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29 décembre 2004 — Il est connu que les Américains ont toujours péché, au niveau du renseignement, par faiblesse de ce qu’ils nomment “HUMINT” (Human Intelligence), au profit du renseignement technologique (observation, photographie, communication, etc). Ce n’est pas un hasard mais plutôt une fatalité: la civilisation américaniste est bâtie sur le Progrès machiniste, sur la technologie, sur l’industrialisation, etc, — et, au contraire, sur une réelle méfiance de la subjectivité humaine et de ses réelles capacités individuelles de libre arbitre, — ce pourquoi il ne faut pas confondre l’individualisme américaniste, qui est un moyen d’empêcher des esprits libres de se réunir dans une organisation oppositionnelle sérieuse au système, et le libre arbitre, ou libre esprit, qui donne à chacun la grâce d’un jugement dégagé des pressions des systèmes qui contrôlent le pouvoir.
(Qu’y pouvons-nous si l’on retrouve dans ces notes rapides les caractéristiques du mouvement communiste dans sa version marxiste-léniniste, dont on nous disait que l’équation fondatrice était “le communisme + l’électricité”? Il y a eu des mouvements d’intérêt de l’un pour l’autre au début de l’URSS : des américanistes pour l’expérience soviétique, qui s’est ensuite traduit par l’intérêt américaniste pour le trotskisme, avec des survivances jusqu’à aujourd’hui; et, d’autre part, un réel intérêt des communistes pour l’expérience américaniste. Comme disait Jacques Brel, « On n’était pas du même bord mais on cherchait le même port ». La différence, après tout, ne portait que sur les moyens de trouver la formule menant au triomphe du Progrès, de la machine et du système contrôlant tout cela: la dictature du prolétariat pour les communistes, la démocratie pour les américanistes. C’est dire l’estime qu’il faut avoir pour ces moyens de contrôle des populations [la démocratie notamment] dont nos penseurs officiels font une panacée…)
L’échec catastrophique des USA en Irak est d’abord fondé, non sur une mauvaise connaissance de la psychologie irakienne, mais sur un refus absolu de tenter d’en connaître là-dessus. Il y a dans l’acte américaniste de l’invasion de l’Irak le pré-supposé du manque total d’intérêt, voire d’existence d’une psychologie irakienne différenciée, et la conviction que l’invasion réduira ce qu’il en existe, et transformera l’Irakien en homo americanus aussitôt conduit à marcher au pas, au rythme de la démocratie américaniste.
L’échec est complet. Les commentateurs américanistes nomment cela, dans leur jargon rassurant: “the intelligence gap”.
L’année 2004 a été féconde en signes de cet échec américain. Les deux attaques de Falloujah (avril et novembre 2004) se sont toutes les deux terminées en échecs, — le premier reconnu comme tel, le second baptisé “victoire” sans parvenir à dissimuler la réalité, — à cause de l’extraordinaire vacuité de l’HUMINT américain. A aucun moment, les Américains n’ont compris la situation régnant à Falloujah. Ils l’ignorent toujours, évidemment, et le seul moyen d’espérer un jour de la connaître est de démolir Falloujah et de reconstruire Falloujah-City. Ils s’y emploient.
(La “victoire” piétine à Falloujah, de l’aveu même du général Sattler-John Wayne, tel qu’il le dit lui-même le 23 décembre au New York Times : « “I'd love to be able to tell you we've cleaned out the city, but I can't,” said General Sattler, who on Nov. 18 said the offensive in Falluja had “broken the back of the insurgency.” »)
De très récents exemples, souvent pris lors d’opérations courantes, montrent que cet échec est irrémédiable et va en s’aggravant. Là encore jouent les réflexes pavloviens du virtualisme, comme cela est décrit dans ce texte du Washington Post du 23 décembre. Ce texte décrit l’“investissement” de Samarra et l’échec complet de cet investissement. Le titre lui-même nous donne une mesure de la stupidité de la réflexion des militaires américains: « Soldiers in Sunni Town Run Into Wall of Silence — Residents of Samarra Fear Reprisals for Informing on Rebels. » Les Américains nous serinent depuis des mois que les Sunnites, proches de Saddam, leur sont hostiles, à la limite d’être irrécupérables, et évidemment peu inclinés à coopérer; entrant dans une ville sunnite et constatant l’absence totale de coopération (on dit aussi : “collaboration”) de la population, ils en déduisent que cette population est terrorisée par les insurgents… Que peut-on ajouter à cela? (En plus, cerise sur le gâteau, admirez la délicatesse et l'intelligence des interventions auprès de l'habitant: portes brisées et habitants terrorisés, — par les GI's, tiens — contre dollars.)
« The Sunday night raid was what soldiers here call a “dry hole.” They received an intelligence tip, and it led to nothing. They broke down doors and interrogated people who appeared to have no connection to the war the United States is waging. The soldiers paid the families in U.S. dollars for the broken door jambs and the splintered cabinet doors that hung askew.
» The frustrating dead end was a symptom of what officers here agree is a virtual intelligence meltdown in Samarra, a city 65 miles north of Baghdad in the Sunni Triangle, an area where the insurgency runs deep. Rebels have intimidated the local population, launching attacks from neighborhoods where residents now fear the consequences of helping the American occupiers.
» “It's all about intimidation,” said Lt. Col. Eric O. Schacht, commander of the Army's 1st Battalion, 26th Infantry Regiment, which oversees Samarra. Schacht said the spreading fear had stymied his unit's ability to gather intelligence. “The residents do know who the bad guys are. They're afraid. It's a daily struggle that we have to fight.” »
La situation générale est admise par certains commentateurs US, tel Walter Pincus, dans le Washington Post du 24 décembre. Sa description en quelques lignes de l’historique de l’“intelligence gap”, notamment la “lenteur” de la CIA et des militaires US à mettre en place des réseaux d’informateurs, — tout cela, de nous laisser rêveurs…
« While insurgents in Iraq have placed informants inside the Iraqi government, the U.S. and Iraqi militaries, coalition contractors, and international news organizations, the United States is having serious intelligence problems in Iraq, according to sources inside and outside the U.S. government.
» The CIA and the U.S. military were slow to start creating intelligence networks in Iraq and have had trouble developing informants because of death threats to Iraqis and their families should they get involved, the sources said. »
Mais même ces analystes sévères se trompent. On l’a déjà vu pour Cordesman et ses rapports. Il fait un tableau réaliste de la situation catastrophique et écrit: « US human intelligence is improving but is hurt badly — as are civil-military and other efforts — by high turnover and rotations. Most Iraqi networks serving the US in hostile areas have serious quality and loyalty problems, while others either use their positions to settle scores or misinform Coalition troops. » Cordesman a tort d’écrire que la situation s’améliore; au contraire, elle empire, de jour en jour.
En attendant, les Américanistes poursuivent leur folie par des voies plus familières: en se rassemblant dans un tandem Rumsfeld-Boykin, deux sortes différentes de la folie américaniste, pour mettre en place l’idée de “fighting for intelligence”, c’est-à-dire, en gros: lancer des guerres (préventives, obviously) pour obtenir du renseignement pour pouvoir lancer des guerres préventives… Z’ont trouvé le mouvement perpétuel.