A Berkeley, utilité et force symbolique de la non-violence légitimée

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Un incident qu’on jugerait justement assez bénin, vendredi à l’université de Berkeley, avec le mouvement Occupy Berkeley, a provoqué de nombreuses réactions et un nombre considérable de commentaires. (Le 21 novembre 2011 au matin, Google référençait 1.698 articles sur ce sujet.)

L’incident, tel qu’il est rapporté, est accompagné d’une vidéo largement diffusée, montrant un groupe de 20 à 30 policiers “affrontant” un groupe d’une soixantaine d’étudiants protestataires, dont une vingtaine s’était assis au travers d’une des routes du campus. Les policiers ont voulu dégager cette route. Un officier de police s’est approché des protestataires, assis, les bras au-dessus de leurs têtes pour se protéger, et les a aspergé méthodiquement et presque scrupuleusement avec un diffuseur de la fameuse substance au poivre rouge dont l’emploi par les forces de l’ordre fait l’objet de nombreux commentaires aux USA. L’incident est décrit par divers récit, dont celui du San Francisco Chronicle le 19 novembre 2011, celui de Salon.com le 19 novembre 2011, celui de DavisEntreprise.com du 19 novembre 2011, qui donne de nombreux détails.

Nous citons des extraits du texte de Salon.com, qui se veut militant et engagé, en faveur des étudiants d’Occupy Berkeley. C’est en effet le résultat final de cet incident qui nous intéresse, couplé à son écho, sa diffusion, etc.

«I’ve seen so many shocking photos and videos of police brutality against Occupy Wall Street protesters and their far-flung supporters around the country. But there’s something about this now-viral video, of a UC Davis police officer casually and cruelly pepper-spraying a line of non-violent protesters, and the way the students responded, that symbolizes both what the movement is up against – and how it ultimately wins. It’s below. Be sure to watch the whole thing, because as sickening as it is to see the red pepper-spray hit students directly in their faces, it’s as inspiring to see how they react, and how it ends – at least for now. The Davis Enterprise identifies the officer as Lt. John Pike. […]

»What the UC Davis protesters did Friday was non-violent. What the cops did in response was brutality. The video is very hard to watch. But if you watch the whole thing, you’ll see the remaining students begin to chant “Shame on you!” and slowly move toward the police. And you’ll see the cops begin to retreat, maybe because their work is done, but maybe because they’re feeling the moral and political power of that non-violent crowd. Some of the cops really do look ashamed, including Pike himself (in my opinion; you might see it differently.) This is how we win. Imagine how different it would look if some self-appointed “revolutionary” decided it was time for a “diversity of tactics” that included violence in Davis on Friday…»

Il s’agit de parler clairement, selon les normes quantitatives des tragédies du monde que nous connaissons chaque jour. L’incident est dérisoire, et quasiment ridicule par rapport à tant de si profondes tragédies largement documentées, elles aussi agrémentées de vidéos impressionnantes. Cette appréciation concerne aussi bien Occupy, dont le mouvement dure depuis deux mois, durant lesquels il n’y a pas eu un seul mort, tandis que des centaines et des milliers de personnes étaient tuées et blessées en Syrie ou en Libye, ou qu’il y avait, hier 20 novembre 2011, 5 morts et un millier de blessés dans la manifestation du Caire. Cela est dit pour situer la signification quantitative de l’événement, sans aucune référence à une cause politique ou l’autre.

…Ces réserves étant admises, il est vrai que la vision de la vidéo est significative et hautement symbolique dans la précision du film qui en est tourné. On voit donc l’officier de police asperger les étudiants assis, qui ne font que se protéger la tête, sans autre geste que cette défense des plus rudimentaires. A partir de là s’installe la confusion, ponctuée par les crise de “Shame on You” lancés aux policiers par une foule d'une à deux centaines de personnes, rameutée entre temps, autour de la scène, et qui ne bouge pas. Les policiers montrent des attitudes flottantes. Certains se détournent, parlent à la foule ou discutent entre eux. La plupart ne savent que faire. On emmène un ou deux étudiants de force. L’impression de plus en plus forte qui se dégage de la scène est effectivement la gêne considérable, grandissante, des policiers… Peu à peu, sans qu’aucun ordre n’ait été donné, sans aucune pression de la foule sinon cette litanie des “Shame on You”, les policiers se regroupent, se forment en une espèce de carré qui semble de plus en plus défensif alors qu’aucune menace n’existe contre eux, puis, très curieusement, finit par paraître s’être lui-même mis en position d’être encerclé par la foule ; finalement, les policiers commençant à reculer, pour enfin retraiter définitivement… L’effet, à la réflexion, est saisissant. Du coup, l’incident dérisoire acquiert effectivement une force symbolique exceptionnelle.

Il s’agit de tenir compte de toutes les circonstances de communication, de l’apparat symbolique du mouvement qui lui a été donné par ce même système de la communication, de la façon dont l’événement Occupy a changé, comme disent nombre de commentateurs aux USA, “the conversation in the USA”, du domaine financier et budgétaire au domaine économique et du chômage, passant ainsi des complexités et des impasses techniques à la vérité des drames humains. Tout cela pèse sur les psychologies, y compris celles des policiers et, en cet instant, à cause de cet incident à la fois dérisoire et cruel, de cette immobilité des protestataire, donc de l’absence de violence antagoniste qui déplacerait l’attention sur l’événement d’une confrontation brutale en train de se faire, la scène finit par acquérir la puissance symbolique d’une agression quasiment gratuite (“sadique”, disent certains) contre une situation de malheur social sans précédent dont Occupy est le symbole. C’est cela qui provoque soudain la gêne des policiers, qui les repousse, eux qui sont, également, des citoyens du même pays, et à qui, de plus en plus souvent, des manifestants d’Occupy adressent des pancartes où l’on peut lire, “Cops, you are the 99%”. La force de cette vidéo, c’est d’avoir illustré les conditions d’une répression certes violente mais surtout disproportionnée et gratuite ; c’est surtout d’avoir brusquement illustré une psychologie collective qui explique la puissance involontaire, inconsciente et comme désincarnée de Occupy.

Ce n’est pas le principe de la non-violence, – s’il y a “principe”, – qui triomphe ici. La non-violence est une tactique très utile dans ce cas, justement parce qu’elle colle au reste des tactiques d’Occupy et empêche de créer des évènements pressants qui étoufferaient le socle d’une puissance évidente sur laquelle s’appuie la psychologie du mouvement. (La plupart des applications de la tactique de non-violence n'empêchent pas des confrontations brutales à cause de répressions sanglantes.) Mais, certes, c’est ce “socle d’une puissance évidente” qui compte plus que tout et pèse sur les psychologies de tous, et la vidéo de Berkeley en rend compte puisque ce socle reste indemne, sa puissance exprimée avec plus de force et d’effet de communication que tous les affrontements du monde. (Les autorités de Berkeley, qui ont demandé cette intervention de la police, sont aujourd'hui dans un grand embarras.)


Mis en ligne le 21 novembre 2011 à 05H38