les annales du Congrès. (Il y a déjà eu quelques très rares nominations de secrétaire à la défense refusées ou abandonnées, mais jamais selon un dossier monté de toutes pièces, et aussi ouvertement et avec une telle impudence, comme c’est le cas ici.) Cette absence de précédent est remarquable dans le sens où elle introduit une dimension politique et même quasi-institutionnelle… Nous parlons effectivement d’une sorte de “tentative de ‘coup d’État d’un nouveau type”.

On a déjà vu un aspect de la chose, pour ce qui concerne le contenu (les questions) de ces audiences, notamment dans notre texte du 5 février 2013, où nous citons Stephen M. Walt, auteur avec John Mearsheimer d’une étude en 2007 sur l’influence du lobby israélien sur la politique extérieure des USA qui fit très grand bruit et souleva une colère extraordinaire de la part des milieux pro-israéliens, et notamment des parlementaires de cette tendance extrême. Walt écrit ceci dans Foreign Policy, que nous avons cité dans le texte référencé, en mettant en évidence l’aspect grotesque de la situation où un secrétaire à la défense nommé par le président n’est quasiment pas interrogé, ni sur la stratégie du Pentagone, ni sur ses grands choix d’armement, ni sur ses grandes orientations, etc., – pour s’en tenir à “Israël, Israël, Israël”, – 166 fois…  :

«I want to thank the Emergency Committee for Israel, Sheldon Adelson, and the Senate Armed Service Committee for providing such a compelling vindication of our views. As Rosie Gray amd Andrew Kaczynski of Buzzfeed noted, at yesterday's hearing on Chuck Hagel Israel was mentioned 166 times, and Iran (a problem closely linked to Israel) 144 times. Afghanistan was mentioned only 20 times, and the problem of suicides of U.S. troops only twice. Glad to see that those Senators have their priorities straight. No wonder Mark Twain referred to Congress as “the smallest minds and the selfishest souls and the cowardliest hearts that God makes.”»

• Le 8 février 2013, la publication spécialisée dans les affaires du Congrès The Hill publiait un texte sur la situation du processus de nomination de Chuck Hagel. D’une façon générale, ce texte décrivait effectivement l’extraordinaire acharnement de la commission contre Hagel, qui est quasiment le fait de la hargne et du sens de l’organisation d’un seul homme, le républicain Lindsey Graham. (Graham fait partie de la troïka hyper-belliciste, hyper-“israelolâtre” avec les sénateurs Lieberman et McCain. Lieberman a quitté le Sénat en 2012 et McCain, très vieux et plus fantasque que ses deux compagnons, a participé à l’attaque contre Hagel au sein de la commission mais s’est montré plus modéré dans ses intentions institutionnelles. Graham, lui, soutient l’utilisation de la technique du filibuster contre la nomination de Hagel, lorsque celle-ci sera soumise au vote du Sénat a complet). The Hill interroge le président la commission des forces armées, le démocrate Carl Levin, sur les conditions de l’audition. Levin, qui en a manifestement assez, les décrit comme “sans précédent”, – et l’on en était, jeudi, lors de l’interview, au stade de l’épluchage de la situation financière personnelle de Hagel, pour tenter de le prendre en défaut au niveau de ses activités professionnelles hors-politiques. (L’on sait que les sénateurs, les “israelolâtres” et le Lobby sont des références imparables en matière d’éthique de la corruption et des arrangements financiers.)

«Senate Armed Services Committee Chairman Carl Levin (D-Mich.) said the demands for information Republicans are making of former Sen. Chuck Hagel (R-Neb.) were unprecedented for a Defense nominee. Levin said Thursday that a committee vote on Hagel would proceed “as soon as possible,” and that the request for financial information from groups Hagel is affiliated with would not slow the process. The requests are “things no prior candidate has ever been asked for, way beyond what the rules of the committee are,” Levin told reporters. “He has provided all of the financial information that was required.”»

• La Maison-Blanche est intervenue pour presser la commission de voter, parce que les affaires de gouvernement n’attendent pas et que le Pentagone, lui, attend son nouveau chef, – et l’on sait l’état de désordre et d’incertitude où se trouve le Pentagone. Le site Government Executive a publié un texte, le 6 février 2013, à partir de confidences d’“officiels” de la Maison Blanche. Il précise que la Maison-Blanche continue à croire à un vote favorable du Sénat (le vote de la commission des forces armées n’étant qu’une recommandation, dans un sens ou l’autre on verra, faite au Sénat), mais que ce sera “un vote serré” (le décompte proposé est de 57 voix pour Hagel, sur 100 sénateurs). La Maison-Blanche, comme tous les commentateurs en général, estime que Hagel a été loin d’être bon lors des auditions, essentiellement à cause du traitement hystérique et hyper-Maccarthyste qui lui fut appliqué grâce à l’orchestration de Lindsey Graham. Hagel a eu des rencontres informelles, hors des auditions de la commission, avec d’autres sénateurs, et elles ont été en complet contraste à cet égard («And those meetings are said to have gone better than his public berating at the Senate Armed Services Committee. “They have a very different tone than that hearing had,” the official said…»). Government Executive poursuit, en citant toujours ses sources, – et l’on notera les derniers mots, soulignés en gras par nous…

«The administration official acknowledged that Hagel’s performance had not enriched his candidacy, but countered that Republicans had missed opportunities in dwelling on Pentagons past, rather than pose questions about how the department will manage the 66,000 troops still in Afghanistan when they come home, including veterans’ issues like post-traumatic stress disorder. “It was probably the most political defense secretary hearing we’ve ever seen,” the official said, calling it “a new kind of hearing.”»

On voit qu’il y a suffisamment d’indices pour considérer cette audition de confirmation de Hagel devant la commission des forces armées comme absolument exceptionnelle. On en a déjà détaillé les bassesses, les fourberies, qui en font un exemple remarquable de barbarie postmoderne (nous parlons de “barbarie intérieure”) exercée en toute quiétude dans les salles feutrées et pompeuses du bâtiment du Congrès des États-Unis… La barbarie ne nécessite pas nécessairement, selon nos normes courantes, une barbe hirsute, un Kalachnikov brandi et des incantations sans aucun doute religieuses et extrémistes proférées en un langage auquel les sénateurs et leurs financiers divers, du Lobby à Wall Street, sont totalement étrangers ; la barbarie s’arrange de tous les masques, de tous les visages, et plus le visage est pomponné, aspergé d’une eau de toilette grand cru et rasé de près, comme celui de Lindsay Graham, plus elle nous paraît sournoise, lâche, immonde et détestable.

Or, il est essentiellement question d’un homme, Lindsay Graham. Nous pensons que le traitement inquisitorial type-postmoderne appliqué au sénateur Hagel ne vient pas de consignes directes du lobby (l’AIPAC, qui s’est prudemment défaussé d’une action organisée) ni des habituels canaux du genre organisant le complot habituel, mais bien, dans son intensité extraordinaire, de la vindicte d’un seul homme, Lindsay Graham. Le sénateur Graham est corrompu comme les autres, rien d’original, acheté par l’AIPAC comme les autres, c’est du courant, mais il présente une particularité psychologique qui fait de lui une espèce complètement à part, – même par rapport aux deux autres Pieds Nickelés Lieberman et McCain. C’est plus un cas pathologique qu’un cas psychologique, mais dans une enceinte, dans une capitale, au cœur du Système, ou parler de psychologie c’est quasiment parler de pathologie. Le cas extraordinaire de ce qui devrait être nommée “l’affaire Gragham-Hagel” est que tout semblerait dépendre de ce seul homme (Graham), et la façon dont il a dynamisé l’opposition à Hagel d’un certain nombre de ses collègues républicains (dont le sénateur Inholfe, qui préside la minorité républicaine à la commission des forces armées), jusqu’à faire envisager la décision éventuelle de déclencher au niveau du Sénat dans son ensemble l’infernale tactique du filibuster consistant à entraver jusqu'au désordre le plus complet et à la paralysie momentanée de l'institution les débats et le vote qui s’ensuit (sur la nomination de Hagel) par des artifices de procédure. On mesure la position de Graham dans ses déclarations faites également à The Hill

«Sen. Lindsey Graham (R-S.C.) said that without the information from Hagel, he would have “a hard time” proceeding forward with the confirmation. “Sen. Levin can say that some of this is out of bounds, and he may be right, some of this may be unprecedented. But this is a sort of an unprecedented nominee,” Graham said. Asked why this information was being asked of Hagel and not prior nominees, Graham said: “I don’t think we’ve had previous nominees with this sort of, kind of, hostile attitude toward a friend like Israel. “I think what we’re all looking for is, did Sen. Hagel get on the speaking circuit to [speak to] anti-Israeli groups?” Graham said. “What kind of things did he say about Israel and other potential allies?”»

Le cas est finalement considérable… Si l’on considère le grand cas qui a été fait du cas Hagel, la dimension affirmée du personnage, les intentions qu’on lui prête, sa personnalité, le caractère extraordinairement politique de sa nomination et des auditions de confirmation («It was probably the most political defense secretary hearing we’ve ever seen», voir aussi le 7 janvier 2013), on doit considérer, – quelle que soit la réalité, à l’usage si Hagel est nommé, de toutes ces appréciations et caractéristiques, – que l’opposition actuelle à cette nomination constitue une forme de “coup d’État” constitutionnel parce qu’elle porte en elle-même des effets extraordinairement puissants sur la politique extérieure des USA, sur sa direction, sur son contrôle, sur les prérogatives du président et de ses ministres, etc. La formule est inédite et remarquable à cet égard, – «a new kind of hearing», comme l’on dit “un nouveau type de ‘coup d’État’”. Dont acte, par conséquent…

“Dont acte”, mais en prenant tous les aspects de la chose en considération. Plus que l’émergence d’une dictature type Maccarthyste derrière le visage avenant du sénateur Graham avec en sautoir l’agitation vertueuse de l’AIPAC et du milliardaire-gangster sioniste Sheldon Adelson, c’est un signe de plus du désordre que nous voyons, et donc le Système per se, en toute autonomie, en pleine action. (Dans ce cas, Graham est complètement dans le rôle de représentant du Système.) Alors qu’ici on constate combien le président est sur la défensive, puisqu’au travers de la nomination de Hagel c’est son pouvoir qui est contesté d’une façon méprisante et furieuse, là on sait bien qu’Obama rassemble des pouvoirs quasi-dictatoriaux au su et au vu de tous, y compris au Sénat certes, sans que personne n’ait le courage ou l’énergie de lever le petit doigt pour mettre en cause des initiatives qui sont constitutionnellement fort douteuses. Bien entendu, ce contraste, cette opposition de tendances, est une parmi mille qu’on peut constater et suivre aujourd’hui au cœur du Système. La seule unité qu’on peut trouver dans ce désordre général est l’extrémisme, la radicalisation, le bellicisme destructeur, – bref, tout ce qui rapproche toujours et encore de la formule déstructuration-dissolution-entropisation.

 

Mis en ligne le 9 février 2013 à 07H44