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2379Le célèbre journaliste US Seymour Hersh, qui donnait une conférence le 18 janvier à Doha, au Qatar (voir aussi notre Ouverture libre du 19 janvier 2011), attaque violemment la politique de l’administration Obama, et Obama lui-même. Il avait déjà eu l’occasion de le faire ; cette fois la critique est plus systémique et sans le moindre espoir de rédemption en un sens, et elle est dite alors qu’une confirmation de taille est portée à la connaissance du public avec le satisfecit de Dick Cheney pour la politique d’Obama.
Excellente phrase d’introduction, malgré la présentation ironique qu’en fait Blake Hounshell, de Foreign Policy, ce 18 janvier 2011, disant à peu près : “Alors que nous avions besoin d’un Noir en colère, nous avons eu le contraire…”
«“Just when we needed an angry black man,” he began, his arm perched jauntily on the podium, “we didn't get one.” […] Hersh, whose exposés of gross abuses by members of the U.S. military in Vietnam and Iraq have earned him worldwide fame and high journalistic honors, said he was writing a book on what he called the “Cheney-Bush years” and saw little difference between that period and the Obama administration.
»He said that he was keeping a “checklist” of aggressive U.S. policies that remained in place, including torture and “rendition” of terrorist suspects to allied countries, which he alleged was ongoing. He also charged that U.S. foreign policy had been hijacked by a cabal of neoconservative “crusaders” in the former vice president's office and now in the special operations community.
»“What I'm really talking about is how eight or nine neoconservative, radicals if you will, overthrew the American government. Took it over,” he said of his forthcoming book. “It's not only that the neocons took it over but how easily they did it – how Congress disappeared, how the press became part of it, how the public acquiesced.”
»Hersh then brought up the widespread looting that took place in Baghdad after the fall of Saddam Hussein in 2003. “In the Cheney shop, the attitude was, ‘What's this? What are they all worried about, the politicians and the press, they're all worried about some looting? ... Don't they get it? We're gonna change mosques into cathedrals. And when we get all the oil, nobody's gonna give a damn.’” “That's the attitude,” he continued. “We're gonna change mosques into cathedrals. That's an attitude that pervades, I'm here to say, a large percentage of the Joint Special Operations Command.”
»He then alleged that Gen. Stanley McChrystal, who headed JSOC before briefly becoming the top U.S. commander in Afghanistan, and his successor, Vice Adm. William McRaven, as well as many within JSOC, “are all members of, or at least supporters of, Knights of Malta.” Hersh may have been referring to the Sovereign Order of Malta, a Roman Catholic organization commited to “defence of the Faith and assistance to the poor and the suffering,” according to its website.
»“Many of them are members of Opus Dei,” Hersh continued. “They do see what they're doing – and this is not an atypical attitude among some military – it's a crusade, literally. They see themselves as the protectors of the Christians. They're protecting them from the Muslims [as in] the 13th century. And this is their function.” “They have little insignias, these coins they pass among each other, which are crusader coins,” he continued. “They have insignia that reflect the whole notion that this is a culture war. … Right now, there’s a tremendous, tremendous amount of anti-Muslim feeling in the military community.”»
Signalant la présentation de l’intervention de Hersh par Hounshell, de Foreign Policy, Glenn Greenwald, de Salon.com, commentait, le 18 janvier 2011 : «For his efforts, Hersh was promptly mocked by Foreign Policy's Blake Hounshell, who scoffed at Hersh's “rambling, conspiracy-laden diatribe” without contesting a single claim, but he need not engage the substance of Hersh's statements, because – unlike Hersh – both Hounshell and Foreign Policy are Deeply and Profoundly Serious…» Ces divers commentaires, acerbes, ironiques, ou furieux quand il s’agit d’un Symour Hersh parlant d’Obama et confirmant une appréciation qu’il fait évoluer dans le sens de la condamnation sans appel depuis un peu plus d’un an, font toutes partie d’une considération générale de la politique de l’administration Obama, et d’un constat que cette politique poursuit trait pour trait celle de Bush-Cheney, peut-être en “un peu plus pire”. Il s’agit, bien entendu, de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” que dénonçait Harlan K. Ullman en mai 2009.
Mais pour ce qui concerne Hersh, l’important dans sa diatribe est son appréciation du climat régnant chez certains des militaires US, essentiellement cette ambiance de “croisade” presque sacrée, anti-musulmane, qui est sans aucun doute un sentiment répandu sinon une organisation de facto. Il n’est pas nécessaire pour cela d’être passionné, ou d’avoir l’esprit d’un Croisé du XIIIème siècle, ce qu’aucun de ces robots étoilés du Pentagone n’est évidemment capable d’avoir. Mais les précisions qu’apporte Hersh, en désignant le commandement conjoint des “opérations spéciales” comme réceptacle principal et inspirateur de ce courant, sont encore plus intéressantes dans la mesure où elles dévoilent une espèce de création d’un esprit spécial “de caste” au sein des forces spéciales, devenant ainsi “très spéciales”, et philosophico-religieuses ; il s’agirait de quelque chose qui s’apparenterait à une chevalerie dans le sens excessif et religieux des croisades, mais évidemment absolument sans la moindre attitude, le moindre trait de caractère, le moindre détail de sensibilité ou de comportement rappelant l’esprit de la chevalerie du XIIIème siècle. Il s’agit alors d’un phénomène complètement inédit, à la fois anachronique et “asymétrique”, puisqu’il prétend impliquer des comportements et des psychologies qui sont naturellement, de par la chronologie et les différences fondamentales entre les époques, absolument antinomiques. Les “forces spéciales” auront beau se dire de plus en plus “spéciales”, elles continueront à être tributaires de la technologie et le seront de plus en plus, et la technologie est évidemment, dans son esprit, quelque chose qui repousse absolument le comportement et la psychologie de la chevalerie.
Dans ce contexte, les affirmations de Hersh à propos de généraux et d’amiraux à la fois du commandement des forces spéciales, et membres des Chevaliers de Malte et de l’Opus Dei, si elles sont fondées comme elles le sont probablement parce qu’elles correspondent si bien à cette époque toute entière déstructurée par une sorte de “baroque technologique” et de “religiosité bureaucratique”, mesurent également le mariage des ambitions les plus perverses (l’attaque anti-musulmane pour empêcher la mise en place du Grand Califat islamo-fasciste des Kristol & compagnie), avec la dérision de ces ambitions, et la réalité absolument corruptrice de tout cela derrière les grands sentiments et les options de civilisation qu’on prétend y mettre. (Voir l’explication de Hersh sur la mise à pied du chef de station de la CIA à Islamabad parce que cet officier du renseignement avait contesté le rapport hyper-optimiste de Petraeus sur la situation en Afghanistan de décembre 2010.) D’ailleurs et pour mesurer ces caractères de déséquilibre dans le mélange des genres, les affirmations de Hersh ont aussitôt été suivies d’une protestation solennelle, ce 18 janvier 2011, du président de la Catholic League for Religious and Civil Rights des USA (il y a toujours du civil rights aux USA), au nom de l’Ordre des Chevaliers de Malte…
«The Knights of Malta is a charitable organization that dates back to the 11th century… […] So this is the group that Seymour Hersh seeks to demonize. His long-running feud with every American administration-he now condemns President Obama for failing to be “an angry black man”-has disoriented his perspective so badly that what he said about the Knights of Malta is not shocking to those familiar with his penchant for demagoguery.»
Effectivement, on ne peut rêver mélange des genres plus chatoyant et diversifié, donnant un exemple excellent du degré de désordre des choses, des montagnes d’Afghanistan aux bureaux du Pentagone accessibles grâce à une sorte de Da Vinci Code…
Seymour Hersh, lui, est sûrement un “angry white man”, qui apparaît comme exemplaire, et particulièrement bien informé, des désillusions extraordinaires qui affectent une partie importante des libéraux (progressistes) qui ont soutenu Obama, et le désordre qui règne dans ce “camp”. Mais ses observations, et notamment celles qu’il fait à propos des militaires du commandement JSOC (Joint Special Operations Command), décrivent également un désordre et une déstructuration considérables en cours au sein du Système dont dépend Obama, et auquel Obama obéit comme toute copie conforme de la fonction de Président, et particulièrement de la droite militante du Système. Ce désordre américaniste, ce n’importe-quoi politique et conceptuel, correspondent d’ailleurs à un sentiment profond de Hersh, tel qu’exprimé dans l’interview qu’il a donnée au Gulf Times, lors de son passage à Doha : «I love America – I’m just sad about what we are doing around the world…»
Mis en ligne le 19 janvier 2011 à 15H05