9/11 et la “crise sublime”

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9/11 et la “crise sublime”

11 septembre 2010 — Le 7 septembre 2010, le site ThinkProgress.org, site progressiste, publiait sa synthèse quotidienne sur un événement en cours de réalisation, que le site désignait comme : «Desecrating 9/11» – si l’on veut, “la désacralisation de 9/11”, avec la notion d’“en train de se faire”. Cette “désacralisation” était portée au débit de “droite radicale” (“radical right”), avec ses diverses attaques et initiatives antimusulmanes, radicales et polémiques…

«This Saturday, Americans across the country will mark the anniversary of the Sept. 11, 2001 terrorist attacks. While many view this as a time for Americans to unite in remembrance of the lives lost that day, some virulently anti-Islamic groups are using the anniversary as an opportunity to launch divisive attacks against Muslim Americans and the Islamic faith…»

Le commentaire est exemplaire, le dossier est bien connu, les attendus et les faits abondent. Tous ces détails et toutes ces appréciations n’ont guère d’importance en eux-mêmes, à l’image de cet étrange pasteur Jones, surgi de rien, qui devait brûler des Corans et qui, à l’avant-dernier moment, a reculé sous l’amicale et massive pression de diverses autorités (dont l’actrice Angelina Jolie, et, également, le président BHO, dans cet ordre d'importance), affolées par le bruit fait par cette étrange initiative si parfaitement relayée par leur propre système de communication et son goût du sensationnel ; qui, au presque-dernier moment, grommelle qu’il réserve encore sa réponse, qu’il pourrait plutôt se rendre aujourd’hui à New York pour obtenir de l’imam Feisal Abdul Rauf qu’il déplace sa mosquée loin de Ground Zero, accompagné par un imam plus compréhensif, Muhammad Musri, de l’Islamic Society of Central Florida… «Confusion in the US» titre justement The Independent ce 11 septembre 2010, pendant que le pauvre BHO fait un discours calme et dérisoire, du type “On se calme”, pendant qu’il y a un mort et des blessés en Afghanistan au cours de manifestations contre l’énigmatique et insignifiant pasteur Jones, surgi de nulle part et qui engrange une excellente pub pour sa paroisse et ses troupes de fidèles croyants (autour d’une cinquantaine, dit-on).

On peut trouver également une description de cette situation générale des USA à la veille de la commémoration “sacrée” dans l’article de Politico.com que nous signalions le 10 septembre 2010, dans Ouverture libre. On peut trouver dans le Washington Times du 9 septembre 2010 un éditorial accusant la gauche de “désacraliser” 9/11 “en brûlant le drapeau plutôt que le Coran”… Tout le monde est donc servi et mécontent, et le désordre règne sur “the Land of the Free”.

Il nous importe ici de poursuivre et de développer la première analyse que nous donnions le 31 août 2010, à propos d’un “changement de point de vue”. Plus que jamais, ce changement s’articule autour de cet axe symbolique central, et artificiellement symobolique, qu’est 9/11.

Le point essentiel auquel nous voulons nous attacher est le constat que ce que ThinkProgress.org nomme la “désacralisation” de 9/11 est, en réalité, la rupture de l’unité des USA autour du symbole, actant par ce fait que le symbole n’est (n’était) pas devenu un mythe structurant, – pour ne rien dire d’un “mythe fondateur”. La commémoration de 9/11 avait une réalité commémorative qui entendait aller au-delà du symbolique, en s’appuyant sur le symbolique et en le manipulant à mesure ; les événements eux-mêmes étaient souvent arrangés selon le scénario ; en général, chaque anniversaire de 9/11 était agrémenté d’un rappel rassembleur autour de la narrative de la terreur, voire d’une bonne petite alerte activée pour l’occasion par un pouvoir toujours vigilant, al Qaïda ayant comme on sait l’habileté bien connu de concevoir qu’une nouvelle attaque, pour un nouveau 9/11, serait un coup parfait. Qui songe à cela cette année, où l’on se déchire à cause du Coran du pasteur Jones et à cause de la mosquée à Ground Zero ? Où l’on se déchire, aux USA, en réalité, à cause de la bonne vieille comptabilité électorale (élections de novembre prochain) qui, sans doute, installera définitivement BHO en position de président complètement impuissant et totalement prisonnier, comme désespérément assiégé par le désordre de la Grande République ?

Au contraire, la désacralisation de 9/11 indique implicitement la fausseté, la vacuité du symbole tel qu’il avait été conçu, – symbole de rassemblement et d’unité, autour de l’artefact de communication de la Guerre contre la Terreur (GWOT, ou Great War On the Terror). Mais cette “désacralisation” lui fait gagner en vérité : si 9/11 devient le symbole de la division de l’Amérique, donc du désordre américaniste, il devient soudain d’une grande force parce qu’il exprime une vérité. Ce qui semble être les regrets de ThinkProgress.org d’une telle évolution relève d’un sentimentalisme bien propre à la tendance que représente ce site (progressiste dans les normes de l’establishment, sans aucun doute, même s’il s’agit bien sûr de l’establishment démocrate), – donc, une adhésion tout aussi complète que la droite dite radicale, malgré le maquillage très chic du progressisme bien tempéré comme celui du radicalisme arguant de la pureté, aux aspects fondamentaux du système.

On remarquera qu’il n’est pas question dans tout cela de la question du “complot” (9/11, coup monté, – les théories LIHOP et INSIDE JOB selon la classification présentée par Daniele Ganser). Cette question divise l’Amérique dans la mesure où il y a régulièrement, dans les sondages, au moins un bon gros tiers des Américains qui estiment que 9/11 est le résultat d’une machination du gouvernement, d’une façon ou d’une autre. Mais cette division-là n’a jamais atteint le rang de la polémique déstructurante parce qu’un “complot” éventuel n’a aucune substance fondamentale en lui-même, qui permettrait d’en attendre l’essence d’un événement avec le potentiel de déstructurer le système. (Encore une fois, le Watergate nous montre cela : la division des Américains avant le dénouement, entre pro- et anti-Nixon, avait disparu comme par enchantement une fois que le coupable-bouc émissaire eût mis les pouces et eût démissionné. Tout le monde s’est retrouvé uni autour de la vertu reconstitué du système, – puisqu’on avait châtié le coupable, – et le coupable, lui, oublié désormais comme on referme une vilaine blessure ou comme se dissipe une odeur douteuse.)

Au contraire, dès lors que 9/11 devient le symbole de la division des USA, il acquiert une puissante substance nourrissant une essence déstructurante parce qu’il sert enfin à quelque chose en exprimant une vérité, parce qu’il peut trouver sa place dans une architecture de déstructuration du système. Il devient alors un vrai symbole. (Que cette division s’exprime par des nullités avides de publicité intégriste du calibre du pasteur Jones n’importe pas car il ne nous importe nullement de faire ici le compte et le jugement qualitatif des “gentils” et des “méchants” ; seul importe le fait de la division, pour acter que le système est confronté au terrible défi de la déstructuration de l’artefact non-historique qu’est l’Amérique.) Cela est attristant pour les partisans d’une vérité terrestre considérée comme un des beaux-arts de la justice nécessaire mais si l’on avait fait la lumière sur 9/11 et envoyé un Rumsfeld ou un Cheney dans un Guantanamo de luxe, tout serait pour le mieux dans l’unité reconstituée de l’Amérique, autour du système… Le système en serait-il meilleur pour autant ? Nous pensons qu’en fait de “meilleur”, il serait en meilleure position pour frapper encore plus fort.

L’interprétation de cette transmutation de 9/11 par la désacralisation doit être que 9/11, jusqu’alors facteur d’ordre (l’ordre déstructurant du système) et épine dorsale de la narrative de la Guerre contre la Terreur, de la mobilisation des USA contre la barbarie du terrorisme, etc., toutes ces sornettes qui parvinrent effectivement à terroriser les esprits à l’aune du conformisme du système, – que 9/11 est entré dans l’ère du désordre. Il devient un élément du désordre américaniste, puisqu’il en devient un symbole. Il expose une vérité.

On observera que cette approche est complémentaire, en plus précis puisque liée à des événements également précis (la mosquée, les sornettes antimusulmanes du pasteur Jones), de celle que nous proposions dans le texte déjà cité (le 31 août 2010). Cette fois-ci, nous proposons l’idée complémentaire que 9/11, en s’extrayant de sa gangue symbolique complètement faussaire de rassembleur régulier de l’Amérique, pour protéger l’Amérique refermée sur elle-même, devient effectivement un 9/11 symbole de désordre et fait effectivement entrer l’Amérique et son propre désordre dans le désordre du monde, – dont l’Amérique elle-même est la génitrice, comme nul ne l’ignore, et dont elle a toujours tenté de se défausser en une impeccable démonstration de cette irresponsabilité qui est le caractère fondamental de la modernité et de la raison humaine emprisonnée dans son pacte faustien avec un système né du déchaînement de la matière.

9/11 comme accélérateur du désordre mondial

Nous nous trouvons donc devant ce symbole voulu comme ordonnateur d’une époque nouvelle strictement contrôlée par le système, soudain figurant la vérité de cette époque qui échappe à tout contrôle du système. Le symbole de la narrative mise en place le 11 septembre 2001 devient le symbole de la vérité d’une situation qui dénonce l’aspect substantiellement faussaire de cette narrative. C’est à ce point que nous confirmons l’hypothèse que nous avions développée le 31 août 2010.

«…C’est de cette façon que l’introduction sur 9/11 du point de vue purement américaniste nous conduit à la description de la situation présente, beaucoup plus large, perçue désormais, dans la très courte perspective des 2-3 dernières années (depuis fin 2006), comme une période nouvelle. Et 9/11, à la fois détonateur et symbole de la crise, dépasse désormais largement le cadre des USA seuls, du système de l’américanisme réduit aux USA, pour embrasser une période accélératrice de l’effondrement du système de “la matière déchaînée” qui régit, contrôle et “structure” notre civilisation.»

Le symbole 9/11 dont la commémoration constituait une tentative régulière de regroupement du système autour de sa narrative, valant essentiellement pour la dimension psychologique strictement lié aux USA du système de l’américanisme, devient un symbole de la crise générale de ce système compris comme représentatif de notre civilisation aux abois, par conséquent s’échappant aux seules bornes des USA. (Lorsque vous regardez, un peu sarcastiques, le désordre américaniste de ce 9/11 de 2010, vous regardez en fait notre désordre à tous, celui de notre système général qui nous concerne de la même façon, – à cet égard, «Nous sommes tous Américains», comme disait l'autre, l'immortelle nullité.)

Le symbole 9/11 est entré dans le monde, pour figurer, à partir du bouillonnement furieux du “centre” américaniste, le désordre du monde plongé dans sa crise ultime. Ainsi pouvons-nous apprécier combien cette “crise ultime” devient effectivement une “crise sublime”, parce que parfaitement représentative de la tromperie fondamentale que représentent ce système général et la civilisation qui s’est totalement soumise à lui. Désormais, 9/11, le symbole jusqu’alors faussaire, nous concerne autant que les habitants autour de Ground Zero et devient un véritable symbole de cette “crise sublime” qui nous concerne tous. La chose a gagné une certaine noblesse et une réelle utilité en figurant désormais, dans une évolution objective échappant à toute manipulation, comme la dénonciation involontaire mais puissante des forces du système déstructurant qui sont aujourd’hui confrontées à la “crise sublime” qu’elles ont déclenchée dans cette dimension, également d’une façon involontaire qui ferait parfois penser à la préméditation inconsciente qu’implique l’intuition qui dépasse et subjugue les calculs d’une raison faussaire.

La sublimité se trouve dans ce que, à partir d’un événement faussaire, générateur d’une narrative absolument trompeuse, on ait retrouvé la chemin de la vérité de la crise ultime. Cette victoire de la vérité justifie amplement que l’on parle de sublimité et que l’on fasse de la crise ultime une “crise sublime”. La crise peut effectivement gagner ce nouveau qualificatif s’il s’avère que son principal symbole devient celui qui, involontairement mais d’autant plus puissamment, désigne à nos psychologies épuisées la vérité du monde, là où le système a conduit en vérité ce monde.

La sublimité se trouve dans ce que, à partir de ce symbole complètement transformé du faussaire en illustration de la vérité, on peut effectivement prendre la mesure de la radicalité ultime de la crise, et concevoir évidemment que sa résolution ne peut venir que de l’anéantissement, sous une forme ou l’autre, de ce système de la matière déchaînée. Ces paroles ne signifient nullement une prophétie d’apocalypse ou quoi que ce soit qui s’y rapproche, du moins selon l’imagerie magique que nous nous sommes faite de ce qu’est l’apocalypse, – dito, pour notre temps, l’effondrement du système, – parce que, effectivement, nous ignorons la forme que peut prendre l’apocalypse du système, d’ailleurs d’ores et déjà en pleine manufacture.

La complexité extraordinaire de la situation du monde, par contraste avec la simplicité évidente de son orientation faussaire dans l’état actuel du système auquel ce monde s’est soumis, nous fait comprendre que les événements à venir sont totalement imprévisibles et peuvent prendre par conséquent des formes absolument hors de notre imagination si féconde et si fleurie à cet égard. Notre conviction, qui ne prétend à rien d’autre qu’être une conviction, est d’ailleurs, comme nous ne cessons de le répéter, que cet effondrement, cette “apocalypse” sont en cours sous nos yeux. La désacralisation de 9/11 et son passage involontaire à l’ennemi en devenant le symbole du désordre du monde et donc de l’imposture du système, en sont également, évidemment, des signes puissants sinon des événements effectifs.