Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
892Il est entendu, comme nos lecteurs le savent, que nous tenons pour particulièrement essentiel les constats de “climat” et d’“humeur” des situations, très souvent bien plus que les faits dont on connaît l'extrême relativité. Cela est singulièrement vrai, au-delà de tout précédent, dans une époque où le système de la communication tient une place prépondérante dans l’expression et le déplacement des courants également essentiels de notre époque, pour exprimer les puissances en jeu. C’est pour cette raison que nous accordons une place importante à ce texte de Harlan K. Ullman, du 21 septembre 2011 (sur UPI et Spacewar.com) ; parce que Ullman est une de nos références pour bien nous faire sentir et mesurer l ‘évolution du “climat” et de l’“humeur”, c’est-à-dire l’évolution de la marque et de la pression sur la psychologie de l’évolution des événements, et la perception qu’on en a ; parce que Ullman, à plus d’une reprise, a montré, par ses analyses, qu’il ressentait assez justement l’évolution de grandes tendances et événements qui sortent des références-Système habituelles pour rendre compte de la vérité de la situation. C’est lui, notamment, qui a bien défini cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” du Système à laquelle nous nous référons souvent.
(Cela ne signifie pas du tout que Ullman soit un critique du Système, encore moins un “dissident” ; au contraire, il est un représentant “honorable” de cette “élite” qui sert le Système, et l’américanisme dans ce cas. Mais il se trouve qu’il est évidemment plus lucide que nombre de ses pairs et, pour cette raison, il est conduit à des considérations plus proches de la vérité de l’état du Système ; conscient de l’urgence de la situation, il n’hésite pas à exposer ces considérations et il devient ainsi, nous dirions “objectivement” et sans porter de jugement sur lui, une source précieuse pour comprendre la véritable situation du Système.)
Dans sa chronique, Ullman développe un constat : l’Amérique n’est plus respectée. Il cite diverses circonstances, que ce soit la façon à la limite de l’agacement et du mépris avec laquelle les Européens ont accueilli les conseils du secrétaire au trésor Geithner pour la crise de l’euro, l’impression catastrophique causée par la crise puis l’accord de la dette du gouvernement à Washington, la position en retrait des USA dans l’affaire libyenne (le fameux et pathétique “leading from behind” d’Obama), l’isolement et la perte d’autorité US dans l’affaire de la reconnaissance de l’Etat palestinien, la perception d’un état de crise chronique de la puissance US au niveau intérieur (économie) et extérieur (situation de l’OTAN, Afghanistan, etc.). Ullman ajoute un aspect fort peu rendu public de la récente série d’attaques effectuées contre les “institutions” US et de l’OTAN à Kaboul, qu’il attribue à une influence, sinon une intervention quasiment directe d’éléments pakistanais chez les talibans, signifiant par là que le Pakistan s’implique directement dans une politique d’intervention anti-US en Afghanistan. Il nomme cela “irrespect” pour la puissance US, ce qu’on pourrait traduire par un signe de plus de notre diagnostic d’effondrement : «A final example of disrespect, senior U.S. officials say that last week's attacks attributed to the Haqqani network against military and diplomatic headquarters in Kabul were a signal to the United States of the reach of certain elements in Pakistan to affect events in Afghanistan.»
Enfin, Ullman observe également la désintégration que connaît aujourd’hui l’administration Obama, actant ainsi l’un des facteurs clef de la désintégration du pouvoir au cœur du Système. «The latest Washington tell-all book just hit the streets accusing the White House of chronic indecision, a hostile work environment for women and a president who couldn't control his team. […] [A]mong the political literati in Washington, this White House is perceived as among the most dysfunctional in a long time. That perception further destroys respect for the administration and its ability to lead the nation.»
Ce triste bilan, où n’apparaît aucun signe d’espoir, amène Ullman à sa conclusion, qui est d’observer que les USA se trouvent désormais fort proches d’un Moment essentiel, avec un pouvoir dans un “état désespéré”. Bien entendu, on pense à la possibilité d’un réel effondrement, d’une dissolution accélérée. Poursuivant dans le domaine intérieur qui est effectivement la clef de la stabilité du Système, il nous indique implicitement ce qu’il croit être la perspective de ce “Moment essentiel”, – et l’on sent bien que les concessions qu’il fait à l’optimisme aveugle de rigueur dans la phraséologie du Système sont de pure forme. Les dates qui lui viennent à l’esprit comme analogies historiques sont 1776 (la révolte des colonies américaines), 1861 (la Guerre de Sécession), 1941 (Pearl Harbor)…
«More depressingly, the 2012 presidential campaign is off and running with a vengeance. Republican candidates are embarked on often scorched Earth campaigns to demolish opponents and, of course, to attack the incumbent. This process hasn't bolstered America's image. And it is just starting with nearly 14 months to go.
»America is adrift. Absence of respect is one measure of the desperate state of the leadership and governing capacity of the world's most powerful country. Despite demands for the president to fire key staff or become less loved and more feared, changing this reality and its perception will not happen quickly if it happens at all.
»Some believe these conditions are self-correcting and will rebuild respect. Perhaps.
»But, since 1776, fundamental self-correction in America occurred only in 1861 with a bloody civil war that resolved previously irreconcilable constitutional contradictions and 1941 with a world war that ultimately made America a superpower.
»What lies ahead could be equally momentous – for good or for ill.»
…“Ainsi soit-il”, dirions-nous, cette fois dans le mode lugubre – “pour le meilleur et pour le pire”, termine Ullman, et l’on trouvera bien peu d’arguments pour croire qu’il pense au “meilleur”. Cette référence Ullman, comme nous l’avons dit plus haut, nous paraît importante. (On trouve, dans le texte référencé plus haut, les faits et situations qui nous font juger qu’Ullman est un excellent témoin de la situation washingtonienne, au cœur du Système.) Jusqu’alors, les chroniques d’Ullman étaient furieuses, critiques, voire agressives par rapport à l’évolution de la situation du système de l’américanisme, et du Système par conséquent. Elles restaient combatives. Dans celle que nous citons aujourd’hui, il y a une sorte de fatalisme implicite, comme si Ullman nous disait : “Le sort en est jeté, il n’y a plus rien à faire pour modifier le cours des choses”, – sinon espérer ce “moment miraculeux” qui fait que s’opère un redressement inattendu, presque magique, comme il y eut paraît-il dans l’histoire des USA. Mais il s’agit d’une réserve de forme, du type “lip service”, à laquelle il est évident qu’il ne croit pas un instant. D’ailleurs, la description des tournants historiques qu’il cite comme autant de “moments miraculeux” est hautement suspecte elle-même…
«America is adrift», c’est-à-dire : l’Amérique est à la dérive, mais dans un océan furieux et déchaîné, comme on se met à la cape en priant pour que le pire ne survienne pas. Effectivement, l’Amérique entre dans une période d’abandon total aux événements du monde et aux événements nés de ses propres folies. Elle attend le verdict de l’Histoire, avec résignation ou avec inconscience selon de qui l’on parle. Ullman est du type résigné et désespéré. Sa chronique n’est pas loin de nous dire : “Eh bien, tout est perdu, il reste à savoir quand et comment cela se passera”.
A ce point, effectivement, viennent à l’esprit 2012 et la campagne présidentielle. Il semble bien que cela soit pour ce “Moment”-là, ce Moment au sens psychanalytique du terme (un moment de paroxysme et de catharsis), que l’Amérique, avec notamment sa direction politique qui l’a accompagnée dans l’état désespérée où elle se trouve, attend son rendez-vous avec l’Histoire. L’ironie tragique de la chose est bien entendu que l’Amérique s’identifie à une idée et à une conception du monde à la fois, sur lesquelles elle s’est toujours appuyée pour affirmer qu’elle avait maîtrisé l’Histoire et l’avait réduite à une histoire américaniste, à son service exclusif et à sa gloire propre. (Il n’y a pas si longtemps, en 2002 comme le rapportait Ron Suskind en octobre 2004, les serviteurs du Système l’affirmaient unanimement, avec cette prodigieuse arrogance, cette prétention à une puissance surhumaine capable de créer sa propre vérité, ces attitudes qui n’ont guère de précédent avec leur grossièreté et leur aveuglement, dans l’histoire des illusions et des illusions perdues : «“We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality – judiciously, as you will – we'll act again, creating other new realities…»)
Cette prétention à avoir changé l’Histoire en histoire américaniste était celle de l’Amérique, mais aussi celle de la modernité elle-même, que l’Amérique représente sans aucun doute pour tous les esprits qui ont épousé la modernité, – qui ont accepté leur servilité au Système, quand ils la réalisent. C’est donc bien toutes nos directions, toutes nos “élites” qui sont concernées ; c’est donc sans aucun doute notre contre-civilisation qui est en cause ; c’est donc le Système lui-même qui est face à son destin.
Il semble bien qu’Ullman nous dise que l’Amérique a baissé les bras, qu’elle a capitulé, que l’Histoire l’a vaincue. Elle attend aujourd’hui, finalement même pas le verdict de cette Histoire qu’on évoquait plus haut, mais l’exécution de la peine qui suit le verdict. Ullman semble nous dire que c’est pour 2012, avec cette circonstance explosive de la campagne des présidentielles, – si l’on traduit son propos à l’aune de nos propres conceptions, 2012 devenant une sorte de “fin de cycle, tout le monde descend”. 2012 ? On verra, certes… Pour l’heure, et pour ce qu’on peut savoir des choses à venir, l’on sent bien que le symbole, les circonstances, l’état de la psychologie, que tout se prête à l’exécution de cette phase ultime que l’état d’effondrement pathétique de notre Système réclame à longs cris furieux et désespérés.
Mis en ligne le 23 septembre 2011 à 06H45
Forum — Charger les commentaires