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20 janvier 2006 — La grande bataille du village de Damadola n’a pas eu lieu le 13 janvier mais est en cours actuellement, entre Américains et Pakistanais essentiellement. C’est la bataille menée par les Américains pour obtenir une version officielle-officieuse qui les agrée, notamment pour leurs intérêts intérieurs. C’est une bataille pour un habillage virtualiste et pour les intérêts de groupes de pression, — ou sous les pressions des groupes d’intérêt, si l’on veut. Cette description de la bataille en cours est un exposé succinct de ce qu’est réellement la “guerre contre la terreur” au nom de laquelle diplomates et militaires sont tentés de vous dire, pour justifier leur utilité, qu’une mobilisation maximale est nécessaire, au nom de laquelle on envisage les conflits les plus extrêmes et les décisions les plus folles.
Tout est rassemblé dans la chaîne habituelle du système pour cette bataille de la mise au point (peut-on dire : “l’invention”?) d’une version qui tienne, avec, cette fois, une gâterie : les copains pakistanais servant de base ou de fournisseurs de désinformation, mais avec leurs propres exigences. Cela nous rappelle ce mot du Premier ministre pakistanais Aziz, au lendemain de l’attaque de Damadola : « [Aziz] called Friday's airstrike on a village near the Afghan border “very regrettable” but said, “I don't think that takes away from the fact that Pakistan needs investment.” » On comprend de quels investissements il est question.
La chaîne du système enfile successivement les “officiels pakistanais”, éventuellement des sources “proches du renseignement pakistanais” (ISI), le commentaire professionnel US, avec l’habituel New York Times comme relais.
Une pièce rarissime venue en surcroît pour éclairer cette affaire d’une dimension plus large, c’est la leçon que le Premier ministre pakistanais inflige à ses amis américains, sans espoir d’ailleurs de changer quoi que ce soit dans leur comportement. On la signalera d’abord, avant de revenir à la fabrique d’information. Il faut avoir à l’esprit que Aziz parle de la coopération et de la coordination de deux pays qui sont extrêmement proches dans la lutte contre le terrorisme dans cette région depuis le 11 septembre 2001, et donc ont coopéré et se sont coordonnés activement pendant plus de quatre ans déjà.
« The prime minister of Pakistan said yesterday that the deaths of 18 civilians in American airstrikes on a Pakistani village last week pointed out a need for stricter coordination between his country and the United States but would not set back their joint effort to fight terrorism.
» “Our war against terror is based on principles, so if our objectives are similar, I think we can work together,” Prime Minister Shaukat Aziz said in an interview at a Midtown Manhattan hotel. “However, the modus operandi and the code of conduct need to be discussed, and while I'm in Washington, we will certainly talk about it.”
(...)
» Speaking of the C.I.A. and the counterpart Pakistani services, he said, “The liaison is there between the two agencies but as the exact way of tackling the intelligence, I believe there was a bit of a communications gap.” »
Cette absence de coopération et de coordination des Américains et des Pakistanais, du fait essentiellement des premiers qui effectuent toutes leurs actions sans en aviser les Pakistanais, est une des causes du désordre qui entoure l’attaque de Damadola. Les Américains continuent leur effort pour faire accréditer la thèse que l’attaque à donné des résultats. En attendant, cette offensive virtualiste a donné des résultats, au niveau médiatique, avec des articles, dont celui du New York Times du 19 janvier qui nous gratifie d’une nouvelle version, plus travaillée, plus subtile que la liquidation du n°2 d’Al Qaïda.
« Two senior members of Al Qaeda and the son-in-law of its No. 2 leader, Ayman al-Zawahiri, were among those killed in the American airstrikes in remote northeastern Pakistan last week, two Pakistani officials said here on Wednesday.
» The bodies of the men have not been recovered, but the two officials said the Pakistani authorities had been able to establish through intelligence sources the names of three of those killed in the strikes, and maybe a fourth. Both of the officials have provided reliable information in the past, but neither would be identified because they were not authorized to speak to the news media.
» American counterterrorism officials declined to say whether the four Qaeda members were in fact killed in the raid, or whether the men were among those who were the targets of it. But one American official said, “These are the kinds of people we would have expected to have been there.”
» If any or all were indeed killed, it would be a stinging blow to Al Qaeda's operations, said the American officials, who were granted anonymity because they were not authorized by their agencies to speak for attribution. They said all four men named by the Pakistani officials were among the top level of Al Qaeda's inner circle of leadership. »
La véritable opération de Damadola a donc consisté, à partir du 13 janvier, à rassembler les “officiels pakistanais” pour les convaincre de diffuser une version plus favorable aux actions américaines. Les Américains, de leur côté (« American counterterrorism officials »), se tiennent sur la réserve, maniant la désinformation selon les normes du milieu : suggestion de confirmation éventuelle, dans certaines conditions, prudence extrême, etc., — mais affirmation discrète qu’il s’agit d’une formidable victoire (« a stinging blow to Al Qaeda's opérations ») en cas de confirmation, — laquelle, si elle vient, viendra à nouveau d’une manipulation extérieures (« Pakistani officials » ou proches).
L’arrangement manipulatoire de l’information est meilleur que l’opération de Damadola elle-même, et meilleur bien sûr que les piètres interventions d’une Rice pendant l’affaire des vols de la CIA, où les montages ne sont même pas crus par ceux qui les énoncent. Les « American counterterrorism officials » ont pour eux de pouvoir jouer de l’aura de mystère et de professionnalisme qui entoure leurs activités, et de l’impossibilité absolue de régler une affaire comme celle de Damadola d’une façon claire et indubitable ; ils ont même pour eux, pour certains d’entre eux dans tous les cas, de croire que ce qu’ils disent reflète une certaine vérité.
Le montage est tellement actif que des opposants peuvent même avancer l’hypothèse que l’opération elle-même est un montage complet à destination politique, pour renforcer par la terreur la main-mise du gouvernement pakistanais et des Américains sur la population (« Some officials and opposition politicians have accused the government of inventing the presence of foreign militants in the area to mitigate the political fallout »). Parfois aussi, des vérités traînent ici ou là, par inadvertance, maladresse ou lassitude, comme la déclaration du Premier ministre pakistanais Aziz sur les dirigeants d’Al Qaïda, s’ils existent… : « [Aziz] expressed little hope of the imminent capture or killing of the top two leaders of Al Qaeda, Osama bin Laden and Ayman al-Zawahiri, saying they had the resources to move about the tribal areas and beyond without being detected. « Frankly, nobody knows where they are,” he said. “The simple answer is that nobody has a clue.” »
Il est assez probable que cette activité inusitée du milieu du renseignement et du contre-terrorisme US, pour les suites d’une opération de cette sorte, a aussi des causes internes (à Washington, s’entend) très importantes, — ce sont même, le plus souvent, les plus importantes. Il semble que ces milieux veulent renouveler et relancer le soutien parlementaire à leurs activités, notamment du point de vue des budgets, en tentant de démontrer l’efficacité de cette sorte d’opération et de la technologie. L’accent mis sur l’emploi d’engins Predator durant l’opération va dans ce sens. L’affaire Cunningham est pour beaucoup dans cette situation et dans cette démarche des milieux du renseignement US. On sait que cette affaire implique des irrégularités dans certains contrats secrets avec la CIA et l’on craint que ses retombées, avec des implications diverses dont certaines peuvent être incontrôlables, conduisent à des restrictions dommageables (pour les contractants et pour les services de renseignement). Toute publicité favorable sur le professionnalisme des SR, toute bonne relation publique est essentiel. On a vu d’ailleurs que l’opération de Damadola a déjà forcé à des regroupements de parlementaires au nom du patriotisme, fort favorables à ces milieux.