9/11, le Coran du pasteur Jones et l’Afghanistan du général Petraeus

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L’aventure du pasteur Jones et de son opération d’autodafé du Coran se poursuit avec l’extension à une dimension de sécurité nationale, et l’intervention du général Petraeus. Nous avons parlé, le 31 août 2010, de ce piètre développement du système de communication d’un pasteur inconnu gagnant soudain la célébrité express et nationale avec son appel à l’autodafé du Coran. Jones a modifié ses intentions concernant le lieu de l’affaire, préférant le lieu saint de Floride où il officie à un Ground Zero où il rencontrerait bien des difficultés.

Petraeus, le chef des phalanges américanistes en Afghanistan, est entré dans l’arène avec une interview au Wall Street Journal, présenté par Huffington.News le 6 septembre 2010, où il avertit des dangers considérables de cette affaire… (L’avertissement de Petraeus suit une manifestation de plusieurs centaine d’Afghans à Kaboul, fanions verts couverts d’inscriptions du Coran à la main.)

«General David Petraeus has condemned a Florida church's plans to burn Qurans this week, warning that the scene “could endanger troops” in Afghanistan.

»Petraeus told The Wall Street Journal Monday that Pastor Terry Jones' September 11 stunt could ignite violence from Taliban forces already versed in harnessing American headlines as propaganda: “It could endanger troops and it could endanger the overall effort,” Gen. Petraeus said in an interview with The Wall Street Journal. “It is precisely the kind of action the Taliban uses and could cause significant problems. Not just here, but everywhere in the world we are engaged with the Islamic community.”»

Notre commentaire

@PAYANT L’intervention de Petraeus signifie que cet événement extraordinairement dérisoire lancé par un parfait inconnu jusqu’alors cantonné à ses seules lubies obsessionnelles sans aucun espoir d’en voir la publicité (une présence à Ground Zero, en solitaire, avec une pancarte, pour l’anniversaire de 9/11 en 2009), prend d’une façon éclatante (une interview au Wall Street Journal, cela a son poids à Washington) les dimensions d’un événement stratégique. Mais l’on sait que Petraeus, qui n’a rien d’un George Patton, est passé maître dans l’art de transformer la guerre presqu’exclusivement en un affrontement de relations publiques, notamment en faisant de la stratégie un substitut du babillage publicitaire qui constitue lui-même le gros de son activité militaire. Certes, rien d’un George Patton, et bonne mesure de la décadence des choses (d’autant, appendice notable tout de même, que cela n’en diminue pas pour autant victimes et destructions de la guerre, – mais, aujourd’hui, par inadvertance, collatéralement certes…). Dans ce cadre, l'importance accordée au pasteur Jones apparaît moins étonnante.

Quoi qu’il en soit, cette intervention de Petraeus, d’ailleurs rendue pressante selon les services de “guerre psychologique” du Pentagone par la manifestation de quelques centaines d’Afghans à Kaboul contre le projet du pasteur Jones, achève effectivement de donner au même pasteur Jones une dimension non pas nationale mais internationale. Nous sommes à l’époque du “va jouer avec cette poussière” (selon Montherlant), – et on y va, d’un pas martial. Il faut par conséquent savoir également qu’il y a eu une intervention pressante de Karzaï auprès de Petraeus pour lui demander de tenter de bloquer cette initiative du pasteur Jones, parce que Karzaï a assez de travail sur les bras à maintenir un ordre approximatif dans son pays ainsi que le bon fonctionnement de ses nombreuses filières de corruption de sa très nombreuse famille. Karzaï se convainc de plus en plus qu’il peut dire et exiger n’importe quoi des Américains empêtrés dans un conflit auquel ils ne comprennent rien et de plus en plus accrochés au même Karzaï, – qu’ils haïssent par ailleurs et menacent régulièrement, – comme à une planche flottante pour ne pas se noyer, – et, dans ce cas, qu’importe si la planche est pourrie. Karzaï en profite d’une façon de plus en plus voyante, et il a fortement monté en épingle cette affaire du pasteur Jones, bien au-delà de tout ce qu’elle peut signifier, terrorisant ainsi l’état-major de Central Command et les services du générale Petraeus à l’idée du tapage médiatique qui pourrait accompagner l’action du pasteur. L’affaire Jones est devenue, au moins pour quelques jours, ce qui est déjà considérable, un test de la compréhension “à l’américaine” de ces cultures étranges, du monde extérieur, qu’ils doivent séduire en même temps qu’ils lancent leurs bombes pour tenter de mener à bonne fin la conquête du pays.

Petraeus a sorti l’argument ultime que cette initiative du pasteur Jones mettrait en danger les vies des courageux boys qui font un travail magnifique en Afghanistan. Comme s’il y avait besoin du pasteur Jones pour se faire détester en Afghanistan, et que la simple présence des boys, leur comportement inepte, leur incompréhension pathologique du milieu où ils évoluent, ne suffisaient pour faire l’affaire. Ces réactions disproportionnées, grossières et grotesques à la fois, constituent la meilleure indication de la situation désespérée des forces américanistes et occidentalistes en Afghanistan, c’est-à-dire psychologiquement et culturellement désespérées, donc incapables de prendre la mesure d’une guerre qui se joue effectivement dans ces domaines. En désespoir de cause, on se replie sur les monstruosités psychologiques et culturelles US, comme celle du pasteur Jones, pour faire savoir aux Afghans qu’à défaut de les comprendre, on peut dans tous les cas faire semblant.

Le suspense est donc à son comble pour savoir si le pasteur Jones et ses ouailles brûleront leurs Corans comme promis, et, dans ce cas, pour observer le déchaînement qui devrait suivre en Afghanistan. Cela aussi, dans le fait d’une guerre à l’importance si affirmée qui se réduit dans ses activités à des affaires aussi pathétiquement insignifiantes, cela aussi nous donne une bonne mesure de l’état des lieux de notre “contre-civilisation”. Quoiqu’il fasse le 11 septembre 2001, et même s’il ne fait rien et qu’on l’oublie aussi vite qu’on l’a découvert, le pasteur Jones a bien mérité de son ministère au service de Dieu pour nous faire mesurer une fois de plus le désordre complet de la situation terrestre.


Mis en ligne le 7 septembre 2010 à 12H13