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768513 juillet 2015 – Il est très difficile, en ce jour précisément, après ce qui s’est passé ce week-end à Bruxelles, de commencer une analyse de la situation générale par autre chose que l’affaire européenne, – lorsque et parce que, comme c’est notre cas, l’on s’y trouve en son cœur, géographiquement et professionnellement, mais aussi socialement et psychologiquement... Il le faudrait pourtant parce qu’à côté de cette “crise grecque” évidemment devenue une Grande Crise européenne, partout grondent les crises et chacune peut autant prétendre potentiellement représenter la catastrophe prioritaire, – que ce soit en Chine, avec les suites du krach, en Ukraine où s’affirme l’affrontement entre Pravy Sektor et le pouvoir de Kiev, dans les relations des USA avec la Russie, en Égypte qui se trouve face à une poussée de l’EI/Daesh, aux USA où montent des appels à l’incivisme, dans les négociations sur le nucléaire iranien où tout accord résolvant enfin la crise sera à coup sûr l’objet d’une nouvelle crise encore plus complexe... La liste est sans fin et la diversité des causes conjoncturelles et des conséquences possibles extrême ; et notre but devrait être, plutôt que d’être emprisonné par nos proximités en leur consacrant toute notre attention, de nous servir de nos proximités pour tenter en permanence d’embrasser la totalité, l’universalité de la crise générale, de la Grande Crise d’effondrement du Système.
L’analyse ne doit être guidée que par la perception d’eux-mêmes que nous imposent les évènements plutôt que prétendre maîtriser la compréhension de ces évènements par une rationalité impérative qui est nécessairement la victime de toutes les faiblesses qui accablent nos psychologies et infectent cette raison (nous parlons de raison-subvertie). Aujourd’hui, la psychologie est extraordinairement sollicitée, que l’on s’en aperçoive ou pas qu’importe, et il nous semble que resurgit ou simplement se renforce en une nouvelle étape, au travers de divers paroxysmes, le phénomène de la fascination, à la fois si justifiée par la pression et la conscience des évènements, à la fois si délicate à cause de ses effets sur la psychologie allant du meilleur au pire ; fascination de la crise, fascination des causes diverses de la crise qui entraînerait l’autodestruction, fascination du Système pour son autodestruction, fascination de sa propre destruction. C’est un phénomène psychologique qui n’est pas appréciable en lui-même, qui contient effectivement des éléments “allant du meilleur au pire”. C’est un phénomène qui est devenu un thème de notre réflexion, – cette fascination de la crise, cette fascination pour l’accomplissement de toutes choses dans cette saison eschatologique, – qui nous hante depuis longtemps, sur ce site, et sur lequel nous ne cessons de revenir, selon des sujets bien différents, avec l’usage de mots que l’on connaît bien (outre “fascination”, “Armageddon”, “apocalypse”, “eschatologie”, etc.). Il suffit, comme exemple le plus simple, de piocher dans le moteur de recherche de dedefensa.org dans l’un ou l’autre de ces mots-clefs pour retrouver ce thème qui, à notre sens, conditionne absolument notre psychologie à tous depuis 2007-2008, qu’on le réalise ou pas.
... Il suffit d’aller voir, en mesurant la tendance qu’indiquent les sujets traités, en découvrant leur chronologie, etc., à tant de nos textes dont les titres indiquent clairement la préoccupation, soit directement, soit indirectement sinon parfois par dérision selon le sujet traité ... Il suffit d’aller au 22 mai 2007 («Peur et fascination de son propre anéantissement»), au 5 septembre 2007 («L’apocalypse, à propos»), au 27 décembre 2007 («La fascination de la crise»), au 24 décembre 2008 («Rationalisation de l’apocalypse ou désir de crise»), au 17 février 2010 («Une putain de bonne question»), au 7 septembre 2011 («La fascination de la spirale de la mort»), au 17 août 2012 («Fascination de la ‘Civil War’»), au 14 mars 2014 («Notes sur la fascination d’Armageddon»), au 26 janvier 2015 («L’im-Monde à Davos»)...
A notre sens, c’est bien de cela, de ce phénomène psychologique réglant notre perception de la Grande Crise générale que parle Emmanuel Todd dans une interview qu’il a donnée au Soir de Bruxelles, le 10 juillet 2015 (repris par Lescrises.fr le 12 juillet 2015). Nous choisissons un passage qui se démarque d’une façon notable de l’analyse rationnelle de la situation traitée (la Grèce, l’Europe, etc.), que Todd fait avec fougue et vigueur dans le reste de l’interview, de l’appréciation idéologique qui l’accompagne avec malheureusement les renvois aux clichés et lieux communs des débats parisiens qui ne servent qu’à occulter l’essentiel du phénomène, le fondement du drame, la puissance de la tragédie... Justement, parce qu’il s’agit de la Grèce où l’on inventa la représentation de la tragédie il y a vingt-cinq siècles, le terme est absolument nécessaire et bienvenu, comme nous l’avons déjà employé de façon spécifique (le 28 juin 2015 : «Notes sur la (re)naissance de la tragédie»). Pour nous, il est bien sûr évident dans toute sa puissance symbolique, comme formidable illustrateur de la situation ; et, parlant de la “tragédie grecque” dont l’universalité est connue, justement nous ne parlons pas de la seule Grèce ni de la seule Europe, mais de la Grande Crise eschatologique qui nous bouleverse, – nous parlons de notre destin général :
«“La crise grecque va-t-elle devenir une tragédie ? Ne l’est-elle pas déjà ?”, interrogions-nous en tête de cette analyse... C’est la Grèce qui a inventé la tragédie telle que nous la connaissons, dans toute la force de son symbole, dans la transcendance, dans sa destinée historique représentée dans l’art suprême de la représentation scénique et symbolique de la destinée du monde. Nietzsche fit de La naissance de la tragédie une fresque assez obscure où il opposait des tendances immémoriales à l’intérieur de l’histoire de la Grèce des origines pour figurer les grands affrontements de l’histoire du monde, – et du monde de notre temps, par conséquent, tant notre temps ressemble aux Derniers Temps d’une civilisation aux abois et devenue “contre-civilisation”. Aujourd’hui, la Grèce, devenue un petit pays d’importance négligeable dans les décomptes bureaucratiques et postmodernistes, reprend sa place au centre dans la question de la tragédie du monde ressuscitée.»
Voici donc ce passage, d’Emmanuel Todd, qui semble s’adresser à la “crise européenne” extrapolée et exprimée par la “crise grecque” mais qui, en fait, concerne la grande Crise d’effondrement du Système (avec, souligné par nous, les passages correspondant à ce que nous voulons signifier dans notre propos) :
«...L’euro est le trou noir de l’économie mondiale. L’Europe s’est obstinée dans une attitude d’échec économique incroyable qui évoque en fait un élément de folie. On est dans l’irrationnel et la folie: une sorte d’excès de rationalité qui produit un irrationnel collectif. D’un côté, ça peut encore durer très longtemps. Mais d’un autre côté, ce que j’ai senti, et pas seulement chez les Allemands et chez les Grecs, c’est le début d’un vertige, d’une attirance par la crise. Personne n’ose dire que ça ne marche pas, personne n’ose prendre la responsabilité d’un échec – car c’est un échec ahurissant, l’histoire de l’euro! – mais on sent aussi chez les acteurs une sorte de besoin d’en finir. Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin. Dans ce cas, la Grèce serait le détonateur. Les gens sont au bord d’une prise de conscience du tragique réel de la situation. Le tragique réel de la situation, c’est que l’Europe est un continent qui, au XXe siècle, de façon cyclique, se suicide sous direction allemande. Il y a d’abord eu la guerre de 14, puis la deuxième guerre mondiale. Là, le continent est beaucoup plus riche, beaucoup plus paisible, démilitarisé, âgé, arthritique. Dans ce contexte ralenti, comme au ralenti, on est en train sans doute d’assister à la troisième autodestruction de l’Europe, et de nouveau sous direction allemande.»
Fascination, certes, et donc les évènements commandent... Il devient alors d’autant plus impératif comme nous l’avons déjà suggéré, si l’on veut apprécier ces évènements d’une façon rationnelle, de le faire non pas selon nos propres conceptions mais selon ce qu’ils (les évènements) nous présentent d’eux-mêmes, et dans ce qu’il y a de plus puissant dans ce qu’ils nous disent d’eux-mêmes, puisqu’assez puissants jusqu’à nous capturer dans la fascination. Cela compris et affirmé, nous pouvons alors développer notre appréciation, notre analyse et notre jugement, et observer que nous éprouvons l’impression générale, dans la période actuelle, de nous trouver une fois de plus dans une période nouvelle, marquée effectivement par un sentiment de vertige (vertigo) renouvelé, et évidemment lié à la question de la fascination.
Ce sentiment à la signification diffuse mais à la très forte expression désormais a commencé à se développer, selon la perception que nous en avons et selon l’analyse que nous en faisons, notamment à partir du moment (disons autour de la signature de Minsk2, en février 2015) où la crise ukrainienne a commencé à sembler changer de nature... Cette crise au départ extrêmement “dure” et pleine de possibilité d’affrontements au plus haut niveau entre les plus décisives puissances de la planète (on évoquait la référence de la crise des missiles de Cuba, d’octobre 1962), a semblé commencer à changer de nature par délitement, par une sorte de dissolution tout en gardant son caractère crisique aigu. Il faut du temps pour substantiver de telles impressions. La crise ukrainienne reste toujours aussi forte, aussi centrale, mais elle est devenue moins “dure” dans le sens de la brutalité, moins exigeante, moins exclusive ; finalement, il s’avère qu’elle prend sa place en ayant accéléré, renforcé et grandi d’une façon exceptionnelle le grand courant crisique qui balaie absolument la situation du monde. Finalement ou plutôt pour l’instant puisque rien n’est fini tant que la Grande Crise n’est pas accomplie, ce qu’elle a apporté à la situation, c’est une sorte de désordre baroque, une absence de principe si complète qu’on semble évoluer dans un univers différent, où se mélangent des tendances diverses qui semblaient ne jamais devoir resurgir de cette façon si assurée ou qui semblent totalement nouvelles (notamment le nazisme, les tourbillons de sédition de forces diverses, et jusqu’à des bruits de “complot gay”). Quoi qu’il en soit, cette crise-là a déjà apporté beaucoup...
Du coup, l’intérêt doit se porter sur ce “grand mouvement“ que la crise ukrainienne a formidablement renforcé mais n’a pas annexé entièrement à elle, comme on aurait pu le penser à un moment tout au long de février à décembre 2014 ; et ce grand “mouvement“, certes, c’est la Grande Crise de l’effondrement du Système dont certains pourraient juger évidemment dans la période actuelle (on a vu combien cela est discutable), qu’elle est représentée d’une façon évidente par la “crise grecque”/“crise européenne” en cours. Mais l’essentiel reste bien d’observer qu’avec l’accord Minsk2 dans la crise ukrainienne, ce “grand mouvement” a acquis d’autres caractéristiques, une autre “structure” (drôle de mot pour le cas, mais on l’utilise pour la facilité) ; d’autres crises, déjà en cours, des crises nouvelles, etc., y apparaissent pour tenir leur place mais d’une manière différente en fonction des conditions nouvelles, pour devenir une forme d’activité crisique entièrement nouvelle... Il s’agit du “tourbillon crisique” que nous avons déjà commencé à considérer, le 10 juillet 2015.
... Nous nous trouvons, avec ce texte que vous lisez, que nous avons décidé de composer justement à cause de la pression de divers évènements qui mobilisent l’attention des résistants antiSystème et des figurants-Système, etc., que nous avons composé en plusieurs étapes justement à cause de la pression des évènements, devant la tâche redoutable de tenter de libérer les uns et les autres, et de nous libérer nous-mêmes, de ces pressions tendant à nous enfermer dans un seul sujet, un seul courant d’attention, dans une concentration emprisonnée. Ce phénomène nous touche, nous en Europe, comme nous l’avons signalé plus haute, pour ce moment en cours comme s’il n’y avait que la “crise grecque”/“crise européenne”. Bien entendu, il touche les autres de la même façon, c’est-à-dire en les isolant dans leurs sujets d’intérêt (dans “leurs“ crises) et en ignorant les autres.
Par exemple, hier matin, le site Antiwar.com, si célèbre et important dans le courant antiSystème et nécessairement dans la communication sur les crises, ne publiait dans son catalogue de 79 textes présentés en première page, pas une seule nouvelle sur la réunion de l’Eurogroupe de samedi à Bruxelles où il fut essentiellement question, dans des conditions dramatiques, de la possibilité du fameux Grexit. (Tout juste Antiwar.com publie-t-il deux informations classées en position complètement secondaire, et effectivement secondaires même si elles pourraient prendre de l’importance, sur la Grèce elle-même, l’une en corrélation avec une relation avec la Russie, l’autre avec une position de l’OTAN.) Cela n’a aucun rapport avec un désintérêt spécifique comme par exemple l’esprit d’isolement des USA, alors qu’Antiwar.com a dans ses quinze premières années d’activité, – disons jusqu’à la crise ukrainienne, – toujours publié des nouvelles qui nous intéressaient également, qui correspondaient précisément au classement des préoccupations antiSystème en général, signalant qu’il y avait encore un “sens cohérent” et un “centre identifiable” de la situation crisique générale.
... Dans ce texte que vous lisez, tout se passe comme si nous disions à notre lecteur (mais peut-être bien à nous-mêmes également) : “Psst, essayez d’abandonner votre prison/votre camisole de force de la concentration sur un évènement, pour une réflexion plus générale sur ce qui est train de se passer...”. Faisons donc comme si l’on nous avait entendu et comme si nous nous étions entendus nous-mêmes, l’un ou l’autre dans tous les cas, et étudions la nouvelle situation crisique générale qui constitue à la fois la cause de cet enfermement de notre attention, et le moyen de nous sortir de cet enfermement.
Pour désigner ce phénomène que nous avons décrit d’accumulation et d’activité de crises, et l’identifier, on a vu que nous proposons l’expression de “tourbillon crisique”, marquant une vitesse rotationnelle en constante augmentation, et qu’on peut définir comme un déchaînement (à l’image du “déchaînement de la Matière”). (D’autres expressions que “tourbillon crisique” seraient possibles : “avalanche crisique”, “phénomène crisique diluvien”, mais ces termes ne rendent pas compte de ce mouvement tournant d’emprisonnement de l’infrastructure crisique qu’implique le mouvement du tourbillon.)
Pour bien préciser les choses à la suite d’une question d’un lecteur (“Tourbillon ou chaos”, voir le Forum du 10 juillet 2015), ce que nous étudions ici est une dynamique (“tourbillon”) et non un état (“chaos”, – tout en notant qu’en réalité, nous privilégions constamment et explicitement en l’état actuel des choses le terme “désordre” sur le terme “chaos”). Cette dynamique a un sens spatial, un fonctionnement bien défini et, surtout, pour notre cas et selon notre analyse, une capacité à la fois de réunir et de tenir ensemble par la seule force dynamique et non par des affinités, des proximités et des réactions de cause à effet, des évènements crisiques à la disparité extrême.
On a déjà lu (ce 10 juillet 2015) que nous annoncions la présentation de ce nouveau concept évidemment crisique de “tourbillon crisique” :
«[...N]ous identifions [...] l’expression nouvelle de “tourbillon crisique”. Nous devons très rapidement offrir une analyse détaillée quoique dans le courant de nos rubriques d'“actualité”, de ce nouveau concept dont nous pensons qu’il est rendu nécessaire par l’évolution extrêmement rapide de la situation générale (contraction du Temps, accélération très rapide de l’histoire en constante mutation métahistorique). [...] Dans cette optique, le “tourbillon crisique” [... serait] un phénomène pour l’instant fait de désordre pur, d’énergie tournante en constante accélération, un phénomène qui n’est pas encore en phase d’autodestruction (celle qui caractérise l’effondrement final du Système), mais toujours dans cette phase où l’aspect surpuissance et l’aspect autodestruction sont concomitants et même parfois confondus...»
Dans le même texte, nous poursuivions notre démarche en tentant d’avancer une première description analytique de ce phénomène de “tourbillon crisique”, sur deux plans, – celui de sa substance en un sens, de sa composition ; celui de sa spécificité politique et profonde, et sans doute dissimulée, en un autre sens, selon ses manifestations et ses soubresauts que nous pouvons tenter d’interpréter...
«Pour tenter d'être encore plus clair, ce n’est pas exactement le phénomène que nous étudiions, pour le compte d’Orlov et pour la compte de nos conceptions qui diffèrent sur tel ou tel aspect tout en se rejoignant sur le principal, lorsque nous avons observé le concept du “trou noir financier” d’Orlov (le 2 juillet 2015). Notre idée est que, d’une part nous n’allons pas, – nous n’allons pas encore vers une réduction, une dissolution systématique du phénomène par quasi-entropisation dissolvante de la matière; nous sommes encore en phase dynamique furieuse où se côtoient (bis) surpuissance et autodestruction, même si nous approchons nécessairement de la phase d’autodestruction pure. Notre autre idée, la plus essentielle, est qu’il ne faut pas, dans le contexte de la Grande Crise d’effondrement du Système, poursuivre la catégorisation des crises (financière, politique, sociétale, culturelle, psychologique) puisqu'il s’agit du “tourbillon crisique” (le concept identifié permet de bien mieux comprendre la situation à partir de laquelle on l’a forgé), – parce que le “tourbillon crisique” est évidemment un Tout qui homogénéise et réduit à rien les spécificités crisiques pour ne garder des crises que leur substance crisique et la doper d’une formidable énergie. C’est de ce point de vue que nous précisons de manière imagée que le ‘krach’ chinois a “no future” parce que, même s’il a des effets multiples, diluviens, en cascade, il n’en produira aucun qui soit spécifique de lui, de façon négative ou même positive ; en quelque sorte, c’est un ‘krach’ boursier nihiliste et déjà entropique-Système.»
En fait, on pourrait avancer qu’avec ce “tourbillon crisique”, il s’agit du développement, – peut-être ultime, – du phénomène de “chaîne crisique” identifié au début de 2011 avec le “printemps arabe”. Si l’on veut, la (les) chaîne(s) crisiques “se déchaînent” dans les deux sens du mot (deviennent de plus en plus virulentes et perdent de plus en plus leurs dépendances communes et leurs liens de cause à effet) ; pourtant, les crises restent regroupées entre elles, et même de plus en plus, productrices d’autres crises, jusqu’à un pullulement crisique extraordinaire. Simplement, il y a de moins en moins de rapport de cause à effet direct (“chaîne crisique”) et de plus en plus un mouvement aléatoire concernant les liens et effets entre ces crises ; mais il y a surtout la création et l'alimentation d’un puissant mouvement tournant sur lui-même, d’une formidable tempête tourbillonnante, – le “tourbillon crisique”, où c’est la nature crisique elle-même qui agit, d’elle-même, transformant en crise tout ce qu’elle touche, tout ce qu’elle frôle, tout ce qu’elle apprécie, sans cohérence politique créatrice, sans logique politique d’enchaînement ... (C’est à nous ensuite, une fois chaque phénomène crisique déclenché, de voir quel est son sens, éventuellement son sens politique si c’est le cas et si c’est possible, – et c’est en ce sens que nous disions plus haut que “[l]’analyse ne doit être guidée que par la perception d’eux-mêmes que nous imposent les évènements plutôt que prétendre maîtriser la compréhension de ces évènements par une rationalité impérative qui est nécessairement la victime de toutes les faiblesses qui accablent nos psychologies et infectent cette raison....”)
Mais ce qui nous intéresse, bien entendu, ce sont les effets non pas “opérationnels” directs dont on a vus qu’ils sont manifestement insaisissables, mais bien les effets indirects fondamentaux sur la marche de la Grande Crise d’effondrement du Système. Dire de cet “tourbillon crisique” qu’il est manifestement l’expression dynamique la plus prodigieuse du développement de la Grande Crise ne nous dit rien, en effet, de ces fameux ”effets indirects”. Ce à quoi nous pensons n’a justement qu’un rapport lointain avec des évènements, même indirects, qui seraient issus de ces crises amalgamées en “tourbillon” (par exemple Grexit, troubles en Chine, affrontement de type sociétal et de révolte civique aux USA, etc.), – même si nous ne songeons pas une seconde à nier leur importance éventuelle, et même bien entendu à considérer l’hypothèse que tel ou tel événement, soudain, peut devenir/devient décisif pour faire entrer la grande Crise effectivement sur son plateau final, dans son bouquet libérateur, etc. Nous ne nous attardons pas à ces diverses possibilités et à l’hypothèse opérationnelle fondamentale parce que nous n’en savons rien, que nous n’en pouvons rien savoir, et peut-être même, – vertu de l’inconnaissance, – qu’il est nécessaire que nous n’en sachions rien. A cet égard, il y a d’autres forces que les nôtres (celle du sapiens) en marche, et elles nous dominent de tout en tout et de tout sur tout, et elles nous dispensent de disperser notre vaste intelligence et notre maîtrise évidente de l’univers dans des analyses sophistiquées et faussaires d’avance.
Justement, il est bienvenu de tenter par instants, de se retrouver, de se rassembler soi-même, de cesser de tourner au gré du tourbillon en se dédoublant, donc de s’observer soi-même “tourner au gré du tourbillon” pour pouvoir dégager une appréciation générale, un jugement qui rendra compte de la situation générale ... (Ainsi en est-on arrivé à examiner l’hypothèse de cette “phase nouvelle” de la Grande crise depuis Minsk2 et l’apparition de ce que nous pouvons identifier comme ce phénomène du “tourbillon crisique”.) Par conséquent, et pour aller dans ce sens de l’observation de nous-mêmes dans ces circonstances, il est un domaine où nous pouvons aventurer une réflexion concomitante à ce “tourbillon crisique”, et c’est bien sûr celui de l’effet du “tourbillon” sur la psychologie humaine. (C’est pourquoi nous tentons d’attirer l’attention de notre lecteur qui suit, haletant, heure par heure, le sort de la Grèce ou celui de l’appel à l’incivilité aux USA à cause du “mariage pour tous” et du sort mémoriel du drapeau de la Confédération des États d’Amérique de 1861.)
Le point central et ultime de notre démarche est effectivement l’effet du “tourbillon de crise” sur la psychologie, – beaucoup plus important à notre sens que l’effet sur les marchés, sur les régimes politiques, sur les forces déstabilisatrices ici et là, qui pullulent les uns et les autres mais dans tous les sens et pour la seule production de désordre ; et cet effet du “tourbillon de crise” sur la psychologie, de la fascination au vertige, etc., jusqu’à enfin trouver des impulsions conduisant les psychologies humaines à produire elles-mêmes des effets qui vont dans le sens qu’on doit souhaiter, d’énergie, d’ardeur, d’audace, etc. Ce que nous avançons, c’est que ces effets psychologiques productifs doivent participer à la préparation de ce qui va suivre, c’est-à-dire à la recherche de l’accélération de la Grande Crise d’effondrement du Système, qui doit rester le but ultime. (Il est si important de rester dans le domaine de la psychologie, pour ne pas s’effrayer soi-même à la pensée des évènements que l’on pourrait susciter avec une telle formule, avec des mots comme “désordre”, “chaos”, etc. ; frayeur tout à fait déplacée d’ailleurs, puisqu’il est acquis que les évènements ont leur propre force, leur propre production de “désordre” et de “chaos”, qu'ils se suffisent à eux-mêmes pour produire “désordre” et “chaos”, qu’il s’agit simplement pour nous d’accompagner, de renforcer somme toute humblement par la tension de nos observations...)
La dynamique du tourbillon qui ne présente aucune cohérence explicative doit nous forcer à suivre les crises, à les interpréter (faussement ou pas, qu’importe), à chercher des explications (c’est d’autant plus pressant que c’est inutile), etc., à chercher et encore chercher en produisant une grande tension psychologique. La dynamique du “tourbillon crisique” force le sapiens, malgré son épuisement psychologique, à croire de plus en plus fortement à la Grande Crise d’effondrement, même au prix d’une dramatisation de la perception, d’une amplification de l’interprétation parfois d’une façon absolument grotesque (qu’importe), qu’on peut d’ailleurs fort bien critiquer pour continuer à exercer la vigueur et la vigilance de son jugement ... En un mot que nous espérons assez clair, le “tourbillon crisique“ doit exister comme il existe pour forcer les psychologies humaines et leurs perceptions à se hausser au niveau de l’enjeu de la Grande Crise... (Cette tâche ne peut être laissée aux seules intelligences qui prétendent d’abord se régler elles-mêmes avec la raison comme maitresse d’œuvre, car alors c’est la raison-subvertie. Il faut d’abord accepter le déchaînement des psychologies avec la perception de la Grande Crise, car par là également se glissent les brusques illuminations de l’intuition haute ... La raison, elle, si elle est laissé à elle-même selon sa situation présente [raison-subvertie], se contentera de s’enfermer dans ses habituelles supputations qui satisfont son hybris [que va-t-il se passer, comment expliquer ceci, cela, etc.] et freinent toute participation active à la montée nécessaire d la tension psychologique.)
Notre idée (suite) est que ce “tourbillon crisique” est là à la fois pour nous faire prendre conscience de la vérité de situation de la Grande Crise d’effondrement du système ; à la fois pour nous faire mesurer sa substance en même temps universelle et dégagée des sens spécifiques et particuliers de tel et tel événements crisiques (telle et telle crises) qui la composent nécessairement puisqu’elle est la réceptacle de tout à cet égard ; à la fois pour nous forcer à jouer notre rôle qui est d’accroître, de grandir, de dramatiser la perception de ce qui doit être de plus en plus tenu d’être considéré comme la Grande Crise d’effondrement du Système, et ainsi contribuer à son accélération, à sa maturation, à son développement en constante accélération ...
Nous ignorons enfin si l’on peut avancer la remarque finale et fondamentale, – nous ignorons si c’est le cas, si l’épisode actuel du “tourbillon crisique” qui se réalise maintenant, est celui de l’enclenchement final du mécanisme de l’effondrement du Système. Mais nous ne pouvons ignorer que nous nous trouvons dans une posture exceptionnelle par rapport à ce qui est normalement concevable. Il est extraordinaire, il est fascinant, justement, de songer que l’on se trouve au cœur de ce “tourbillon crisique”, normalement complètement emporté par lui, et qu’en même temps nous nous trouvons comme en-dehors, que nous disposons tout de même de la possibilité d’observer la chose avec une sorte de deuxième regard (“de nous observer en train d’observer la Grande crise d’effondrement du Système”).
... Ce point nous est apparu dès le 11 septembre 2001 et l’on voit bien qu’il est resté dans notre perception et dans notre esprit comme l’un des plus grands “acquis”, l’une des plus grandes nouveautés de la position du sapiens dans cette période entièrement nouvelle, sans précédent, sans parallèle, sans rien du tout de semblable dans l'histoire du monde, – selon une perspective qui rejoint ce qu’on décrit ici :
«D’abord, il y a ceci: en même temps que nous subissions cet événement [l’attaque 9/11] d’une force et d’une ampleur extrêmes, nous observions cet événement en train de s’accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d’observer cet événement. L’histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire. On sait également que ceux qui ont décidé et réalisé cette attaque l’ont fait, et précisément ce qu’elle est, parce qu'’ils savaient qu’existe cet énorme phénomène d’observation des choses en train de se faire, et de nous-mêmes en train d'observer. Le monde est comme une addition de poupées russes, une duplication de la réalité en plusieurs réalités s'enfilant les unes sur les autres.» (Premier paragraphe de l’essai Les Chroniques de l’ébranlement de Philippe Grasset, éditions Mols, 2003.)
Il est évident que cette situation ne peut être tenue pour un hasard, ni même une “nécessité du hasard” si l'on veut faire le bel esprit. Cette situation contient pour nous un impératif transcendant. Elle nous engage à tenir un rôle actif dans le cours de l’évènement eschatologique en cours. Il est essentiel que ce rôle soit celui qui convient, et non pas une tromperie de plus de notre raisons-subvertie.
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