Vertigo, suite chinoise...

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Vertigo, suite chinoise...

14 août 2015 – Nous entamons ce texte par où nous terminions le Bloc-Notes d’avant-hier 12 août 2015, consacré notamment au Général Flynn, étrange “lanceur d’alerte” venu des rangs même de l’une des institutions fondamentales du Système (l’armée des États-Unis, donc le Pentagone, et qui plus est à propos d’un sapiens étoilé qui fut un homme du JSOC des forces spéciales avant de diriger la DIA). Nous avions, au dernier moment, rajouté à ce texte pour lui apporter une conclusion intéressante l’extrait d’une interview d’il y a un an de ce même Flynn (le 7 août 2014, de Breaking Defense/James Kittfield). La cause en est que nous y trouvions des mots extraordinaires de la part d’un tel personnage, sapiens-Système et officier général de ce pays qui se prétend “exceptionnel” et ne cesse de s’affirmer comme la puissance du domine tout, manipule tout, et comprend tout de la situation du monde. C’est d’ailleurs un lieu commun chez nombre d’antiSystème que cette fascination pour la puissance américaniste, qui donne l’explication de toutes choses avec sa capacité extraordinaire de manipulation et de contrôle secret des évènements. Et voilà que ce général, chef d’un des grands services de renseignement de cette puissance, – la DIA, équivalent pour le Pentagone de la CIA, – quittait son poste en nous disant “nous n’y comprenons rien”...

Kittfield : «...Avez-vous jamais vu autant de crises survenant simultanément ?»

Flynn : «Non. J’arrive chaque matin dans ce bureau ... et je passe deux à trois heures à lire les rapports de renseignement. Franchement, je vous dirai que ce que je vois chaque jour est l’environnement international le plus incertain, le plus chaotique et le plus confus de tout ce que j’ai vu dans ma carrière. Il y a eu probablement des temps plus dangereux, comme lorsque les Nazis et les Japonais tentèrent de dominer le monde, mais vraiment nous nous trouvons dans une époque de ce degré de dangerosité. [...] Ce que je vois, c’est la géographie stratégique et les frontières sur la carte du monde qui changent littéralement sous nos yeux. Ce changement est sans cesse en train d’accélérer à cause de l’explosion des médias sociaux. Et nous, dans la communauté du renseignement, nous essayons d’y comprendre quelque chose...»

... Rien que pour cela, encore plus que pour ses révélations sur la façon dont les États-Unis ont fabriqué Daesh en sachant ce que cela allait donner mais en continuant à n’y rien comprendre, comme si leurs actes compulsifs étaient totalement détachés de leurs capacités de jugement, rien que pour ce “nous, dans la communauté du renseignement, nous essayons d’y comprendre quelque chose”, Flynn doit être sacré “lanceur d’alerte d’honneur”. Il nous confirme officiellement l’état présent du monde, qui est plus aisément décrit par l’expression de “tourbillon crisique” que par quelque lieux communs d’une autre époque qui a disparu, comme “hégémonie”, “contrôle et manipulation des évènements”, etc. “Nous essayons d’y comprendre quelque chose”, la phrase venue de l’homme qui dirigeait la DIA est d’une cristalline pureté et devrait constituer la confirmation, – la révélation pour certains, – de l’état présent de la Grande Crise d’effondrement du Système. (A moins, diront certains autres encore, qu’il s’agisse de la ruse suprême de dire qu’on n’y comprend rien pour mieux dissimuler qu’on y comprend quelque chose, – après tout, dire que l’on n’y comprend rien c’est déjà dire grandement que l’on comprend rien de moins que l’essentiel.)

Passons donc, car nous y sommes ainsi invités, à la Chine et à son yuan (ou renminbi) dévalué en rafale (deux fois, deux jours de suite). Nous suivons une logique implacable puisque, à cette date du 10 juillet 2015 déjà référencée ci-dessus, nous employions pour la première fois l’expression de “tourbillon crisique” citée plus haut à propos de Flynn, et que c’était à propos de la Chine (de l’effondrement boursier qu’elle venait de connaître). Le 12 août 2015, Martin Armstrong écrit quelques mots fatigués et un brin méprisants comme seul commentaire de la dévaluation du yuan :

«Nous avions averti que cette dévaluation n’était PAS UN HASARD, et beaucoup trop de gens se représentent faussement ce qui vraiment en train de se passer dans l’économie mondiale pour qu’on soit surpris qu’ils aient raté ce coup... [...] Il ne s’agit ni d’une guerre des monnaies, ni de quelque combinaison tordue pour protéger l’or. L’économie mondiale se contracte, et peut-être même est en train d’imploser parce que les politiciens cherchent de l’agent par tous les moyens, par des taxes et impôts, par la confiscation d’avoirs, parce que leurs gouvernements sont en train de s’effondrer... [...] Si vous ne comprenez pas l’économie mondiale et de quelle façon nous somme tous connectés les uns aux autres, alors vous avez auriez vous aussi intérêt à chercher un “bailout” parce que vous allez en avoir drôlement besoin.»

Il est vrai que, in illo tempore, la décision chinoise aurait surtout déclenché un torrents d’appréciations méprisantes sur les prétentions économiques chinoises, et à mesure, l’exaltation du modèle anglo-saxon et de la seule “locomotive” du monde que sont les USA. Ces temps ne sont plus, la “locomotive” est désormais chinoise certes, mais le film s’appelle : “Y a-t-il un chauffeur dans la locomotive de l’économie du monde ?”. Sputnik.News résume, ce 12 août 2015, le sentiment général chez les grands “organes” plus ou moins financiers de la presse-Système anglosaxonne  :

... Le Financial Times «note qu’une intention et les conséquences des actions, ce n'est pas la même chose. Le rôle de la Chine comme un des joueurs clés du commerce international garantit que sa dévaluation engendrera des mécanismes de déflation sur toute la chaîne commerciale et mettra la pression sur les concurrents du pays. De cette manière, ce problème interne à Chine est devenu le problème du monde entier, indique le Wall Street Journal.

»La baisse du yuan est capable d'influencer la décision de la Réserve fédérale des États-Unis sur la hausse des taux, débattue par les économistes depuis un an. En outre, la dévaluation de la monnaie chinoise indique aux investisseurs que les gouvernements non seulement chinois mais du monde entier seront obligés de trouver des instruments pour accélérer leur croissance. Mais les financiers et économistes en sont encore à chercher de tels “instruments”.»

Finement, une présentatrice d’I-Télé observait le 11 août que “lorsque la Chine éternue, le monde s’enrhume”, alors que cette phrase fameuse qui intronise à chaque crise la vraie puissance en place selon l’esprit-Système très simpliste mais complètement conforme des présentateurs de l’imagerie primaire de la situation du monde était jusqu’alors réservée aux sacro-saints USA. Il y a un changement de paradigme, mais dans le sens catastrophique, et par conséquent la crise chinoise est aussitôt perçue justement comme une crise mondiale.

WSWS.org, le site de la IVème Internationale trotskiste, s’y entend bien lorsqu’il s’agit de donner une analyse qui transmute un fait national en événement international, sinon internationaliste. Le texte du 12 août de Nick Beams (version française de ce 13 août 2015) nous donne une bonne analyse de l’événement, en le plaçant dans sa perspective immédiate mais néanmoins historique. Il est assez goûteux pour l’esprit qui apprécie les raccourcis et les contradictions de cette Grande Crise, de voir WSWS.org vitupérer contre “l’esprit de l’État-nation”, ennemi dogmatique absolu de l’internationalisme trotskiste, alors que la situation d’enchaînement inéluctable et d’impuissance des gouvernements nationaux montre au contraire que l’État-nation s’est complétement dissous dans l’internationalisme de la globalisation ; ainsi, involontairement, par les remarques des uns et des autres, voit-on combien le Système et son hypercapitalisme pourrait être interprété comme une sorte de trotskisme hyper-capitalistique qui montrerait alors la parenté monstrueuse sinon affreusement incestueuse entre le trotskisme (révolution permanente et internationalisme) et l’hypercapitalisme hyperlibéral... Rien n’aura été épargné au “Vieux”, le cher vieux Léon Davidovitch...

• Il y a d’abord dans ce texte de Beams, effectivement, la perspective historique où l’on doit placer les prolongements actuels et l’importance qu’on doit leur accorder ... «L’importance de la décision de mardi est soulignée par le fait que les autorités chinoises n’avaient dévalué la monnaie ni en réponse à la crise financière asiatique de 1997-1998 ni en réaction à la crise mondiale qui a suivi l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Il y a sept ans, leur réponse avait été un plan de relance massif accompagné d’une expansion du crédit dont la valeur estimée équivalait à l’ensemble du système financier américain – en vue de stimuler l’économie chinoise. Ce fut fait dans l’idée qu’après une forte baisse, les économies des grands pays capitalistes, les principaux marchés d’exportation de la Chine, retrouveraient une forte croissance.

»Cependant, la crise de 2008 ne fut pas seulement une récession conjoncturelle, mais bien plutôt le début d’un effondrement systémique, faussant ainsi la perspective du gouvernement chinois. La production en Europe n’a toujours pas retrouvé ses niveaux de 2007, tandis que les taux de croissance du Japon et des États-Unis restent à des niveaux historiquement bas. En avril dernier, le Fonds monétaire international a indiqué qu’il n’y aurait pas de retour aux taux de croissance d’avant 2008...»

• L’aspect remarquable qu’illustre cette crise, du point de vue de la chronologie, comme un “passage de flambeau”, se trouve effectivement dans le fait que les USA reconnaissent de facto le rôle premier de la Chine, – dans ce cas, en vérité, le rôle de la Chine comme “locomotive de la catastrophe” qu’est désormais potentiellement l‘économie du monde ... «Des craintes sur ce que l’intervention chinoise peut signifier quant à l’état de l’économie mondiale semblent avoir motivé la relative discrétion de la réponse officielle américaine. Si le sénateur démocrate Charles Schumer de New York a pesté contre la décision chinoise, disant que cela montrait pourquoi toute décision d’autoriser le renminbi à devenir monnaie de réserve mondiale reviendrait à “donner au loup la clé de la bergerie”, le Trésor américain lui, fut bien plus prudent. Dans sa déclaration officielle, il note que “la Chine a indiqué que les changements annoncés aujourd’hui sont une autre étape de son passage à un taux de change plus déterminé par le marché”, en ligne avec la politique américaine.... [...]

» Dans la foulée de la crise financière mondiale de 2008, l’idée a été avancée que la Chine pouvait servir de moteur de croissance à l’économie mondiale. Cette illusion a été anéantie il y a quelque temps. Depuis, elle a été remplacée par la crainte croissante que l’effritement de l’investissement et du boom immobilier chinois aura des conséquences importantes au niveau mondial, en particulier pour les marchés dits émergents qui dépendent de l’économie chinoise...»

• ... Ce qui nous conduit à la situation actuelle, où l’on constate que la Chine se trouve sur la corde raide, avec une direction paralysée par la crainte de troubles intérieurs en cas d’aggravation de la situation économique. Le reste du monde, lui, est suspendu à la perspective de la situation chinoise... A cette lumière, on considérera l’extraordinaire désordre intellectuel et politique qui fait évoluer parallèlement une situation si complètement explosive, avec les projets, régulièrement évoqués du côté US, de provoquer une “révolution de couleur” ici ou là (en Russie ou en Chine) comme s’il était habile de craquer quelques allumettes près d’un baril de poudre, – mais qui peut encore imaginer qu’il y ait quelque pensée responsable qui fonctionne encore en régime normal, dans les esprits fantomatiques des directions-Système ? Pour le reste, nous citerons cet extrait jusqu’à sa conclusion, où il est fait appel à l’arme ultime des trotskiste, qui est un vibrant appel à une réaction puissante de “la classe ouvrière mondiale” comme solution à la crise ... «Le régime chinois, une oligarchie des super-riches représentée par le Parti communiste, vit dans la peur mortelle qu’une crise économique n’entraîne des luttes sociales et de classe massives qui mènerait à une crise de légitimité et menacerait sa mainmise sur le pouvoir.

»Au-delà du régime chinois, cette dévaluation montre les profondes contradictions qui rendent impossible aux élites économiques et financières au pouvoir de concevoir un ensemble de mesures qui restaurent la stabilité économique, sans même parler de croissance continue. Commentant l’intervention sur le renminbi, le Financial Times note qu’il est peu probable que la Chine ait eu “l’intention d’attiser des escarmouches parmi ses partenaires commerciaux jusqu’à une guerre à grande échelle”. Toutefois, a-t-il continué, “les intentions sont une chose, les conséquences en sont une autre.”

»L’économie internationale est plus profondément intégrée que jamais, exigeant une direction et un contrôle mondiaux conscients. Mais les classes dirigeantes capitalistes sont enracinées dans le système de l’État-nation. Elles cherchent à défendre et à promouvoir leurs propres intérêts, entrant en conflit l’une avec l’autre, plus fortement encore dans des conditions de stagnation et de récession. Les crises et les contradictions de l’économie mondiale exprimées dans la dévaluation chinoise ne peuvent être résolues que par une force sociale qui, par sa nature même, est internationale et transcende le système dépassé des États-nation. Cette force est la classe ouvrière mondiale, mobilisée pour le renversement du capitalisme et l’établissement du socialisme.»

Cet ouragan venu de la Mer de Chine ne bouleverse certainement pas des eaux tranquilles. En fait, il s’insère parfaitement dans le “tourbillon crisique” où il a déjà eu sa place, mais cette fois dans une position maîtresse où il paraît devoir intervenir comme une sorte d’“accélérateur de particules” et d’intégrateur crisique décisif. Il faut bien dire que, dans le chef de la Chine, dans les espoirs qui y étaient mis quels que fussent les soupçons et les rancœurs à son égard, c’était le futur du Système qui se développait, et c’est l’avenir même qui est aujourd’hui frappé... La crise chinois se développe alors que tous les autres centres de crise, incorporés dans le “tourbillon crisique”, sont parfaitement activés et eux-mêmes en pleine arborescence. Le constat du Général Flynn, un an plus tard, ne cesse de gagner en actualité et en profondeur.

• L’Europe développe les suites de la crise grecque dans le sens habituel de l’aggravation, de façon à bien préparer l’étape crisique suivante. L’Europe est ainsi parfaitement équilibrée entre deux crises, – la grecque et l’ukrainienne, – qui touchent à elles deux tous les domaines et se relaient en paroxysmes qui se complètent. Les deux crises produisent les deux faces étranges de la construction politique européenne : un totalitarisme pathologique, par rapport à la Grèce, par le canal de l’Allemagne accompagnée de la France ; une soumission fascinée pour les USA au moment où cette puissance se dissout comme une matière en décomposition, par rapport à l’Ukraine où s’exercent les pressions du déterminisme-narrativiste pour tous les acteurs, particulièrement la France et l’Allemagne qui ne cessent de mesurer l’absurdité de leur maximalisme antirusse dans cette affaire, et ne cesse pourtant de le renforcer.

• Les USA développent une crise fondamentale dans le chef du pouvoir washingtonien en lambeaux. Cette crise du pouvoir va au cœur de la catastrophe américaniste présente dès l’origine comme on l’a encore détaillée récemment (voir le 10 août 2015). La catastrophe du pouvoir US touche aussi bien le fonctionnement normal de ce pouvoir que le processus électoral (les présidentielles de 2016) et s’opérationnalise sous la forme, ou l’in-forme d’une déstructuration accélérée, que ce soit par parcellisation ou par dissolution.

• Le Moyen-Orient, autre centre crisique, présente l’habituel spectacle du complet désordre évoluant lui aussi en forme de tourbillon, selon la formulr désormais universelle de l’avancement des évènements. Des tentatives diverses et le facteur nouveau de l’accord nucléaire iranien montrent que les principaux acteurs, y compris les principaux fauteurs de désordre et mis à part quelques fous insistants ici et là, complètement isolés dans une rêverie autiste comme le Turc Erdogan, ont compris l’importance catastrophique du désordre général et tentent de lutter contre lui. Comme d’habitude, ces tentatives sont vouées à l’échec, ne serait-ce que par les interférences des intérêts nationaux, mais aussi parce que la puissance et la logique tourbillonnaire de la crise ont depuis longtemps dépassé largement les limites de la contrôlabilité.

La déflection catastrophique

“En d’autres temps” (in illo tempore), dit la formule... En d’autres temps, nous aurions été conduits à saluer ce grand “événement géopolitique” perceptible au travers d’un “bruit de fond” massif de la communication. ”La Chine éternue, le monde s’enrhume”, cela signifie que la Chine est “la locomotive” et qu’elle s’est installée ainsi en position hégémonique, détrônant les USA dans le domaine que tant d’analystes et de commentateurs, qu’ils soient du Système ou qu’ils soient antiSystème qu’importe, jugent comme essentiel et à lui seul définissant notre monde (l’économie certes, la finance, etc.). Dans ces “autres temps” qui seraient considérés comme du “en temps normal”, que l’événement apparût à l’occasion d’une crise (“La Chine éternue”) n’aurait eu qu’une importance mineure tant le Système, le capitalisme, vit au rythme de ses propres crises, tant qu’il en a fait justement un système... Mais on le sent bien, on le devine, on le pèse et le soupèse, bref on le sait bien, – cette fois, c’est tellement différent parce que cette crise ne ressemble à aucune autre.

Nous voulons dire que “la prise du pouvoir” symbolique par la Chine, le “passage du flambeau”, se font dans un contexte général catastrophique. Nous ne parlons pas d’évènements violents, de crises éclatant comme des bombes, etc., mais plutôt d’une atmosphère, d’une enveloppe spatiale, d’une dynamique de temporalité, bref d’un monde devenu un univers catastrophique d’une façon endémique, paroxystique sur la durée et sans apaisement, crisique fondamentalement et dans un mouvement tourbillonnaire inarrêtable, un monde politiquement incompréhensible, comme nous le confie le Général Flynn. Du coup l’affirmation a contrario de la Chine fait de la crise qui l’intronise, un degré de plus franchi dans l’engloutissement catastrophique. Que cela ait lieu alors que se produit le drame terrible de l’explosion dans la ville portuaire chinoise de Tianjin, où se mêlent les aspects les plus épouvantables de la dévastation environnementale, technologique et humaine que notre Système produit à l’échelle de l’univers, comme dans une course effrénée et dépourvue de sens à l’autodestruction universelle, – quel symbole ! Quel signe terrible du Ciel !

La Chine est exemplaire à plus d’un égard dans la situation générale. Au contraire de la Russie, elle est passée en régime capitaliste “en douceur” sauf quelques anicroches ... (Tien An-men, une “anicroche” ? nous interromprait avec horreur l’un ou l’autre droitdel’hommiste ... Si fait, par rapport à la dévastation et les tueries silencieuses et élégamment censurées que le bloc BAO réalise depuis cette même année 1989.) C’est-à-dire qu’elle a conservé son système politique pseudo-communiste tout en libéralisant son économie sur une grande échelle, entretenant l’illusion que le politique hérité du système communiste, – c’est-à-dire sans les principes fondamentaux liés à la tradition historique, – parviendrait à contrôler l’économie sans y interférer d’une façon qui contreviendrait aux lois du marché.

La Chine a fait le contraire de la Russie, laquelle commença par pulvériser son système politique, entraînant l’économie dans le chaos du capitalisme-western qui faillit réussir ce que le communisme n’avait pu réaliser : la dissolution et la disparition de la nation russe dans une sorte de trou noir de la barbarie postmoderne. Les circonstances et leur orientation changèrent en 2000, avec l’arrivée de Poutine, et il est apparu qu’une reconstruction de l’État était nécessaire pour espérer installer une économie viable, – laquelle serait, nul doute à cet égard, conforme aux prescriptions du marché et de l’hyperlibéralisme, donc satisfaisante pour la doxa élégante et impérative qui oriente notre pensée. Mais la reconstruction de l’État se fit selon des prescriptions historiques évidentes, abandonnant tout ce qui subsistait du passé communiste dans les structures mêmes de la chose. Certes, il y avait de la corruption, du centralisme bureaucratique, le poids important des services de sécurité nationale, mais tout cela alors que commençaient à réapparaître un sens de l’intérêt national appuyé sur des principes puissants, avec les notions de tradition, y compris dans un sens spirituel, avec l’Église orthodoxe, avec le rappel des fondements historiques. Ce renforcement constant de l’État dans un sens principiel fit apparaître que, dans un conflit éventuel entre le politique et l’économique, – conflit inévitable à notre sens et actuellement en cours, – l’État et sa politique appuyée sur les principes métahistoriques l’emporteraient. C’est ce qui manque aujourd’hui désespérément à la Chine, même si la politique chinoise voudrait se nourrir à la référence puissante de la tradition principielle.

Ainsi l’adoubement de la Chine comme puissance centrale se fait-il dans des conditions extrêmement ambigües, où la puissance du politique se découvre minée par l’absence de fondations solides. Comme la Russie, la Chine a passé un marché avec le Système, ce qui la met, également comme la Russie, “un pied en-dedans, un pied en-dehors”. (Ce pied “en-dehors” se nomme BRICS, Organisation de Coopération de Shanghai, quasi-alliance avec la Russie, etc.) Mais contrairement à la Russie, elle est pieds et poings liés par ce marché, bien plus qu’elle ne se trouve en partie libérée comme l’est la Russie pour suivre la politique qui lui importe à cause des conditions qu’on a décrites.

Cela dit, – tout cela importe-t-il vraiment ? Ce qui caractérise précisément cet “adoubement” de la Chine comme première puissance dans la perception qu’on a, c’est que cette position doit tout à une progression de plus de la Grande Crise, à l’occasion de la Grande Crise, pour renforcer encore la Grande Crise. En d’autres termes, l’histoire géopolitique qui acterait cette “prise de pouvoir” de la Chine, même dans des conditions si délicates pour elle, laisse place à ce qu’on pourrait nommer, comme méthodologie essentielle de notre temps, l’“histoire crisique” qui acte, elle, un épisode de plus dans le déroulement de la Grande Crise. Dans ce cas, la Chine devient un acteur d’un événement qui la dépasse évidemment, comme les USA l’étaient auparavant malgré les analyses de tous ceux qui continuent à évaluer la situation en termes de puissance et en termes d’“hégémonie US” comme si la situation de l’“hégémonie US” était en soi une méthodologie.

Considérée de cette façon, l’épisode actuel constitue un puissant accélérateur de la crise dans la mesure où il contribue à un accroissement du désordre général par les nouvelles perceptions qu’il impose (position de la Chine devenue superpuissance mais superpuissance fragilisée, situation des USA avec la perception de sa perte d’hégémonie au moment où l’impuissance de sa direction s’accroît jusqu’à des possibilités de blocage insensés, etc.), alors que ce désordre général est perçu de plus en plus, et de plus en plus justement, comme celui du Système lui-même. La situation générale efface de plus en plus les positions de puissance des uns et des autres, pour les remplacer par un mélange détonant de grandes tendances déstructurantes (déstructurations engendrées par la globalisation) et d’actions retardatrices et erratiques mais certainement irréductibles des intérêts nationaux (l’état d’esprit de type État-nation dont se plaint amèrement WSWS.org).

A cette lumière, l’importance de l’action de la Chine (et des pays proches d’elle, comme la Russie) se trouve dans cette mesure où son affirmation constitue un certain triomphe d’une position politique antiSystème contribuant à accentuer le désordre interne du Système, et dans cette mesure également où cette affirmation faite à l’occasion d’une crise d’elle-même, fait de la Chine une démonstratrice tragique de l’ampleur de la crise du Système, puisque c’est bien ce qu’il y a de Système en elle qui génère la phase actuelle. L’ensemble, en éliminant de plus en plus la cohérence de l’“ordre ancien” (celle de l’“hégémonie US”), accentue l’aspect tourbillonnaire de la crise (le “tourbillon crisique”) exactement à la manière dont les spasmes de la crise chinoise, correspondant à la puissance de ce pays et à sa relative autonomie par rapport aux regroupements existant dans l’ordre ancien et survivant avec le bloc BAO, constituent des ondes de choc qui suivent en un sens la rotondité de l’espace globalisé, comme le feraient des courants telluriques.

Il apparaît évident, considérant la séquence historique (métahistorique) depuis la fin de la Guerre froide, que la Chine avait été choisie par le Système comme facteur important, sinon déterminant de “déflection de la crise”, c’est-à-dire comme un moyen de rediriger la crise dans un autre sens qu’elle n’était avec les USA comme puissance dominante, dans l’espoir de désamorcer la Grande Crise et de la transformer décisivement en la faisant se surmonter elle-même et s’auto-résoudre en un sens. Il s’avère que c’est le résultat inverse qui est obtenu : la déflection augmente l’intensité et la complexité de la crise, en l’enrichissant objectivement, en l’intensifiant, en la globalisant littéralement puisque son centre producteur essentiel est sorti du seul domaine du bloc BAO. Ce qui aurait été in illo tempore considéré comme une victoire du bloc BAO (“Cette phase crisique vient de la Chine, pas de nous”) est aujourd’hui comme une défaite de plus du Système, de son incapacité de résoudre ses contradictions internes, et comme une défaite de l’opération de “déflection chinoise” devenue “déflection catastrophique” qui ressemble à l’acte de jeter de l’huile sur le feu. La Grande Crise d’effondrement du Système a atteint sa portée maximale de globalisation et revient sur elle-même en ondes telluriques et selon une dynamique tourbillonnante qui s’inscrit évidemment dans le concept de “tourbillon crisique”.