USA vs Iran : une balle dans le pied

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USA vs Iran : une balle dans le pied 

En se retirant du Plan d’action commun de 2015 et en réinstaurant les sanctions à vocation extraterritoriales, qu’elle entend de surcroit aggraver, l’administration américaine ne fait que desservir ses propres objectifs visant à insuffler une nouvelle direction politique, ou encore un renversement de régime, en Iran.  Au contraire, ces actions ne feront que renforcer le gouvernement iranien, et isoler les États-Unis.

Naïf est celui qui pense pouvoir déstabiliser les dirigeants iraniens avec des sanctions et des menaces. Il s’agit d’un régime révolutionnaire qui se complaît et puise sa force dans les crises. Ce régime a appris à jongler avec toutes les situations critiques depuis son avènement en 1979, que ce soit une guerre de huit ans particulièrement meurtrière déclenchée par l’Irak avec l’aval des Américains, la fuite de ses capitaux et cerveaux, ou un isolement quasi-total ainsi que des sanctions et des pressions américaines et internationales lourdes jusqu’en 2015. Ces crises n’ont fait que renforcer et consolider Téhéran. Cette nouvelle crise déclenchée par les États-Unis ne fera pas exception. Bien au contraire.

Le droit international n’est pas du côté des États-Unis. Les Iraniens ne sont coupables d’aucun manquement au Plan d’action commun. Aucun n’est d’ailleurs allégué par les États-Unis. Quant à l’Agence internationale de l’énergie atomique, elle a toujours déclaré sans la moindre réserve, tout comme d’ailleurs les propres services intérieurs des États-Unis, que les Iraniens avaient scrupuleusement respecté leurs engagements. En se retirant de l’accord dans ces circonstances, les États-Unis se décrédibilisent et fragilisent le droit international.

Nous sommes désormais bien loin des États-Unis qui historiquement prétendaient s’ériger en garant du droit. Ils fragilisent de même tout espoir de dialogue et de solution effective avec ses ennemis. On se demande bien quel dirigeant iranien, voire même étranger, oserait négocier de nouveau un accord de paix avec les Américains. 

Le Plan d’action commun n’est pas un accord bilatéral mais multilatéral signé par six signataires, outre l’Iran, dont les quatre autres membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, tous solidaires de l’Iran. Les rôles se sont ainsi inversés. Ce n’est plus l’Iran mais les États-Unis qui se retrouvent au banc de la communauté internationale. Téhéran ne peut ainsi que se réjouir de ce renversement inédit de situation.

Pire, les États-Unis se sont mis à dos les autres pays signataires, non seulement en dénonçant ainsi l’accord, mais également du fait de leur volonté d’adopter des sanctions visant à infliger des mesures punitives aux entreprises de ces autres pays signataires qui ont légitimement repris le commerce avec l’Iran, en toute confiance, sur la base des engagements signés.

Le gouvernement iranien a même eu de quoi jubiler lorsque la Commission européenne a adopté, le 6 juin 2018, un règlement visant à protéger ses entreprises face aux sanctions américaines. Ce règlement, qui doit entrer en vigueur le 6 août 2018, interdit aux entreprises européennes de se conformer aux effets extraterritoriaux des sanctions américaines, bloque la reconnaissance et l’exécution dans l’Union européenne des décisions judiciaires ou administratives américaines à cet égard, et ouvre le droit aux entreprises européennes de demander aux juridictions de l’Union réparation auprès des États-Unis pour tout dommage subi en raison des sanctions américaines visées par le règlement.

Le revirement américain est d’autant plus dénué de crédibilité, et dommageable à son égard, qu’il semble obéir plus à des préoccupations de politique intérieure qu’à des considérations relatives à l’objet même de l’accord, soit à la paix et à la sécurité régionale et internationale. Pire, la dénonciation du Plan d’action commun s’inscrit dans une suite d’initiatives ou déclarations américaines, accueillies défavorablement par la communauté internationale, comme la dénonciation de l’accord de Paris signé en 2015 sous l’égide de la Convention-Cadre des Nations Unis sur les changements climatiques, sa politique migratoire, la construction du triste mur, pour soi-disant protéger les États-Unis des “dangereux” migrants venu du Mexique, ou encore la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, et plus récemment l’instauration de tarifs douaniers susceptibles de conduire à une guerre commerciale.

La morale ne semble pas non plus être du côté des Américains. L’alliance ouverte des États-Unis avec l’Arabie saoudite dans cette croisade ne fait qu’aggraver sa situation. Le régime saoudien ne cache pas sa rivalité avec l’Iran, contre qui il est en guerre par pays interposés. Il connait les limites de sa propre société, restée tribale et encore  archaïque à de multiples égards, de même qu’il est conscient que son rival iranien dispose de toutes les ressources humaines, économiques, technologiques, militaires, ainsi que des attraits culturels et historiques, pour prendre définitivement les devants dans la région. L’Arabie saoudite achète ainsi ouvertement, à coup de pétrodollars, l’appui américain dans cette bataille, auprès d’un Président américain très sensible au commerce à court terme et à sa réélection prochaine. L’offensive américaine se trouve ainsi affaiblie, d’autant plus que les États-Unis justifient leur croisade contre l’Iran en mettant en avant de prétendues préoccupations civiques et démocratiques vis-à-vis du peuple iranien. Or, ces valeurs sont à l’antithèse du modus operandi de leur allié, l’Arabie saoudite. Nul ne peut contester que l’Iran est, par rapport au régime saoudien, un modèle sur ces sujets. 

L’excuse avancée par les Américains pour dénoncer le Plan d’action commun, tenant à son caractère prétendument déséquilibré en faveur des Iraniens, ne tient pas.  Elle est même absurde. Nul ne peut prétendre que l’Iran, isolé et confronté avant le Plan d’action commun aux sanctions et pressions les plus lourdes de son histoire, infligées par une communauté internationale unie en 2015, aurait pu faire plier des négociateurs aussi puissants et expérimentés que les États-Unis, mais aussi la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine et l’Union européenne, au point de leur faire signer un accord qui leur serait défavorable. L’excuse est en plus inopposable en droit international, qui ne permet pas la dénonciation d’un accord au seul motif que l’un de ses signataires le jugerait défavorable.

Il en va de même des autres raisons évoquées par l’administration américaine pour dénoncer le Plan d’action commun, soit l’interventionnisme iranien dans la région, ses missiles ou encore le caractère incomplet de l’accord qui ne traiterait pas de l’ensemble des sujets, et sa durée limitée à 15 ans. On ne peut cependant dénoncer un accord au motif qu’il est incomplet, limité dans le temps ou pour des raisons qui lui sont étrangères. Et cela d’autant plus que l’esprit et l’objectif mêmes des négociateurs de l’accord, bafoué depuis par l’administration américaine, était précisément de s’assurer d’une application de bonne foi de celui-ci avant d’engager des pourparlers sur d’autres sujets, en raison du climat de méfiance qui rendait impossible à l’époque la résolution de l’ensemble des différends. Rien n’empêchait par ailleurs les Américains d’initier des pourparlers sur les autres sujets sans dénoncer l’accord et sans agressivité. Or, les Américains n’ont pas même essayé. Cela aurait pourtant été préférable vu le passé chargé des États-Unis en Iran, et les spécificités de l’Iran et de son peuple.

Il s’agit d’une grave erreur de vouloir contraindre les Iraniens par la force. C’est pourtant bien de cela dont il s’agit. Les Américains ne s’en cache d’ailleurs pas. Ils demandent tout simplement aux Iraniens, à travers Mike Pompeo, l’actuel secrétaire d’État et ancien directeur de la CIA, de céder à douze exigences américaines, tout cela sous les menaces de sanctions et de renversement de régime.

Quelle diplomatie! Et quelle méconnaissance des États-Unis de leur propre histoire avec l’Iran. On pourrait citer le rôle de la CIA dans la chute du gouvernement de Mossadegh en 1958, la loi iranienne si humiliante de 1964 sur le statut des forces américaines en Iran, imposée par les États-Unis aux Iraniens, pour accorder l’immunité aux militaires américains et leur famille, ou encore l’ingérence américaine constante dans les décisions économiques et stratégiques du pays pendant le règne du shah d’Iran. Cet interventionnisme et cette insolence, que l’on retrouve aujourd’hui, avaient précisément contribué au soulèvement populaire de 1979 et à l’expulsion des américains du territoire iranien. Les États-Unis pourtant récidivent et aggravent leur cas alors que le temps commençait tout juste à effacer ces blessures, et que la jeunesse iranienne semblait désormais conquise par le modèle américain et la diplomatie plus respectueuse et équilibrée incarnée par l’administration Obama.

Quelle méconnaissance aussi de l’Iran et de ses rapports de forces internes. L’approche américaine ignore que même la majorité des opposants ne souhaite aucunement, en raison des précédents avec les Etats-Unis, un changement imposé par les Américains, mais aspire plutôt à une évolution interne. Tout gouvernement mené au pouvoir directement ou indirectement par des étrangers, et encore plus par les Américains, serait de courte durée en Iran. Il n’y a en tout état de cause pas la moindre alternative en l’absence d’une opposition crédible et organisée. Cela constitue une autre faille de la politique américaine.

Cette politique ignore également qu’elle affronte un empire ancien, lequel, pas plus tard qu’au XVIIIe siècle, avait conquis l’Inde, ainsi qu’un peuple fier et patriote que l’on ne doit surtout pas contraindre par la force pour parvenir à ses fins, au risque de le braquer et de le fédérer autour de ses dirigeants. C’est pourtant ce que les États-Unis ont fait. Ils viennent de fédérer le peuple iranien autour du régime en dénonçant le Plan d’Action Commun, et cela d’autant plus compte tenu des menaces proférées et des conditions précitées. Il en va de même des rivalités au sein du régime comme l’atteste les soutiens inédits des conservateurs et des différentes forces armées iraniennes au président Rohani. En sort également victorieux le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, qui prêche depuis des décennies que la parole américaine ne vaut rien. 

Pire, les États-Unis donnent une légitimité supplémentaire à la volonté des dirigeants iraniens, trahis et ouvertement menacés par les États-Unis, de renforcer leur arsenal balistique, et d’exploiter leur capacité de nuisance, jusqu’à présent utilisée avec grande modération, dans les pays frontaliers, notamment en Afghanistan ou en Irak, pour se défendre et contrer les intérêts américains dans la région.

On peut légitimement s’interroger dans ces circonstances sur la question de savoir si finalement les Américains ne sont pas leurs pires ennemis. On peut également se demander s’il n’est pas préférable pour certains d’accepter d’être l’ennemi des États-Unis. Le gouvernement iranien issu de la révolution, cible principale de la politique étrangère américaine depuis 1979, aura finalement perduré bien plus longtemps que celui du dernier shah d’Iran, pourtant meilleur ami et gendarme des américains dans le golfe Persique. Dans les cieux, Fidel Castro doit infliger en ce moment bien des discours à cet égard au pauvre Shah d’Iran.  Les dirigeants iraniens sont en tout état de cause bien placés pour le savoir et pour continuer à en tirer les conséquences et les bénéfices.  Ils sortiront sans aucun doute de cette épreuve plus soudés et renforcés, et les américains plus isolés et décrédibilisés. Quant à la paix et à la sécurité régionale et internationale, objet de l’accord dénoncé, il appartiendra aux autres membres du Conseil de sécurité et à l’Union européenne de les sauvegarder, en attendant l’alternance politique aux Etats-Unis.

Hamid Ghavari

 

Hamid Gharavi, avocat inscrit aux barreaux de Paris et de New York, est associé fondateur du cabinet parisien Derains & Gharavi spécialisé dans le règlement de différends arbitraux impliquant des États. Il a agi comme arbitre ou conseil dans des arbitrages internationaux et enseigne la matière à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. Franco-iranien, il intervient fréquemment sur des sujets d'actualité relatifs l’Iran. (Ce texte a paru sur RT-France le 26 juillet 2018.)