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24 décembre 2006 — L’ONU sert donc toujours à quelque chose, malgré les critiques (parfois justifiées) des uns et des autres. Elle mesure l’état de la puissance “des uns et des autres”. Le vote des “sanctions” contre l’Iran à l’ONU, le 23 décembre, en été une démonstration éclatante. Le diagnostic est effrayant pour le basculement de la puissance US intervenu ces trois dernières années, — notamment en se référant à la saison automne 2002-hiver 2003 qui précéda la guerre contre l’Irak. Il suffit de citer les titres de deux textes de commentaires US sur ce vote pour en prendre la mesure.
• Le Washington Post du 23 décembre propose ce titre : «“Nyet” on Iran — Russia has turned a U.N. sanctions resolution on Tehran's nuclear program into a demonstration of Western weakness.»
• Le commentateur Stevens C. Clemons, sur son site The Washington Note titre ce même 23 décembre : «Beating the U.S. Increasingly a Measure of Legitimacy».
Ce vote de samedi à l’ONU doit être retenu comme un symbole de l’effacement, pour ne pas dire de l’effondrement de la puissance et de l’influence des Etats-Unis dans le monde. Un autre point est que le poids de la Russie apparaît désormais considérable, mais c’est pour l’instant un point plus annexe.
L’essentiel est bien entendu le statut de la puissance américaniste. Le passage de l'unipolarité à la multipolarité, avec les USA comme acteur parmi d’autres, et certainement celui qui éveille le plus de défiance pour son caractère d’imprévisibilité, est désormais chose faite.
Voyons maintenant les deux éclairages donnés par les deux sources citées.
• Le Washington Post, comme à son habitude d’épargner à tout prix la responsabilité US en rejetant la faute sur l’absence de vertu des autres, insiste sur la duplicité (ou l’habileté, diront les réalistes) et l’efficacité russes. Il omet de mentionner que ces deux traits ont remplacé la brutalité et l’inefficacité de la puissance US à son zénith, in illo tempore. Bientôt, nous lirons les stupides commentateurs américanistes se plaindre de ce que les autres, les méchants Russes en tête, ne respectent pas l’esprit de l’ONU. La saison 2002-2003, où Washington traitait l’ONU avec un mépris haineux, est bien loin dans ce qui leur sert de mémoire.
»… [T]he administration has spent nearly four months seeking Russian consent for the initial measure, yielding again and again to Moscow's intransigence. First, a large nuclear reactor being built for Iran by Russia was exempted from a proposed ban on nuclear imports, even though Tehran could someday use the facility to acquire plutonium for weapons. Next, European governments sponsoring the resolution were forced to drop the proposed travel ban — the only measure left that might have caused the mullahs some pain. Meanwhile, the administration agreed to support membership in the World Trade Organization for Russia, a concession Moscow made clear was necessary to obtain its vote.
»Having surrendered on almost every point, European ambassadors announced that the Security Council would vote yesterday. But Russian ambassador Vitaly Churkin said he still wasn't ready. Some reports said he was seeking to water down the proposed freeze on foreign assets of companies directly connected to the nuclear program. Or maybe he was just demonstrating — again — that Russia can and will hold the Security Council hostage.
»The result of this cynical policy is that any U.N. resolution against Iran will be a pyrrhic victory for the United States. The message to Tehran is not that it faces isolation or economic ruin if it fails to respect the Security Council's order; it is that it need not fear sanctions. Hard-liners in Tehran who have been saying this all along, such as President Mahmoud Ahmadinejad, will be vindicated.
«Russia will look like a world power; Mr. Putin will have more reason to strut. And the Bush administration, which has not dared even to complain in public about Russia's obstructionism, will look foolish. In fact, Mr. Bush has allowed a vital U.S. interest to be undermined by a government and a leader he should have ceased to coddle long ago.»
• Clemons est plus fin. Il a compris qu’aujourd’hui, la “légitimité” internationale se mesure à la netteté avec laquelle on contre et on abaisse les prétentions américanistes. C’est le pur produit des erreurs US, et de la folle politique conduite depuis 2001. Le responsable est nettement désigné : Washington et rien d’autre.
«While I never believed that the sanctions measure being prepared by the UN Security Council against Iran would have had much effect on Iran, “losing” too many of these initiatives in which the U.S. has invested in — particularly ones that mostly have symbolic significance — become benchmarks for America's declining influence and the rise of “others.”
»In this case, the rising power is Russia, which is clearly back big time in the diplomatic game.
»What many Americans fail to understand, is that George W. Bush's swaggering pugnaciousness and invasion of Iraq justified by the president with contrived and false excuses made much of the world very, very angry with us. That anger has been measured by the well known Pew Global Attitudes Project but by others as well.
»While Bush scoffed at this global reaction, it has since hardened into power strategies ¬— and global leaders know that they can achieve greater legitimacy at home now by thwarting American preferences — like in the latest UN sanctions against Iran.»
Nous avons toujours pensé que l’affaire iranienne était surtout intéressante par ce qu’elle montrait de la variation des rapports de puissance et des rapports tout court entre les soi-disant “alliés”, ou soi-disant représentants de la “communauté internationale”, qui entendent régler selon des règles et des traités internationaux qui les arrangent le comportement de l’Iran.
En l’occurrence, le facteur principal de l’équation dans l’évolution du camp “allié” face à l’Iran, c’est bien entendu le statut de la puissance américaniste. Ce qu’ont montré le vote de l’ONU et les tractations qui ont précédé, a moins à voir avec les relations de la Russie et des USA et le rapport de leurs deux puissances, au contraire de ce qu’en dit le Post. Nous voulons dire par là que l’équation n’est pas aussi simple que la substitution des USA par la Russie. La Russie a joué dans ce vote un rôle essentiel, elle en jouera de moins essentiels dans d’autres votes où pourtant l’effondrement de l’influence US apparaîtra ; pour l’instant, il est vrai que la Russie est la puissance qui a pris le mieux, et le plus résolument, la mesure de l’effacement américaniste. Quoi qu’il en soit, ce qui importe est bien la position de faiblesse des USA durant cet épisode diplomatique.
La psychologie joue un rôle fondamental. Dans ses rapports avec la Russie si on les juge encore assez proches de ce qu’ils furent pendant la Guerre froide, l’Amérique conserve l’essentiel de sa puissance. (Il s’agit de sa puissance stratégique, — de sa capacité nucléaire comme de ses systèmes de projection de puissance stratégique comme les sous-marins, les porte-avions ou les capacités spatiales.) Pourtant, il y a un effacement américaniste, qui implique de facto une reconnaissance au moins implicite, au moins inconsciente, de l’affaiblissement de leur puissance par les USA. La reconnaissance de cet affaiblissement n’est donc pas spécifique aux rapports avec la Russie. Elle jouerait, et elle joue d’ailleurs, dans les rapports avec d’autres pays beaucoup moins puissants. (Des sources diplomatiques témoignent par exemple de la rebuffade essuyée par les USA lors de la récente session annuelle de l’OSCE. Les USA voulaient un vote sur un article concernant le respect des droits de l’homme dans certaines situations. Cette proposition a été écartée d’une façon catégorique par plusieurs pays des confins asiatiques de l’Europe, — des pays détachés de l’ex-URSS en 1989-91. D’autre part, la présidence belge a également refusé une disposition que les USA voulaient voir incluse dans la résolution finale de cette réunion. On voit qu’il s’agit de pays sans commune mesure avec la Russie, du point de vue de la puissance. Ces événements anecdotiques mesurent effectivement l’évolution US.)
Il est important d’observer que les USA n’ont pas subi un tel effondrement psychologique avec le Viet-nâm, même s’ils ont connu une crise profonde. Ils ont eu la sensation de voir leur supériorité stratégique menacée. Ils ont connu des tensions intérieures bien identifiées, lors d’événements politiques (le Watergate), sociaux (la révolte noire) ou socio-culturels (les troubles du monde étudiant). En aucune façon, ils n’ont connu cette espèce d’affaiblissement de la psychologie, — peut-être mieux défini par le terme d’“affaissement de la psychologie”, qui les pousse à céder de plus en plus aux ripostes et aux résistances, à proposer leurs exigences avec de moins en moins de conviction, à retraiter d’eux-mêmes comme s’ils ne se reconnaissaient plus aptes à résister. C’est de l’intérieur, du cœur de leur psychologie, que vient l’affaiblissement/l’affaissement américaniste. Bien évidemment, il s’agit d’une conséquence directe de l’idéologie virtualiste suivie par la direction US, consistant à proposer des situations fictives (notamment de puissance et de perspectives d’affirmation de puissance) et à y croire elle-même. Ce phénomène est bien mis en évidence par le fait que, dans cet épisode onusien, ce sont d’abord les commentateurs US qui ont relevé cette faiblesse de leur pays, et non ceux qui l’ont observée.
Cette situation est particulièrement dangereuse. Elle n’implique aucun jugement d’une certaine lucidité sur soi-même, comme ce fut le cas lors du Viet-nâm, dans les années de recul qui suivirent. Au contraire, des idées comme la relance de la bataille en Irak par GW Bush ne sont pas nécessairement condamnées, elles sont même acceptées, alors qu’elles impliquent une conviction concernant la puissance américaniste qui n’a plus aucun fondement. L’affaissement psychologique n’implique pas la lucidité du jugement mais l’affaiblissement de la volonté tandis que continuent à être entretenues des convictions concernant cette volonté, ces convictions devenant des illusions, ces illusions devenant de plus en plus trompeuses.