9/11 en Irak

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9/11 en Irak

11 septembre 2007 — C’est un truc de relations publiques, un truc virtualiste dans un univers qui n’est plus que virtualisme ; un truc dont ils ont imaginé qu’il serait l’habileté même… C’est le général Petraeus témoignant devant le Congrès un 11 septembre (son audition commencée hier s’est poursuivie aujourd’hui). Surprise, ce général n’a rien de flamboyant ni de particulièrement sexy. Finalement, il est aussi commun que son patron, GW, car on fit rarement mieux en fait d’humanité commune pour cette fonction d’exception, qu’avec ce président-là, avec sa psychologie sommaire bornée par une seule idée. La gloire centrale de l’américanisme, — le triomphe du “Common Man” vanté dans la deuxième époque de FDR, c’est-à-dire du “dernier homme” nietzschéen, — cette idée est aujourd’hui accomplie. Ainsi soit-il.

Idée pour idée, ils en débattent d’une autre aujourd’hui, qui est celle de l’Irak. Bien sûr, il n’y a aucun débat sinon quelques mouvements d’humeur de sénateurs qui se doutent de quelque chose. Il se dit même qu’on demandera à nouveau à Petraeus de venir témoigner en mars 2008 que la guerre continue. Tout cela n’est qu’un décorum répondant à la doctrine triomphante, la doctrine de l’apparence manipulable à l’infini qu’est le virtualisme. L’Amérique restera en Irak en proclamant que, malgré tout, tout ne va pas si mal parce qu’aucune autre issue que rester en Irak n’est concevable pour la puissance de l’Amérique. Pour les orientations fondamentales de sa politique, cet artefact singeant la réalité d’un empire qu’est l’Amérique s’en remet à sa vanité. En attendant, le principal moteur de son action est la peur. William Pfaff avait précisément raison lorsqu’il écrivait le 17 mai dernier :

«No door can be closed this time because both Democrats and Republicans have interiorized the idea of the global war against terror. Integral to that is fear. As the president has repeatedly reminded Americans, Terror will again strike the United States. Polls indicate widespread anxiety about new attacks of Middle Eastern origin, or by Moslem individuals. (…)

»This Great Fear will keep America in the Middle East. It is formal doctrine that the U.S. must be militarily dominant everywhere so as to fight “extremism.”»

Le show Petraeus se déroule conformément au plan prévu, selon une expression en vogue dans l’univers soviétique ; conformément à la bonne blague qui courait du temps de la fin de l’empire soviétique, ils en sont à la formule brejnévienne. (“Les dirigeants soviétiques du temps de Staline se déplacent en train. Le train tombe en panne. Staline ordonne qu’on fusille le chauffeur, le mécanicien, le contrôleur et les passagers. La même mésaventure du temps de Brejnev, avec le train toujours en panne. Brejnev se tourne vers les membres du Politburo: ‘Camarades, faites comme moi, fermez les rideaux des fenêtres et dites ‘tchouc, tchouc, tchouc’ en cadence’…”)

Ils ont donc décidé que la guerre en Irak se poursuivrait selon la “réalité” washingtonienne et non selon les événements de l’affreuse réalité irakienne. Il ne pouvait en être autrement. GW donnera à son successeur, en 2009, la patate chaude devenue brûlante précieusement enrobée dans la bannière étoilée. La guerre se poursuivra, au gré des “surges”, des renforcements-retraits, des chiffres bidonnés de forces déployées, des visites de presse soigneusement “guidées”, des auditions de généraux plus ou moins assermentés, des mouvements d’humeur de tel ou tel sénateur. Lorsque quelque chose dépassera un peu trop, lorsqu’il y aura un peu trop de bruit ou un peu trop de morts, on dira ce qu’a dit hier le député (démocrate, bien sûr) Ike Skelton, président de la Commission des forces armées de la Chambre : «The Iraqis have not stepped up to the challenge» (en gros, et en traduction complètement libre : “si ça va mal en Irak, c’est à cause des Irakiens qui n’ont pas compris ce que nous leur apportions”).

Le rapport Petraeus a recueilli à l’arraché un soutien forcé et grognon. Le général a tout de même été apprécié à sa juste valeur après que le même Skelton ait averti à l’intention du public que les perturbateurs ne seraient pas tolérés, — et en avoir fait expulser une poignée, dont Cindy Sheehan. (Lisez l’excellent rapport de WSWS.org sur la réunion mondaine d’hier, au Congrès.)

Il n’y avait rien à espérer de très sérieux, il n’y eut donc rien d’inattendu. Il a été démontré de façon convaincante que GW Bush n’a pas usurpé sa place, qu’il n’a pas volé sa présidence malgré ses mésaventures en Floride de la fin de l’automne 2000, qu’il est parfaitement à sa place démocratique avec moins de 30% de soutien populaire (le Congrès, lui, est à 23%). Ce président leur ressemble, il est à leur image. Il leur correspond parfaitement. La solidarité des hommes du système a été montrée par l’évidence et il a été montré par la même évidence qu’elle correspond moins à un acquiescement fataliste qu’à une communauté de corruption psychologique. Le système tient ferme toutes ses créatures, et plutôt par la corruption psychologique même s’il est tentant de croire que c’est par autre chose.

Différents commentateurs célèbrent le 11 septembre à leur façon, en en faisant une espèce de libération de l’irresponsabilité de l’esprit de la barbarie. «9/11 as a license to kill» observe aujourd’hui Norman Solomon. Robert Higgins le désigne comme ceci : «9/11 […] as an “open sesame”» :

«During the past six years, 9/11 has often served as an all-purpose instrument in the state's propaganda kit. For the Bush administration, it has provided the answer to every critical question about foreign and defense policies, among other things. If we challenge the wisdom, legality, or morality of the U.S. invasions and occupations of Afghanistan and Iraq, the government's spokesmen and supporters throw 9/11 in our face. If we criticize the enormous run-up in spending for military purposes and for “homeland security,” much of it obvious political pork that contributes nothing to the public's safety, the response to our criticism is that the people dare not risk another 9/11. If we express doubts about the wildly ambitious and morally presumptuous U.S. foreign policy of global hegemony, which, in its present swollen form, followed closely on the heels of George W. Bush's embrace of a humble foreign policy with no nation building during the 2000 presidential campaign (“I don't want to be the world's policeman”), we are told that 9/11 changed everything. If we object to the government's multifaceted assault on our civil liberties, the president stridently declares that everything being done is necessary to prevent another 9/11. If we wave our copy of the Constitution and express doubts about the president's claim of overriding power as a “unitary executive,” the government's lawyers assert that since 9/11 the nation has been “at war,” and hence the president's constitutional power as commander-in-chief trumps everything else.»

Sans rien repousser évidemment de ces interprétations mais plutôt en cherchant à les compléter, nous voudrions être à la fois moins américaniste et plus historique. Considéré rétrospectivement en ce 11 septembre, en ce jour d’anniversaire qui remet la chose à sa vraie place confrontée à la folie barbare de l’Irak, l’événement 9/11 semble désormais marquer la plongée de la civilisation dans un étrange trou noir. Il est symboliquement significatif qu’ils aient choisi ce jour pour l’achèvement du terne show Petraeus devant ce Congrès qui représente l’achèvement de la démocratie américaniste. L’événement de l’attaque 9/11, que Bush et ses compères tentent depuis si longtemps de lier au contexte irakien via Al Qaïda pour se justifier d’avoir attaqué l’Irak, s’y retrouve finalement, mais pas l’autre biais du virtualisme américaniste plongé dans la folie irakienne. Le symbole est crépusculaire. Au moment où Petraeus enchaîne l’Amérique à la guerre folle de l’Irak bien au-delà de 2008, sur ordre de son commandant en chef et avec l’assentiment général finalement, se concrétise la possibilité qu’effectivement l’Irak devienne le cimetière de l’illusion américaniste.

Ainsi ne ne sait-on plus à quoi ils sont le plus enchaînés, à 9/11 ou à l’Irak. Qu’importe, au reste. Le fait de leur enchaînement est l’essentiel, — le reste… L’époque est bien “maistrienne”. Ces “scélérats” sont emportés comme autant de fétus de paille par la fatalité de la catastrophe. Leurs agitations ressemblent bien à ce que décrivait Maistre, et ce qu’on retrouve chez Talleyrand qui semblait partager la même conception de l’Histoire, — qui écrivait, à propos des architectes de la Révolution:

«Inconnus jusqu’au jour où ils paraissent sur la scène, ils rentrent dans l’obscurité dès que leur rôle est fini.

»J’avoue que c’est sans aucune peine que je verrai se perdre les détails de cette grande calamité; ils n’ont aucune importance historique. Quelles leçons les hommes auraient-ils à tirer d’actes sans plan, sans but, produits spontanément par des passions effrénées?»

Vous l’avez remarqué, la célébration de 9/11 fut bien médiocre cette année. Elle s’est perdue dans les chicaneries sur l’organisation des cérémonies convenues. La chose s’est fondue dans l’univers qu’elle a contribuée à créer… Quelles leçons pourrions-nous en tirer vraiment?

Le détail n’importe plus. Il nous reste à observer le grand flux de l’Histoire qui emporte les “scélérats”, et à tenter de distinguer où il nous conduit.