Yats s’en va, le bordel demeure et le mythe grandit

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Yats s’en va, le bordel demeure et le mythe grandit

On se souvient que, dans l’amicale conversation que Victoria Nuland avait eu avec l’ambassadeur US à Kiev Geoffrey Pyatt, – conversation datant de janvier 2014 et devenue publique et glorieuse en février 2014, suite à une écoute et une fuite ; l’UE était priée d’aller se faire voir ailleurs (“fuck the EU”) et Iatseniouk (ou Yatsenyuk, dit Yats en langage nulandien) désigné comme l’homme idione (“Yats is the one”, ou encore “Yats est notre homme”). Il s’agissait de prendre démocratiquement en mains les destinées de l’Ukraine, revue et corrigée par Maidan-BHL sous le contrôle de Victoria Nuland et l’amical commentaire de George Friedman, de Statfor, décrivant quelques mois plus tard ce processus hautement démocratique comme « le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire », et cela aimablement confirmé par BHO.

Eh bien, “notre homme Yats” s’en va. Il annonce sa démission qui prendra effet après-demain, après des mois de lutte incessante contre les sondages oscillant entre 0,5% et 3% d’opinions favorables (ce sont nos chiffres, selon un sondage intuitif, mais qui rejoint la pratique scientifique de la statistique dans son cas) et les attaques intimes au sein du Parlement. Horriblement impopulaire, comme tous les dirigeants démocratiquement actifs en Ukraine, Iatseniouk a finalement cédé à l’amicale pression de ses amis. Selon Alexander Mercouris, de Russia Insider, Porochenko est allé aux USA s’informer auprès des sources idoines sur la question de savoir s’il pouvait enfin se débarrasser de Yats, et on lui a répondu “ouais, après tout pourquoi pas”, comme on chasse une mouche qui insiste et agace...

« The political reality is however that his support in Ukraine collapsed months ago.  The one thing that has kept him in office has been the backing of the US. It seems that Poroshenko’s recent visit to the US - where he met with Obama and Biden – was principally to secure US approval for Yatsenyuk’s removal.

» To what extent Yatsenyuk will continue to remain an important figure in Ukrainian politics is debatable.  He was never popular to start with and over the course of his time as Prime Minister such popularity as he had has collapsed. It is possible that in time Yatsenyuk will come to see this for himself, in which case a comfortable post in some university or think-tank in the US may be what lies in store.

Bien entendu, l’Ukraine est dans un état de décomposition avancée et il est infiniment probable que la chose se poursuivra, si l’on tient compte de la qualité générale des dirigeants ukrainiens, du niveau statistique remarquable de leur corruption (entre 120% et 150%) et de l’orientation avisée de leurs protecteurs américanistes. L’Ukraine est une sorte d’archétype des entreprises générales du Système dans notre époque, ou disons pour satisfaire les esprits rationnels de la politique volontariste de l’hégémonisme américaniste et de la non-politique opérationnelle de l’UE qui va bien entendu interpréter le référendum hollandais comme un “feu vert“ pour aller encore plus vite dans le sens de l’intégration de l’usine à gaz ukrainienne dans l’UE. On ne peut rien contre cette sorte de frénésie neurotique qui affecte le cerveau réduit à son côté reptilien badigeonné d’une apparence de raison de tous ces zombies-Système, – narrative, déterminisme-narrativiste, etc.

Ainsi s’ensuit-il que cette crise ukrainienne, bien qu’actuellement en vitesse de croisière, est archétypique, par l’importance du pays, sa position stratégique, la brutalité de l’intervention du Système, etc., de ce phénomène si fondamental de l’enchaînement vertigineux surpuissance-autodestruction du Système. Cet enchaînement est si évident dans le cas ukrainien qu’il présente des aspects extrêmement sophistiqués, et nous allons nous y attarder puisque le départ de “notre homme Yats” nous y invite. L’aspect le plus “sophistiqué” est certainement dans ceci que les Russes, qui se trouvaient sur la défensive par l’investissement de ce pays par l’UE, l’OTAN, Washington et tous les amis, s’en sont sortis victorieux au-delà de ce qu’eux-mêmes imaginent, aujourd’hui même, et non par des manœuvres subtiles bien qu’il y en eut ; mais encore plus par l’étrange processus psychologique qui affecte nos dirigeants.

Plus que jamais, aujourd’hui, la narrative perçue comme une absolue réalité, c’est que la Russie tient toute l’Ukraine orientale, peut-être, sans doute avec des forces qui y sont discrètement déployées, cela après plusieurs poussées successives. C’est-à-dire que toute la vague extraordinaire que ce que nous tenons pour diverses narrative de circonstances conduites par le déterminisme-narrativiste, sont perçues comme autant de vérités-de-situation comme nous dirions, et par les zombies-Système comme la réalité pure et simple, sans autre complication. Comment concilier ces montages extraordinaires avec l’absence, tout aussi extraordinaire en bonne logique, de la moindre preuve de ces situations que nous tenons nous-mêmes comme des obligations du déterminisme-narrativiste, donc de véritables constructions d'esprits énervés ? La réponse est simple : parce que les Russes sont décidément complètement exceptionnels dans l’art de la guerre et de la dissimulation de la guerre (de la “guerre hybride” à la “stealth invasion”).

Ce qui est très remarquable dans les plus récentes interventions des chefs militaires US de l’état (catastrophique) de leurs propres forces par rapport à des ennemis potentiels, dont le Russie est le n°1 et l’essentiel à la fois, c’est la place faite dans leurs évaluations catastrophiques et catastrophées (pour eux) des performances remarquables accomplies par l’armée russe dans la crise ukrainienne, en Ukraine même. Il est vrai qu’il y a au départ une incontestable réalité, que tout le monde connaît, dont les Russes eux-mêmes s’enorgueillissent : la rapidité, la discrétion, l’efficacité sans une bavure de leur intervention pour se saisir de tous les points stratégiques de la Crimée et pour sécuriser cette prise, sans quasiment un coup de feu, sans une perte, sans rien, à peine un bruit... Fin mars 2014, le général Breedlove disait sans ambages sa stupéfaction : « We saw several snap exercises executed in which large formation of forces were brought to readiness and exercised and then they stood down... And then…boom—into Crimea…with a highly ready, highly prepared force... [...]The [2008] incursion of Russia into Georgia…was probably not the smoothest. By way of comparison, the incursion into Crimea went very much like clockwork, starting with almost a complete disconnection of the Crimean forces from their command and control via jamming and cyberattacks and then a complete envelopment by the Russian forces inside of Crimea. »

Ensuite, il y eut les invasions de l’Est de l’Ukraine, au moins 36 en 9 mois comme l’on parlerait des 36 chandelles, qui nous sont apparues comme une véritable superproduction hollywoodienne, un emprisonnement sans fin au déterminisme-narrativiste. Mais eux-mêmes ? Les zombies-Systèmes, les généraux du Pentagone ? Certaine y croient tout de même, d’autres s’interrogent peut-être, d’autres encore doivent se dire qu’il faut faire quelques montages de plus, etc. Mais tout cela, ce sont des nuances. Ce qui apparaît au-dessus de tout cela, c’est 1) que les Russes ont fait quelque chose en Ukraine orientale, 2) qu’ils ont fait de toutes les façons ce qu’ils ont voulu, et 3) que nous n’y avons vu que du feu, à chaque fois incapables de les voir venir ni même de les voir en train d’agir ... (On leur répondrait : mais non, il n’y a rien eu ; et ils insisteraient : mais voyons, voyez la Crimée, les Russes font ce qu’ils veulent sans qu’on les voit !)

Nous laissons là ce débat sur la narrative, la réalité pulvérisée et la vérité-de-situation, pour dire cette observation qui nous a frappé dans nombre de déclarations de chefs militaires, et notamment, les plus récentes de deux chefs de l’US Army devant le Sénat. Tous citent essentiellement l’Ukraine comme preuve de l’exceptionnelle amélioration des capacités russes, et ce n’est qu’accessoirement qu’ils citent la Syrie. Dans ce cas, certes, les performances des Russes sont remarquables et tout le monde le reconnaît, mais ils pensent qu’elles ne font que confirmer à ciel ouvert, – puisque, cette fois (!), les Russes n’ont rien dissimulé, on dirait par volonté politique effective, – ce qu’ils avaient déjà démontré, à cieux brouillés par leurs capacités de dissimulation, en Ukraine à de nombreuses reprises ; sauf la préparation de l’opération de déploiement en Syrie, très rapide et discrète, et qui confirme, elle ... les opérations en Ukraine.

(Par exemple, le général Milley, chef d’état-major de l’US Army, le 7 avril devant le Sénat : « Si vous devez déployer une brigade ou une division, l’empreinte [électronique] au sol du quartier général de cette unité est très grande [et] si vous émettez une très grande variété de signaux électroniques venant des radios, des ordinateurs et de toute cette catégorie d’outils dont nous disposons... Nous avons vu en Ukraine que [les Russes] peuvent identifier et situer la concentration de ce signal très rapidement, y envoyer des drone de reconnaissance pour localiser et acquérir l’objectif, et déclencher un feu d’artillerie massif sur vous, – et vous êtes mort... » Il parle comme si les Russes avaient vraiment mené une guerre conventionnelle de haute intensité en Ukraine, que leur extraordinaire habileté fait que personne n’a rien vu venir ni vu effectuer, – et que, par contre, tout le monde est KO debout...)

Il est incontestable que les forces militaires russes sont complètement transformées et, sans guère de doute aujourd’hui, les meilleures du monde. Le Pentagone le reconnaît, les experts abondent dans ce sens. Mais l’Ukraine, avec sa narrative et son déterminisme-narrativiste, a enrichi cette nouvelle réalité d’une capacité quasiment mythique des Russes à agir sans être vu. Il est difficile de trouver une démonstration plus extraordinaire d’un retournement du au déterminisme-narrativiste, à la suite de la narrative faisant des Russes des agresseurs, tout cela aboutissant finalement à faire de la Russie une formidable puissance qui, en plus de ses très réelles capacités, possède une sorte de magie dans la capacité à agir sans être vue. Il s’agit d’un complet retournement dans la “guerre de la communication”, où une narrative finit par un formidable effet-boomerang, effectivement comme un passage de la surpuissance à l’autodestruction de la part de tous les zombies-Système qui manipulent toutes ces choses.

 

Mis en ligne le 11 avril 2016 à 10H43