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123811 mars 2010 — Notre prochaine rubrique dedefensa de dde.crisis sera consacrée à la crise du pouvoir, “à l’ombre de 2012” qui sera une année exceptionnelle à cause de trois élections présidentielles successives, en Russie, en France et aux USA, – cela, bien sûr, en plus du calendrier des Mayas.
Ici, nous nous attachons à un point particulier, qui concerne deux des trois personnes impliquées dans deux des trois élections en question. Il s’agit des présidents Sarkozy et Obama, chacun à la tête d’un pays significatif et important, plus ou moins et dans un sens ou l’autre, du système occidentaliste. Leur jeunesse, leurs personnalités éclatantes, chacune à sa façon telles qu’elles furent présentées, leurs “programmes” pleins d’allant, les désignaient comme des dirigeants dont l’arrivée signifiait, à la fois implicitement et explicitement, un changement dynamique et une reprise en main du pouvoir. Le résultat, trois ans et un an après leur arrivée au pouvoir, est stupéfiant et, pour les deux dirigeants, consternant.
Notons quelques observations, un peu plus longues dans le premier cas, beaucoup plus sèche mais statistiquement très significative pour le second.
• Pour le cas Sarko, nous citons deux extraits de textes publiés sur le site Marianne2. Sur son blog (Tourner la page, le 9 mars 2010), Jean-François Kahn, prenant comme référence les derniers sondages et acceptant l’hypothèse qu’ils rendent comptent du résultat des prochaines élections municipales en France, évoque le “sauve-qui-peut” qui accompagnerait de tels résultats à l’intérieur de la droite: «… si le sauveur suprême ne sauve suprêmement plus rien, alors on assistera à une recherche éperdue d’une locomotive de rechange.
»D’où un regroupement des plus libéraux derrière Fillon, éventuellement des plus conservateurs derrière Jean-François Copé, des plus gaullistes derrière Dominique de Villepin et les plus centristes derrière Borloo. Et tous, alors, n’auront qu’une idée en tête : dissuader Sarkozy de se représenter en 2012. (N’a-t-il pas évoqué lui-même son désir de se reconvertir dans les affaires ?).»
Dans le même hebdomadaire, le même 9 mars 2010, de Elie Arié : «…Il est donc probable que, les sondages étant appelés à lui rester tout aussi défavorables qu’aujourd’hui, il ne se sera pas candidat, en 2012, à une défaite quasi certaine. Ainsi, quel que soit le résultat des Régionales, tout laisse à penser que les deux candidats du deuxième tour de la Présidentielle de 2012 ne seront pas les mêmes qu’en 2007.»
• Pour Barack Obama, il ne s’agit pas d’un commentaire, – il n’en manque pas dans les presses diverses, presse libre et même “presse officielle”, – mais d’un simple sondage qui fut largement commenté. Certains parlèrent d’un “choc”. Le sondage CNN du 16 février 2010, présenté par exemple par The Hill ce même 16 février 2010, nous annonçait que 52% des personnes consultées ne voteraient pas pour Obama en 2012, contre 44% qui le feraient...
«52 percent of Americans said President Barack Obama doesn't deserve reelection in 2012, according to a new poll. 44 percent of all Americans said they would vote to reelect the president in two and a half years, less than the slight majority who said they would prefer to elect someone else.
»Obama faces a 44-52 deficit among both all Americans and registered voters, according to a CNN/Opinion Research poll released Tuesday. Four percent had no opinion.
»The reelection numbers are slightly more sour than Obama's approval ratings, which are basically tied. 49 percent of people told CNN that they approve of the way Obama is handling his job, while 50 percent disapprove.»
@PAYANT Voilà les deux situations, également catastrophiques. Les cas de Sarkozy et d’Obama sont-ils comparables? Certains aspects de leur ascension politique et de leur action politique présentent effectivement des similitudes évidentes, qui permettent de répondre par l’affirmative malgré les différences également évidentes de personnalité. C’est, tout aussi évidemment, dans ces similitudes de circonstances qu’il faut chercher cette similitude de destin qui les met aujourd’hui dans une position si difficile alors que leur affirmation de départ a semblé irrésistible.
• Leur jeunesse d’abord, avec la volonté de représenter dans l’“image” de leur élection puis de leur présidence, chacun à leur façon, une rupture complète. Il s’agit moins d’un projet politique précisément construit que d’un “style”, d’une façon de “raconter” la politique à venir, qui devait trancher avec ce qui avait précédé. En quelque sorte, on présentait l’idée qu’un rythme différent allait accoucher du “changement” que tous deux promettaient. D’un point de vue politique, ils présentaient tous deux une égale absence de précision dans leurs intentions. Sarkozy fit une campagne finalement “apolitique” en plaidant deux voies politiques complètement opposées (l’hyper-libéralisme et la réaffirmation nationale); Obama, de même, en appelant à un rassemblement général pour “le changement” nécessaire, notamment à cause de la crise mais sans référence directe à la voie à choisir contre la crise. D’une façon assez caractéristique, ce vague politique était contradictoire de l’image de changement radical qu’ils présentaient.
• Tous deux présentaient une réelle inexpérience dans la pratique des matières de grande politique. Cela s’accordait évidemment avec l’absence de précision dans leurs intentions politiques. Au contraire, tous deux montrèrent une très grande habileté dans la manufacture de “réseaux” de soutien de type politicien, Sarkozy longtemps avant son élection, Obama très rapidement dès qu’il apparut qu’il pouvait avoir une chance d’être élu. La différence de chronologie rend d’autant plus appréciable la similitude de leur habileté à construire une “base d’influence” politicienne. D’autre part, cette habileté a son revers lorsqu’on n’a aucune expérience de grande politique, sans parler de vision; pour en acquérir, au moins au niveau du vernis, on dépend de ses “réseaux” et de son entourage proche, ce qui n’est pas une garantie de haute pensée et de jugement sûr.
• Tous deux furent élus plutôt “par défaut”, sans réelle concurrence alors qu’ils présentaient l’“image” d’hommes radicalement nouveaux et d’hommes de rupture. C’est un paradoxe puisque la “rupture” semblait ainsi ne l’être par rapport à personne. Cela n’a rien à voir avec eux mais avec les circonstances. Sarkozy a été élu dans une sorte de “vide français”, une crise française de substance et d’identité qui semblait plutôt sous-jacente et pourrait être caractérisée comme un “malaise”, qui n’était finalement que l’interprétation française de la crise générale. L’élection d’Obama, en deux temps (primaires et présidentielle), présenta des caractéristiques similaires, tant les différents candidats qui semblaient plus proches de l’establishment que lui semblèrent s’évanouir autour de lui. Le deuxième temps de son élection, après sa désignation comme candidat démocrate, fut fondamentalement influencé par la crise de septembre 2008, qui fut sa véritable électrice. Son prédécesseur (GW Bush, vous vous rappelez?) avait complètement disparu de nos écrans radars depuis fin 2006.
• Ces deux “élus par défaut” furent donc aussi élus, sinon appelés par les circonstances. Cela explique ce qui sembla être ce paradoxe d’une “élection par défaut” perçue également comme une élection irrésistible, voire triomphale, dans les deux cas. Tout cela constituait une “représentation” de leurs élections, voulue par eux et leur formidable activité de communication, mais qui sembla également favorisée par les événements. Tous deux semblaient être des hommes qui correspondaient aux circonstances, – le tout étant de savoir qui, au bout du compte, manipule qui: les hommes qui manipulent les circonstances à leur profit, ou l’inverse?
• Depuis, les deux hommes ont finalement eu effectivement le même type d’action, essentiellement basée sur l’agitation et sur la communication. L’agitation de Sarkozy n’est pas à démontrer, non plus que l’avalanche extraordinaire de discours et d’interventions d’Obama. Leur action est à cette image. Même s’il y eut des intentions de rupture ici ou là, des périodes où une rupture sembla possible, aucun des deux n’a changé radicalement la politique du pays qu’ils gouvernent alors que les événements appelaient un tel changement. Par rapport à la puissance apparente de leur élection, leur usure a été extraordinairement rapide. Malgré des velléités en telle ou telle circonstance, aucun des deux hommes n’a été capable d’imprimer sa marque sur le cours des événements ni sur la substance des politiques nationales. Sarkozy n’a pas pu rendre la politique française plus “atlantiste” et plus “libérale” et l’orientation pro-russe actuelle rejoint une tendance française naturelle; Obama n’a pas pu transformer la politique bushiste, et il en est au contraire complètement prisonnier, alimentant ainsi la tension centrifuge du pays.
Tout se passe comme si ces deux hommes étaient des hommes de circonstances et non des hommes de caractère; c’est-à-dire jouets des circonstances et nullement affirmés par leurs caractères. (Réponses aux questions posées plus haut.) Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils n’aient pas de caractère (disons, cette hypothèse surtout pour Obama) mais plutôt que la puissance des événements domine tout. (Bien, on reconnaîtra aisément nos thèses “maistriennes” qui sont, à notre sens, plus valables que jamais.)
Ces circonstances font que ce qui semblait impossible en 2007 et en 2008, à cause du “vide” autour d’eux qui accompagna leur élection, est aujourd’hui possible sinon probable. L’évidence apparente de leur élection semblait les installer pour longtemps au pouvoir, l’absence complète de substance de leur action fait aujourd’hui que le “vide” autour d’eux qui favorisa leur ascension, semble soudain s’être transporté dans leurs propres personnes, à l’intérieur d’eux-mêmes. Mais cela, c’est parler en termes politiques, voire politiciens. Une variante serait: la puissance de la crise (des événements) est telle qu’elle “use” les hommes dont elle fait ses jouets à une vitesse stupéfiante, après en avoir usé.
Nous verrions une autre similitude dans leur destin. Autant Sarkozy qu’Obama, par leur action désordonnée et impuissante, ou bien par leur inaction extraordinaire, par le contraste entre la puissance de leur ascension et l’impuissance de leur mandat, ont fait fortement avancer la conscience de l’ampleur de la crise (tout le monde a compris qu’il y avait une crise mais la réalisation est en train de se faire de son ampleur systémique et eschatologique); et cette conscience, autant dans l’establishment qui comptait sur eux pour protéger son statut face à sa mise en cause par la crise, que dans la population qui comptait sur eux pour protéger sa subsistance du poids écrasant de cette crise. Leur échec déjà évident est une victoire de la conscience des choses historiques que nous affrontons. La crise les a fait surgir pour en user, la crise les fracasse après les avoir usés.
L’effet de ces circonstances et de ces destins ainsi interprétés, sans que rien d’assuré quant aux circonstances à venir ne puisse être avancé, est l’accélération de la crise dans leurs pays respectifs. A côté de l’accélération de la conscience de la crise, se dessine une agitation à mesure. Cela se voit en France dans le fait du réveil des ambitions politiques que l’agitation dynamique de Sarkozy semblait avoir anesthésiées. Ce qui nous importe ici n’est pas la qualité de cette agitation mais le fait de cette agitation elle-même. Les avatars divers du projet européen et des agitations sarkozystes ont également exacerbé la conscience de la crise de l’identité française; le débat n’est plus sur l’“existence” de la France par rapport à l’Europe, laquelle ne joue plus qu’un rôle accessoire dans la crise, mais sur l’existence de la France par rapport à elle-même (identité française). Aux USA, la situation est encore plus tendue, plus chaotique, parce que la crise porte sur une structure dont la tendance dynamique est désormais nettement centrifuge. Elle porte moins sur une hypothétique identité américaine que sur la possibilité et le moyen de se passer éventuellement de cette référence soi-disant (et faussement) identitaire. L’intérêt de cette situation dans ces deux pays précisément est qu’elle touche les deux archétypes fondamentaux des deux organisations politiques principales, très différentes sinon opposées, – la nation régalienne et la fédération contractuelle, – et qu’elle s’est installée selon un calendrier particulièrement serrée (élections présidentielles en 2012).
Ainsi peut-on observer que l’effet de l’arrivée de deux jeunes présidents, absolument engagés dans la politique de communication, donc investis des moyens de dissimuler la situation ou de transformer l’apparence de la situation, a été au contraire de mettre à jour avec une puissance peu commune la réalité de la puissance de la crise. Aucun des deux n’a eu l’audace, ou l’idée, d’aller au-devant de la crise pour la révéler et susciter des événements et des réactions mettant en cause un système totalement pervers et en cours d’effondrement (hypothèse de l’“American Gorbatchev” pour Obama); tout juste doit-on reconnaître à Sarkozy une période “de grâce” (sa présidence européenne) où il osa dénoncer (le 24 septembre 2008 à Toulon) le système dans certains de ses fondements, – pour ensuite abandonner la voie qui, pourtant, aurait pu lui procurer une popularité notable en faisant de lui une sorte de “Gorbatchev à la française” dénonçant le système occidentaliste.
Quoi qu’il en soit, ils ont tout de même obtenu le résultat, par leur comportement, par leur échec même, de mettre effectivement en évidence la réalité d’“un système totalement pervers et en cours d’effondrement”. C’est pour cette raison qu’ils peuvent apparaître aujourd’hui, d’une façon paradoxale, complètement condamnés, allant vers des élections perdues d’avance ou même renonçant à se représenter. On peut effectivement avoir le sentiment qu’il s’agit de leur destin et que cela correspond à leurs caractères ou à leurs situations au point où ils sont arrivés. Obama est intelligent mais désormais totalement prisonnier d’un caractère velléitaire et d’un entourage proche qui lui interdit de se forger lui-même une opinion sur la crise du monde. Sarko est vide de toute pensée historique ou intuitive, son énergie semble épuisée du point de vue de la créativité, jusqu’à ne produire désormais que des effets négatifs.
Cette hypothèse probable de leurs difficultés jusqu'à l'échec possible en 2012 ne pourrait être infirmée sérieusement, à notre sens, que si l’un ou l’autre tentait d'ici 2012 un coup d’éclat majeur (type “American Gorbatchev” ou “Gorbatchev à la française”). On ne voit guère de signes dans leurs caractères ni dans leurs conceptions qui les y poussent. Néanmoins, si quelque chose de cette sorte arrivait, on parviendrait au même résultat que celui qu’on va décrire ci-dessous…
La conclusion de cette double aventure placée arbitrairement en parallèle à cause d’une évolution malheureuse également parallèle de leurs situations politiques, dans la perspective des élections présidentielles parallèles de 2012, est que ces personnages, qui promettaient beaucoup et ont tenu fort peu, finalement auront servi à quelque chose. Leur arrivée sur le plus haut de la scène politique, présentée comme quelque chose de complètement nouveau avec la capacité d’affronter et d’apaiser les tensions qui affectaient leurs pays, continuée par un exercice du pouvoir devenu un échec tonitruant à cet égard, a eu le mérite d’élargir la conscience et la vision de la crise. Leur incapacité à rétablir un ordre quelconque, qui aurait été nécessairement factice, a fortement contribué à nous ouvrir les yeux sur le désordre du monde. En ce sens, ces faux-Gorbatchev auraient été des Gorbatchev par mégarde.
Selon cette logique prospective, il faudrait plutôt s’attendre à ce que leur fin de mandat soit de plus en plus chaotique, conduisant à une année 2012 qui pourrait être des plus intéressantes. Sur le seul plan factuel, on pourrait favoriser des suggestions prospectives d’un processus d’accélération d’éclatement de facto de l’Europe avec des alliances pour la remplacer, dont les perspectives actuelles entre la France et la Russie sont une illustration possible; pour les USA, effectivement, une accélération d’un processus centrifuge de type dévolution, à l’occasion des conflits entre les Etats de l’Union et le centre, concernant autant les problèmes financiers que les problème de politique générale. Encadrant ce possible processus de déstructuration de certaines situations du système en place où les deux pays considérés ont une place importante (“déstructuration structurante” par conséquent, puisque le “système en place” est lui-même déstructurant), la crise ne cessera d’enfler, de s’élargir, d’envahir tous les aspects de notre civilisation, s’appuyant à cet égard sur la carrière et l’échec de ces deux hommes qui semblaient être venus, auréolés de leur jeunesse, pour empêcher ou pour terminer la crise.
Folle jeunesse, jeunesse usée… La question finale, et la plus sérieuse du lot, est donc: les Mayas, avec leur sacré calendrier version 2012, ont-ils vu clair?
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