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2110« ... [T]ant l’histoire européenne des trente dernières années avait été marquée par l’effondrement massif, d’une rapidité stupéfiante, des croyances religieuses traditionnelles. Dans des pays comme l’Espagne, la Pologne, l’Irlande, une foi catholique profonde, unanime, massive structurait la vie sociale et l’ensemble des comportements depuis des siècles, elle déterminait la morale comme les relations familiales, conditionnait l’ensemble des productions culturelles et artistiques, des hiérarchies sociales, des conventions, des règles de vie. En l’espace de quelques années, en moins d’une génération, en un temps incroyablement bref, tout cela avait disparu, s’était évaporé dans le néant. Dans ces pays aujourd’hui personne ne croyait plus en Dieu, n’en tenait le moindre compte, ne se souvenait même pas d’avoir cru … Et cela fait sans difficulté, sans conflit, sans violence ni protestation d’aucune sorte, sans même une discussion véritable, aussi aisément qu’un objet lourd un temps maintenu par une entrave extérieure, revient dès qu’on le lâche à sa position d’équilibre. Les croyances spirituelles étaient peut-être loin d’être ce bloc massif, solide, irréfutable qu’on se représente habituellement ; elles étaient peut-être au contraire ce qu’il y avait en l’homme de plus fugace, de plus fragile, de plus prompt à naître et à mourir. »
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, 2005 (éditions Livre de Poche, 2010, P.326-327)
« Le 6 janvier 2015, Houellebecq, sur la chaîne France 2, présentant son livre ‘Soumissions’ à la veille des événements qu’on sait [attentat contre Charlie-Hebdo] et ainsi se trouvant impliqué dans une polémique globalisée, constatait, mi-figue mi-raisin, songeur et se plaçant absolument hors de tout ce contexte religieux qui ne fait qu’alimenter notre désordre de basse-cour : “De plus en plus de gens ne supportent plus de vivre sans Dieu”. »
dedefensa.org, le 11 janvier 2015
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12 septembre 2016 – On sait l’estime où je tiens Houellebecq, « comme formidable et extrêmement talentueux témoin objectif, quasiment clinique, de ce temps catastrophique » ; ainsi puis-je m’appuyer avec confiance sur ces deux jugements qui, par simple montage chronologique, nous situent en 2003-2004 et en 2015 par rapport à l’enterrement officiel par la postmodernité du sacré originel et des croyances qui allaient avec, récupérées au profit des grands-prêtres de cette période poussée à une maturation extrême d’elle-même depuis 9/11. (Les “grand’prêtres” étant par exemple les patrons & les capitalistes ultra-riches et “mécènes” astucieux, ou mafieux postmodernistes, les “artistes” subventionnés de l’AC [Art Contemporain] devenu la machinerie officielle esthétisante-moralisante sanctifiée par l’Argent, l’État et l’Église et présentée comme faisant office de sacré, le monde du show-biz dans sa plus large extension comme grand’prêtres de la communication du sacré par entertainment, entre autres arrangements du même genre dans d’autres domaines.) En 2003-2004, cet enterrement du sacré originel est vécu avec une facilité qui déconcerte l’écrivain, presque avec joie et soulagement ; en 2015, le constat, par le même écrivain, est absolument inversé : « De plus en plus de gens ne supportent plus de vivre sans Dieu. »
Bien entendu, je ne vais pas parler ni de Dieu, ni de la religion ; ou bien, il doit s’entendre que si j’en parlais, ce serait exactement comme le fait Houellebecq, comme les facteurs d’une structure sociale puissante qui régit les mœurs en général et dans le sens le plus large possible. Ainsi ferais-je, moi, l’hypothèse, que, dans la période des quinze années depuis 9/11 qui est finalement le sujet de ce second article, il serait mieux approprié de dire, pour aller plus nettement à notre propos, que ce sont la déstructuration totale de l’architecture sociale et la destruction de la régulation des mœurs que « l’effondrement massif, d’une rapidité stupéfiante, des croyances religieuses traditionnelles » a accompagnées qui sont en cause, et qui sont notre sujet de réflexion. Nous savons donc exactement, selon les deux remarques de Houellebecq à 10-15 ans de distance dans le cycle post-9/11, ce qui était accepté avec joie et entrain au début du siècle et qui est devenu une extraordinaire source d’angoisse quinze ans plus tard... Ainsi est-il mieux précisé encore qu’il n’est question ici ni de Dieu, ni de la religion mais du rôle que l’un et l’autre jouèrent et qu’ils ne jouent plus, et que cela fut très bien accepté dans une période qui va jusqu’au début du post-9/11, et qu’ensuite cela s’invertit complètement et que c’est le contraire qui se produit, également à une vitesse accélérée.
Il y a là un phénomène d’une puissance considérable méritant une grande attention, et phénomène si considérable qu’il devient pour moi le deuxième grand événement, la deuxième grande tendance issue de 9/11 ; car il est effectivement envisagé, dans l’analyse que j’en fais, comme directement lié à 9/11 alors que l’apparence aurait pu laisser penser, non pas nécessairement le contraire, mais dans tous les cas l’absence de rapports. La première des deux tendances issues de 9/11 que j’ai proposée hier n’est pas tant la folie des guerres au Moyen-Orient que la “destruction de la réalité”. (« La première de ces tendances est la destruction de la réalité, la seconde est la destruction de l’organisation sociale et sociétale de la civilisation. ») Or, cette “destruction de la réalité”, si elle est déclenchée par la nécessité de dissimuler “les guerres” et autres politiques stupides et catastrophiques, a très rapidement et nécessairement envahi tous les composants d’elle-même, de la réalité, de tout ce qui fait notre réel, – y compris le social, le sociétal, y compris surtout et par-dessus tout la psychologie. La destruction de la réalité sont je parle n’est pas une démarche sélective ni une démarche relative, ni d’ailleurs une démarche consciente, mais une démarche d’une surpuissance considérable puisqu’inspirée par le Système qui ne peut affecter que la réalité elle-même, dans son entièreté, dans toutes ses manifestations, dans toutes ses capacités.
C’est dans ce cadre, et à mon avis et très précisément, et très exactement à cause de cette destruction de la réalité machinée par 9/11, qu’est arrivé à maturité, c’est-à-dire dans sa pleine éclosion, le mouvement bien connu dit de “libération des mœurs” issu des années 1960 (de Mai-68 pour les Français, mais avec bien d’autres mouvements parallèles et similaires dans d’autres pays, dont la puissante vague aux USA dès le début des années 1960). La “libération des mœurs” a simplement abouti, non pas à leur libération effective mais à la destruction des mœurs.
Le mouvement a été accompli avec l’accompagnement d’une “police de la libération des mœurs” comme il sied bien sûr à tout mouvement de libération selon nos conceptions modernistes ; et d’ailleurs, police quasiment officielle et instituée, signalant que cette subversion absolue (absolue puisque totalitaire et policière, et aboutissant à l’inversion de ce qu’elle prétend chercher) était de plus en plus ouvertement l’œuvre du pouvoir lui-même, c’est-à-dire la matrice souveraine et la puissance publique à la fois, elles-mêmes accomplissant leur complète subversion dans l’inversion. Il y a eu donc une interdiction et un total emprisonnement de la moindre réaction, les seules contraintes étant imposées par ce qu’on nomme le politiquement correct qui réduit la pensée permises à quelques stéréotypes terroristes allant de l’antiracisme et du démocratisme-absolue à l’interdiction totale de mettre en cause toutes les productions de la “libération des mœurs” engendrant féminisme, multiculturalisme, “minoritarisme”, sexualismes de tous ordres jusqu’à la pornographie devenue vertueuse et pratique courante, etc.
A ce point, je pense que nous gagnons beaucoup à être précis et à écarter les termes et expressions teintés d’idéologie. En fait de “libération des mœurs”, l’on devrait plutôt dire “dérégulation totale des mœurs”, ce qui correspond parfaitement au mouvement général de cette époque de la postmodernité dont on peut considérer qu’elle s’établit complètement en elle-même entre 1989 et 2001 ; mouvement général, la dérégulation, qui se retrouve en économie, en politique, en morale, voire en stratégie, voire dans les arts, voire dans la pensée elle-même : la dérégulation est un phénomène absolu de notre temps, qui trouve parfaitement sa correspondance dans la “destruction de la réalité” post-9/11.
Sur ce dernier point, on peut ainsi avancer que la “destruction de la réalité” peut se décrire également comme une dérégulation totale de la perception : la dérégulation touche donc également l’outil essentiel de la perception, qui est la psychologie... Toute activité humaine s’effectue donc désormais dans une complète absence de règles, de références, elle évolue dans un univers mou et flou, sans aucune fixité, sans aucune structure. (Les contraintes de la “police de la libération des mœurs ne peuvent prétendre être ni des références, ni des règles, ni producteur d’aucune fixité puisqu’elles régissent effectivement le mouvement subversif de la destruction des mœurs et que cette destruction se fonde nécessairement sur cette absence de fixité.)
La libération des mœurs bien comprise comme dérégulation des mœurs signifie nécessairement une destruction des mœurs, comme il y a destruction de la réalité. Il n’y a plus de “mœurs dissolus”, il n’y a plus “dissolution des mœurs” comme l’on disait des société pseudo-décadentes, il y a disparition des mœurs comme vecteurs de comportements selon des normes de civilisation. Mais comme la vie sociale et sociétale prétend continuer dans l’euphorie de la pseudo-libération et que plus aucun mœurs ne lui est imposé, des mœurs nouvelles se créent d’elles-mêmes, par la simple mécanique du fonctionnement puisque le fonctionnement lui-même est source de mœurs. N’étant justifiés à leurs yeux que par eux-mêmes et nullement par le comportement des êtres dont ils seraient le produit et par la civilisation à laquelle ces êtres appartiennent, – là aussi, l’inversion est totale, – elles s’imposent nécessairement à ces êtres, bien entendu en les dissolvants puisqu’elles dissolvent leur substance civilisationnelle. Elles sont comme un parasite qui s'inscruste dans leurs chairs et suce la substance des êtres.
Les mœurs ne sont plus dissolues, elles sont dissolvantes ; elles dissolvent l’être auquel elles s’attachent. La production automatique de l’activité humaine déterminée par le Système est devenue l’humanité elle-même et les êtres sont prisonniers de ce qu’ils n’ont pas produit à partir de leur culture, de leur mémoire et de leur apprentissage ; les êtres sont prisonniers d’une monstruosité créée à l’extérieur d’eux-mêmes et ils subissent le sort inévitable de la dissolution. Ainsi, derrière nos balbutiements sur les droits de l’homme et la démocratie, l’effet n’est évidemment pas la production d’un individu plus “progressiste”, plus “tolérant”, repoussant le “fascisme” et la “xénophobie”, jetant l’anathème sur les “réacs’” et sur la tradition ; l’effet est la production d’un non-être, de ce que nous désignons en général comme les zombies-Système, et qui sont d’ailleurs fort égalitairement répandues, les élites-Système n’étant pas épargnées par cette infection, et même bien au contraire.
Nous en sommes à ce stade. Le constat fait par Houellebecq en 2003-2004 marquait encore le temps de la “libération des mœurs” (ce que la stupide bienpensance d’antan nommaient “mœurs dissolues”, croyant qu’ils resteraient catégorie à part) ; celui qu’il fait en 2015 marque le temps où le faux-nez des “mœurs dissolues” a été remplacé par la vérité-de-situation du phénomène, c’est-à-dire des mœurs dissolvantes. (C’est ce que la bienpensance invertie d’aujourd’hui, encore plus stupide que celle d’antan, nomme “postmodernité”, croyant ainsi maîtriser une révolution de la psychologie alors qu’elle se trouve devant la crise absolue de la psychologie humaine, d’ailleurs fomentée par ses propres soins, à elle la bienpensance postmoderniste.)
Je croirais aisément que le plus dur est fait. Nous sommes arrivés au moment où le Monstre (je le nomme Système, mais use parfois d’autres mots, – Matière, Diable, Mal, etc.) se montre pour ce qu’il est, à visage découvert, sans plus de maquillage ni de camouflage. Les pouvoirs suprêmes, régaliens, etc., sont si complètement subvertis qu’ils sont nécessairement invertis. Hollande est un très bon exemple, son insignifiance expliquant d’autant mieux l’aisance de la transmutation ; Clinton est aussi un bon exemple puisque celui de l’autre entrée favorite de la subversion à côté de l’insignifiance, c’est-à-dire l’hystérie sinon la pathologie pure et simple (on l’a vu hier) permettant et facilitant la transmutation. C’est toujours une très bonne chose lorsque la subversion cachée, et d’autant plus forte qu’elle est cachée, se montre à visage découvert, comme c’est le cas aujourd’hui, et il m’apparaît certain que 9/11 avec sa destruction de la réalité absolument foudroyante, et exceptionnellement foudroyante depuis début 2014 où la destruction de la réalité a pu être constatée sinon mesurée quotidiennement (crise ukrainienne), a permis cette accélération également foudroyante de la mise à nu de la subversion conduisant à l’inversion, et pour notre sujet, la destruction par dissolution des sociétés de notre civilisation. Ainsi peut-on se battre d’une façon ouverte, contre quelque chose de parfaitement identifiée.
D’autre part, cette destruction des mœurs conduisant à l’autoproduction de mœurs dissolvantes imposées aux êtres a conduit, tout aussi rapidement, à un phénomène de dissolution accélérée des sociétés de la civilisation, avec la néantisation sociale et l’anarchie sociétale qui en découle. Contrairement à ce que croit stupidement les partisans du chaos (pseudo-créateur), ce sont les conditions idéales pour rendre extrêmement vulnérables toute l’œuvre de dissolution et de néantisation accompli ces dernières années par le Système en général. L’aggravation accéléré de l’état psychologique des êtres (« De plus en plus de gens ne supportent plus de vivre sans Dieu ») est une de ces vulnérabilités les plus extrêmes : l’apparition du Monstre à visage découvert conduit toutes ces psychologies exacerbées à la contestation, sinon à la révolte contre Lui. Aucun autre facteur, y compris la mobilisation, l’appel à la sauvegarde de la civilisation, l’appel à la Tradition, etc., n’aurait pu y réussir de cette façon aussi décisive. Une note de foi dans cette situation est dans ce ceci que ce qui vient d’être décrit, y compris cette néantisation de l’être par les mœurs dissolvantes qui sont finalement rien de moins que des productions du Système, n’est en rien définitive dans le cadre général où nous évoluons et qu’à tout instant une réaction est possible. Je dirais bien volontiers que c’est à peu près tout ce qu’il nous reste des débris du libre-arbitre...
(A ce point de conclusion, je dois rappeler ce qui est pour moi l’évidence : ce tableau des effets de la deuxième tendance post-9/11, comme d’ailleurs ceux de la première tendance [« La première de ces tendances est la destruction de la réalité, la seconde est la destruction de l’organisation sociale et sociétale de la civilisation. »], concerne essentiellement et complètement les pays de la zone occidentale, celle qu’on désigne “bloc-BAO” sur ce site [US & Europe] et qui ne cesse de ce proclamer créatrice et centre de la civilisation mondiale et globalisée. Hors du bloc-BAO, sur les marges et dans les territoires incertains se trouvent nombre de regroupements et d’implantations de tendances diverses. On sait tout de même, bien entendu, que le pôle central qui porte en lui une part non négligeable de la créativité de la contestation de cette situation, aussi bien au niveau des mœurs, de la société de civilisation et de tout ce qui s’y rattache, se trouve en Russie. Il s’agit sans aucun doute d’une référence, mais elle est située hors de notre cadre civilisationnel et pour cela difficilement utilisable directement d’une façon opérationnelle ; elle est essentiellement pour nous comme un signe du destin. D’autre part, ce simple constat suffit à expliquer, bien plus que mille discours sur l’antique tendance à la russophobie de l’une ou l’autre nation occidentale, la haine absolument furieuse et sans retour que le Système voue à la Russie, haine qui implique que rien ne pourra jamais se régler entre elle [la Russie] et lui [le Système] ; rien ne sera jamais réglé à l’amiable et l’un des deux devra, à un moment ou l’autre, disparaître.)
Voici donc définie la deuxième grande tendance enfantée par 9/11, et l’on voit combien elle est dépendante de la première. Cet événement est un immense bouleversement de l’histoire du monde et de notre métahistoire. Il est justifié, à mon sens, qu’on envisage à sa lumière les hypothèses les plus audacieuses et les plus extrêmes pour la suite des aventures terrestres du sapiens.
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