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4 avril 2004 — Il y a un siècle, la France et l’Angleterre mettaient en place un accord que les deux pays célébreraient rapidement sous le terme d’“Entente Cordiale”, marqué aussitôt par cette singularité très symbolique du choix par les Britanniques, pour désigner l’événement, de l’expression française qu’ils n’ont plus cessé depuis d’utiliser. Événement important, malgré l’ironie méfiante pratiquée depuis, des deux côtés, sans discontinuer, pour l’apprécier. Le fait est que l’Entente Cordiale a marqué la fin d’un affrontement anglo-français qui durait, de guerre en guerre, depuis l’origine, depuis la fondation de l’Angleterre : malgré des aléas jusqu’à des périodes très sombres (en 1940, après la capitulation de la France et l’attaque de Mers-El-Kébir du 4 juillet 1940, de la Royal Navy contre une partie de la flotte française à quai), les deux pays sont alliés depuis 1904. Un autre fait, également important et assez surprenant, est que les rapports entre ces deux nations sont aujourd’hui (presque) aussi importants pour l’équilibre de l’Europe, donc du monde, qu’ils l’étaient au XIIe siècle. La surprise vient de ce que les empires qui faisaient leurs puissances respectives au XIXe siècle ont disparu, et que cette disparition semblait devoir entraîner leur importance dans les rapports internationaux. Aujourd’hui, après le XXe siècle et ses bouleversements, après l’épisode de la Guerre froide et de l’empire communiste, ces deux nations européennes ont conservé une réelle importance.
(Français et Anglais furent-ils leurs best enemies respectifs pendant huit siècles ? C’est toute l’ambiguïté de leur antagonisme, alors que l’Angleterre est née de la France et qu’il s’en fallut de peu que Guillaume le Conquérant, dès qu’il eut assuré son trône en Angleterre, devienne également roi de France. [Rarement un événement manqué portait tant de changements potentiels dans l’Histoire par rapport à celle que nous avons connue depuis].)
La France et l’Angleterre vont célébrer le centenaire de l’Entente Cordiale, et le symbole historique aura sans aucun doute un poids politique important. En attendant, nous signalons le remarquable travail fait par un quotidien britannique, The Independent, qui a entrepris le 1er avril la publication d’une série d’articles, sur les rapports, les relations de la France et de l’Angleterre, et sur les perceptions respectives.
Tous les articles sont intéressants, parmi ceux que nous avons déjà repérés. A commencer par une comparaison statistique très fouillée des deux pays, montrant combien ils sont à la fois semblables et dissemblables, à la fois proches et fortement identitaires donc nécessairement différents. D’où les paradoxes, les passions, les critiques absurdes et injustes, les attachements secrets, les proximités profondes et les différences persistantes. Les caractères des deux peuples, si fortement marqués malgré leur proximité, expliquent bien des mésententes et des incompréhensions, autant que l’impossibilité de l’indifférence entre eux. (Anecdote caractéristique d’un de nos amis français, lui-même ami très proche, presque intime, d’un Lord anglais infiniment british, et qui découvrit, après trente ans d’amitié, que son ami Lord parlait un parfait français, au cours d’un déjeuner détendu au bord de la Loire.)
Depuis à peu près une vingtaine d’années, un événement sociologique est en train de modifier les rapports des deux pays : une migration britannique considérable vers la France, tant du point de vue du tourisme que de l’installation pour des séjours prolongés. Un chiffre comparatif est impressionnant : 300.000 Britanniques possèdent une “seconde résidence” en France, contre 20.000 Français en Angleterre. La mise en service d’une ligne directe Londres-Avignon par le TGV a marqué, par l’affluence qu’elle permet d’entretenir quotidiennement, ce courant qui a désormais une importance sociologique réelle, et qui pourrait avoir une importance politique dans le futur. (La politique franchement pro-américaine du Royaume-Uni est apparue à la fin des années 1930, après qu’un courant migratoire des élites britanniques vers les États-Unis se fut établi au début du XXe siècle.)
Une partie importante de la littérature et du commentaire touristique britannique est consacrée à la France, et le succès du livre de Peter Mayle, — “One year in Provence”, de 1989, traduit en 20 langues, adapté en une série à la BBC, — en témoigne évidemment. On trouve également, dans The Independent, un reportage classique pour un sujet classique, mais toujours étonnant, de tel ou tel village français en plein dépérissement dans les années 1970, et qui a retrouvé depuis une nouvelle jeunesse grâce à l’apport britannique. (Il s’agit du village normand de Petit Celland :
« For the first time in 30 years, the intricacies of the French language are being taught in the village school in Le Petit Celland. Christian Ricoux, precise and kindly and humorous, like a village teacher in an old movie, is trying to explain the meaning of the word assiégé — ''besieged''. ''We in Normandy are besieged by the English,'' he says. ''But at least they are peaceful invaders.'' Polite, nervous laughter — English laughter — tumbles around the room.
» The tiny school at Le Petit Celland, which closed down in the early 1970s, started taking pupils again this month. All the new élèves are immigrants from Britain. All but one of them are adults.
» In this small, bright schoolroom the passing generations of local farming families once sat and fidgeted — the little Desfeux, the Jouaults, the Lemarchands and the Chartiers. The dozen new pupils, who will come here for French lessons each Tuesday night until May, have names like Hamilton or Hammond or West or Gibbs. Most of them are in their forties or early fifties. One or two are older, and there's a woman of 20 and a boy of 15. »
A côté de cela, la France continue d’irriter profondément les commentateurs britanniques, par périodes (idem de l’Angleterre pour la France). Les dernières élections françaises en ont été une occasion de plus, comme en témoigne l’article de Jonathan Fenby, dans le Guardian du 30 mars. Le premier paragraphe, qui s’appuie sur la référence au-dessus de tout soupçon du général de Gaulle, exprime bien, en quelques mots, cet agacement : « General de Gaulle famously wondered how it was possible to govern a country that had 246 varieties of cheese. Today, one might put the question rather differently: how is it possible to govern a country that changes its mind at each election? »
Prudent, — ou avisé — Fenby a décidé de réactualiser et publier une nouvelle édition de son livre sur la France. L’annonce en fin de l’article nous dit ceci : « • Jonathan Fenby is the author of On the Brink: the Trouble with France. An updated edition will be published in the spring. »