A Doubaï, les zombies s’en foutent

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 331

La crise, ils ne connaissent pas, ils ne veulent pas connaître, ils ont consigne générale et intérieure (aux individus) de ne pas connaître. Ainsi en est-il de la situation à Doubaï, après le coup de tonnerre de l’annonce, les 26 et 27 novembre 2009, des ennuis financiers de l’émirat qui est la vitrine postmoderniste du monde de demain. (Doubaï est-il l'image de ce que les neocons auraient voulu faire de l'Irak?)

Cette atmosphère à Doubaï est décrite par Conor Purcell, qui réside à Doubaï, dans The Independent du 28 novembre 2009. Quelques extraits…

«It was all supposed to be so different. Next week, on UAE National Day, the Burj Dubai was set to open. The 818-metre tower was to be a testament to everything the emirate has achieved. That opening was postponed a few weeks ago and the Burj will open in January instead. That now looks like a good move. As the world's media speculate on what effect Dubai's latest crisis will have on the global economy, the last thing anyone needed was a party celebrating the world's tallest white elephant.

»But there is no sense of panic on the streets of Dubai. Many people are unaware of what is going on, others either don't understand – or don't care. Many people have used the holiday weekend to take a break in Beirut or Oman, to go to beach parties or relax in the sun. Global financial turmoil is just not on their radar.

»This is partly due to the local media who have played down the crisis – focusing on the government's restructuring or ignoring the issue altogether. The front page of the biggest-selling newspaper in the country, Gulf News, today mentioned nothing of the issue, focusing on the Haj pilgrimage to Mecca and the Eid holiday. Ignorance, it seems, is bliss. This carefully contrived atmosphere of nonchalance was reflected in the statement issued by the chairman of Dubai's Supreme Fiscal Committee, Sheikh Ahmed bin Saeed al-Maktoum, as he attempted to reassure markets that all was well and fundamentals were sound.»

Notre commentaire

@PAYANT Il s’agit d’un raccourci saisissant. Doubaï est cette monstruosité posée sur le sable, effectivement comme un artefact de la civilisation postmoderniste, appuyée sur la proclamation que cette civilisation a répudié l’univers réel pour lui substituer sa propre re-création. La proclamation, elle aussi, est écrite sur le sable. La psychologie apparente est à mesure: un négationnisme secrètement furieux et apparemment insouciant (plutôt que “nonchalant”, comme l’écrit Purcell le bien nommé), de la réalité. Nous disons et soulignons “apparente”, pour la psychologie, parce que notre conviction est que la puissance des événements touche dans leurs tréfonds ces psychologies, à Doubaï comme ailleurs. L’absence de panique dans les rues de Doubaï, qui ne fait que renvoyer à l’absence de panique qui a accompagné l’automne chaotique de 2008, est simplement le signe de l’épreuve de force entre ces deux strates de la psychologie, et que la bataille se fait dans les psychologies et non plus dans les rues, avec comme enjeu le rejet du système plutôt que la prise d’un pouvoir qui n’est pour l’instant que l’émanation du système.

La situation d’insouciance, c’est-à-dire d’absence de violence ou de contestation apparentes, n’est nullement à l’avantage de l’artefact postmoderniste. Au contraire, cette insouciance apparente constitue une bien faible défense contre la force de la réalité, et même une porte ouverte, une invitation pour celle-ci à pénétrer dans les tréfonds. La cause de notre conviction est simplement dans la rapidité des choses, qui témoigne de la vigueur renouvelée de l’attaque contre le système. Nous ne croyons pas, à cet égard, au prévisionnisme précis des catastrophes qui s’enchaînent, avec identification de ces catastrophes, comme on en trouve tant d’exemples depuis quelques années et surtout depuis 9/15, mais plutôt à son contraire: l’enchaînement des catastrophes est justement inéluctable parce qu’on ne peut plus rien en prévoir de précis. Tout le monde sait que la catastrophe menace Doubaï depuis des mois et cette catastrophe éclate pourtant comme un coup de tonnerre qui prend tout le monde par surprise; d’autre part, tout le monde sait que des dizaines de pays sont menacés de semblables catastrophes, comme Doubaï – et alors pourquoi fallait-il s'attacher à Doubaï? – et alors la logique humaine se trouve devant un imbroglio kafkaïen. Il s’agit du résultat de ce que nous nommons la “structure crisique” caractérisant notre situation: tout, aujourd’hui, est crise et crise potentielle à la fois, rendant ainsi impossible de déterminer où la rapidité des événements va provoquer le prochain coup de tonnerre puisque ce coup peut éclater partout. Cette succession de coups imprévus et imprévisibles est, justement, ce qui alimente l’attaque contre les tréfonds d’une psychologie collective qui est obligée de dénier la réalité de la crise en apparence pour ne pas risquer de l’activer en réalité. Nous sommes comme un boxeur groggy qui continue à siffloter avec insouciance, affirmant qu’il est inutile d’apprêter sa garde parce qu'il ne craint rien, et qui reçoit coup après coup, imprévus et inattendus.

Doubaï peut bien continuer dans son insouciance, c’est une insouciance de boxeur groggy ou de junky postmoderne sous overdose permanente. Cette absence de conscience signifie effectivement la rupture avec le monde réel, donc la rupture avec la réalité de la crise et la force des événements qui l’animent, donc l’absence de défense contre les coups qui se succèdent. Les résidents (plutôt qu’“habitants”, terme devenu presque obscène) de Doubaï sont des somnambules “maistriens” de la postmodernité organisée de plus en plus nettement pour laisser libre cours au développement de la crise qui la déstructure à force d’uppercuts, de crochets et de directs. Leur comportement, évidemment entretenu par l’appareil de la communication “officielle” qui réagit par l’automatisme somnambulique de l’optimisme encore bon pour les prochaines heures, marque leur impuissance à se protéger efficacement face aux événements qui l’attaquent avec tant de force.

Enfin, il suffit de placer tout cela dans un contexte de quelques mois pour mesurer la vanité des efforts du système pour repousser la réalité qui l’attaque. L’opération des “green shoots” lancée comme il se doit au printemps de cette année osait avancer des prévisions jusqu’à proposer des chiffres de “reprise” pour 2010 qui devaient constituer un antidote sérieux, non pas tant contre la crise, mais contre la dégradation de la confiance dans le système – cette confiance qui reste le seul moteur disponible de fonctionnement identifiable de ce système. Dans cette programmation, l’important était effectivement de donner la forte perception d’une reprise de contrôle du système par les autorités qui lui sont assujetties; l’important était de ne pas compromettre la seule “reprise” qui compte – la “reprise psychologique” pour toute la communauté des observateurs et commentateurs du système et autour du système, verrouillant ce retour de la confiance active dans le système. L’accident de Doubaï tombe comme un affreux cheveu sur une soupe dont on se délectait déjà; à cet égard, autant événement de communication qu’événement financier, nous faisant craindre que la “reprise psychologique” n’aura pas lieu. D’ores et déjà, les commentateurs ont retrouvé la tonalité épuisante des titres d’il y a un an («Dubai shockwave hits global markets», du Financial Times) et nous attendons donc, évidemment sans le prévoir ni l’anticiper, le prochain swing qui nous prendra comme d’habitude, par surprise, garde baissée, “insouciants”. D’ailleurs, peut-être sera-ce demain, à Doubaï et chez ses voisins, au milieu des sifflotements nonchalants. Inch Allah, disent les pèlerins de la Mecque, qui font les gros titres de la presse de Doubaï.


Mis en ligne le 28 novembre 2009 à 12H07

Donations

Nous avons récolté 1240 € sur 3000 €

faites un don