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384Deux nouvelles, l’une très courte, l’autre développée en une analyse pleine du brio dont Juan Cole est coutumier, viennent nous indiquer que la situation de l’Iran est en train de se renforcer considérablement. (Et celle de la Turquie, conjointement.) Il n’est pas impossible que l’affaire Cablegate, directement et indirectement, ne contribue pas puissamment à cette évolution.
• A la suite d’une rencontre entre les “représentants de la communauté internationale” (E3 + E3, disent-ils), à Genève, les 6 et 7 décembre, la Haute Représentante de l’UE Ashton a publié un communiqué au nom des participants non-iraniens, conciliants dans les termes et, surtout, qui annonce la poursuite de ces entretiens en Turquie, en janvier. Ce point est une victoire symbolique, et sans doute politique majeure pour l’Iran (et pour la Turquie)… «…The countries I represent are united in seeking a resolution of the international community's concerns regarding Iran's nuclear programme – which is the central purpose of these talks. We recognise Iran's rights, but insist that it fulfils its obligations. We are ready to address and to seek common ground also on other issues of mutual interest. We and Iran agreed to a continuation of these talks in late January in Istanbul, where we plan to discuss practical ideas and ways of cooperating towards a resolution of our core concerns about the nuclear issue.»
• Le 7 décembre 2010, sur Thruthdig.org où il a désormais une rubrique hebdomadaire, Juan Cole, l’un des meilleurs spécialistes indépendants des affaires du Moyen-Orient, dont particulièrement l’Iran, fait une analyse extrêmement détaillée à la lumière des divers câble communiqués par Wikileaks sur la situation impliquant l’Iran, la Turquie, la Syrie et le Liban, et observe d’une façon générale … «Iran is winning and Israel is losing. That is the startling conclusion we reach if we consider how things have changed in the Middle East in the two years since most of the WikiLeaks State Department cables about Iran’s regional difficulties were written.»
Après avoir longuement développé son analyse des diverses révélations et précisions contenues dans les câbles diplomatiques rendus publics, notamment sur l’évolution du Liban et de la Syrie, Cole conclut en saluant le renforcement de la position de l’Iran comme puissance régionale et l’installation de la Turquie comme autre puissance régionale, en coopération avec l’Iran.
«Likewise, during the past two years, Turkey has increasingly offered Lebanon its coat strings as a rising Middle Eastern regional power. Ankara and Beirut have concluded a treaty creating a free trade zone between the two countries, which Turkey hopes to expand to Syria and Jordan. In sharp contrast to the ambivalence of Lebanon’s own Sunnis and Christians, Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan came to Beirut on Nov. 23 and warned Israel, “If you invade Lebanon and Gaza using the most modern tanks and you destroy schools and hospitals, don’t expect us to be silent about it. We will not be silent, but will support what is right.” Erdogan also defended Hezbollah from rumors that it had itself been implicated in the elder Hariri’s assassination, saying that “no one could imagine” that the organization, which called itself Lebanon’s “spirit of resistance,” had been involved in the killing.
»Turkey’s defense of Hezbollah tracked with Ankara’s improved relations with Iran itself. Turkey attempted to run interference at the United Nations Security Council for Iran’s nuclear enrichment program. When the council voted to ratchet up economic sanctions on Iran on June 9, Turkey and Brazil voted against the measure, while Lebanon abstained.
»From 2005 through 2006, Iran appeared to be on the retreat in the eastern Mediterranean. Pro-Western Sunnis and Christians took over in Beirut. Syria was expelled from Lebanon and there was talk of detaching it from Iran. The powerful generals of Turkey, a NATO member and ally of Israel, were reliably anti-Iranian. Now, Hariri is a supplicant in Tehran, Syria is again influential in Beirut, and a Turkey newly comfortable with Islam has emerged as a regional power and a force for economic and diplomatic integration of Iran and Syria into the Middle East. Iran’s political breakthroughs in the region have dealt a perhaps irreparable blow to the hopes of the United States and Israel for a new anti-Iranian axis in the region that would align Iran’s Arab and other neighbors with Tel Aviv.»
@PAYANT Fin octobre début novembre, lorsque les Iraniens communiquèrent à l’UE une proposition de reprendre des négociations sur le sujet sans fin du nucléaire (et sur les intérêts et les droits de l’Iran), à Istanboul, en Turquie, il ne leur fut même pas répondu directement. «Ce fut un éclat de rire général dans les bureaucraties, observe une source européenne, d’imaginer que nous pourrions aller négocier en Turquie, qui a joué le rôle qu’on sait en juin dernier, avec le Brésil, un rôle que l’UE et les Occidentaux ont superbement ignoré…» Alors, que signifie la décision annoncée le 7 décembre, puisque finalement une rencontre a eu lieu à Genève, qu’on doit désormais qualifier, si l’on veut, de “transitoire” puisqu'on poursuivra en Turquie ? «Cela s’appelle aller à Canossa, et cela semble s’être fait sans trop de douleur, parce que les Iraniens en faisaient une condition sine qua non et que nous avons cédé.» (Ce qu’on signifie qu’aujourd’hui, l’on cède lorsque les Iraniens tiennent ferme sur une condition…)
Le choix de la Turquie comme lieu des négociations a un poids symbolique d’une force extrême, on le comprend. Il a aussi une dimension potentielle concrète. Les Iraniens veulent que les Turcs (et les Brésiliens) entrent dans les négociations, après le rôle constructif qu’ils ont joué l’été dernier, et l’on voit mal comment cette évolution pourrait ne pas se faire après le choix d’Istanboul comme lieux des négociations. «Les Turcs, avec les Brésiliens derrière, ont mis un pied dans la porte, et il y a fort à parier qu’ils parviendront à ouvrir la porte des négociations…» Si c’est le cas, l’esprit des négociations avec l’Iran sera complètement différent, les négociations deviendront à la fois régionales et globales, impliquant des participants dont l’état d’esprit est totalement différent de celui du groupe occidentaliste-américaniste. Chinois et Russes pourront, à leur tour, redéployer ou mettre en pleine lumière leur politique naturelle.
Il n’est pas impossible qu’à ce niveau diplomatique, les fuites de Wikileaks aient joué leur rôle. Certains diplomates ont pu tirer certaines des conclusions que Juan Cole expose d’une façon rigoureuse. D’une part, ils comprennent que les positions turque et iranienne sont désormais renforcées, qu’elles sont coordonnées et se renforcent mutuellement, qu’on ne peut par conséquent plus traiter l’Iran comme un paria isolé ; d’autre part, ils découvrent que Washington, derrière la politique de complet virtualisme qu’il affiche, se trouve conduit à confirmer lui aussi ces nouvelles réalités, même s’il n’en tire aucune conclusion pour lui-même. Il devient difficile, dans ces conditions, de continuer à mener des négociations selon un schéma construit sur le virtualisme occidentaliste-américaniste alors que la vérité est connue de tous, commentée de tous les côtés, qu’elle pèse de tout son poids sur l’esprit des négociations.
La question qu’on peut poser à la lumière de ces constat est de savoir si l’on n’assiste pas à une première manifestation du climat nouveau créé par Cablegate, alors qu’on sait par ailleurs que la puissance déclinante très rapidement des USA ne lui donne plus le moindre levier pour empêcher cette incursion massive de la vérité diplomatique de la situation que leurs propres diplomates décrivent dans leurs câbles. Il faut bien comprendre qu’une telle hypothèse serait une situation nouvelle pour tout le monde, y compris pour les Américains eux-mêmes, qui ont amené bien involontairement tous les éléments de la nouvelle situation. Le déluge de câbles diplomatiques déclenché par Cablegate ne dévoile nullement la véritable pensée politique de Washington telle qu’on pourrait croire qu’elle aurait dû évoluer à la lumière de toutes ces nouvelles sollicitant une synthèse générale de la situation. Washington est et reste aveuglé par l’hubris incroyable qui caractérise sa conception du monde, et Washington est incapable de faire une synthèse aussi achevée que celle d’un Juan Cole, ou, dans tous les cas, de l’accepter, si un de ses diplomates la faisaient en acceptant la logique impeccable du même Juan Cole. Washington nous livre, grâce à Wikileaks, tous les éléments d’une situation mondiale nouvelle, basée sur la vérité d’une réalité diplomatique incontestable, mais Washington est incapable d’en tirer la conclusion par une pensée rationnelle. Par contre, il semble assuré que cette immense affaire contribue décisivement à miner la psychologie washingtonienne et américaniste, cette inconsciente faiblesse, à renforcer dans système de l’américanisme une psychologie de l’effondrement, notamment devant ses propres faiblesses et incapacités, devant l’attitude des autres pays qui ne cessent d’acter de plus en plus bruyamment l’effondrement de l’influence US. Pour Washington, Cablegate constitue la documentation globale de l’effondrement global de son influence, et la chose lui prépare un certain nombre de Canossa auxquels il devra se rendre, contraint et forcé.
…Et, pour commencer, à Istanboul, chez l’allié-vassal turc devenu une puissance autonome avec sa politique et un jugement qui ne se dissimule plus sur la politique américano-israélienne dans la région. La chose est bien plus significative pour Washington que pour les Européens, qui pourraient commencer à comprendre vers où doivent les pousser leurs intérêts. Bientôt, Washington pourrait bien devoir accepter, parmi les négociateurs de la question iranienne, un dirigeant dont il a été dut tant de mal dans les câbles de ses diplomates qu’Erdogan songe à porter plainte ; et cela se passera dans la capitale même de ce dirigeant politique… C’est aller plusieurs fois à Canossa en un seul voyage.
Mis en ligne le 8 décembre 2010 à 07H47
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