A mi-course, la mirobolante présidence européenne de Blair commence à agacer

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A mi-course, la mirobolante présidence européenne de Blair commence à agacer


24 septembre 2005 — Tony Blair, vainqueur de justesse (élections) au Royaume-Uni début mai et réduit à une position politique chancelante ; Tony Blair au zénith du monde médiatique fin juin, après le référendum français et à l’entame d’une présidence UE qui devait transformer l’Europe comme les ouragans du Golfe du Mexique transforment les Etats-Unis ; Tony Blair qui, en septembre, exaspère son monde devant le vide sidéral de la présidence britannique de l’UE à mi-parcours. (Nous avons déjà signalé la montée de cet agacement.) La fortune est changeante. Nous sommes à l’ère médiatique, où le virtualisme tente régulièrement de faire baisser la tête à la réalité têtue. La réalité accepte de moins en moins d’en rabattre. Comme les ouragans du Golfe, elle ne cesse plus de redresser la tête, de plus en plus vite et de plus en plus assurément.

Il y a une troublante similitude entre la révélation du véritable état des Etats-Unis, super-puissance en papier d’emballage un peu gras, et le destin du Premier ministre britannique, apparaissant de plus en plus comme un vulgaire intrigant attaché à des puissances d’argent et à des rêveries surannées, et espérant les millions de dollars du système (conférences, édition, consultance à Carlyle & compagnie) lorsque sonnera l’heure de la pension. Blair rate tout, conformément à l’exact contraire (le décodage est facile) des analyses éditoriales de la presse bien-pensante; il arrive même à rater Merkel, qu’il espérait marier à Sarkozy, lui-même (Blair) tenant le rôle du beau-père inspirateur installant le nouveau couple à la tête de son entreprise européenne.

William Pfaff, au sommet de sa forme, nous rappelle ironiquement l’arrangement nuptial rapidement fagoté par beau-papa Blair début juin, lors de la visite à Paris d’une Merkel déjà installée à la place de Schröder, avec une conférence de presse restée fameuse, — “en couple” avec Sarkozy : « Sarkozy is a man of inexhaustible energy whose insolent confrontation with Chirac remains just, but only just, within the limits of the formal courtesies of French political life. Merkel is a retiring and conscientious pastor's daughter, a scientist by training. They are an incongruous couple. The allure of the shared press conference was that European, and especially British and American, press and politicians were fascinated by the notion that Merkel and Sarkozy would both win their elections and join Prime Minister Tony Blair of Britain in a new European triumvirate of free-market economies and pro-American governments. »

D’autres s’occupent de faire le bilan à mi-chemin de la mirobolante présidence européenne de Tony Blair, l’homme qui devait transformer l’Europe. Le venimeux Giscard chuinte à la BBC que la présidence britannique « achieved very little » jusqu’ici, ajoutant, concession qui rend Blair encore plus pathétique d’impuissance, « that the lack of achievement was “not due to the British Government” but to “the system” ». Quelles que soient les excuses et même si l’on sait que la présidence n’est pas finie, The Independent (le 23 septembre) n’attend pas pour régler son compte à Tony Blair :

« It is now only four months since the French and Dutch rejections of the European constitution gave rise to a great burst of Anglo-fervour. Britain's time, it was confidently declared, had come round at last. Even the most sclerotic of old Europe saw the superiority of policies. New leaders in France and Germany viewed things our way and the country's turn as president of the European Council would be one of unparalleled advantage.

» Well, the six-month presidency has started not with a shout of acclamation but a chorus of disapproval if not outright censure. When the former French president, Valéry Giscard d'Estaing, accused Britain of achieving “very little” so far to move things forward in Europe, he was voicing a common complaint in the Brussels commission and the foreign ministries of Europe. Despite the brave talk of summer, Britain appears to have done remarkably little to progress even the most technical of meetings... »


Comme on l’avait déjà pressenti, le plus calamiteux dans ce torrent de critiques anti-blairistes qui prennent l’allure d’un cyclone Katrina-Rita, c’est qu’on trouve au premier rang des râleurs les amis privilégiés d’Europe de l’Est qui formaient l’essentiel de la géniale tactique anglo-saxonne. La “New Europe” en a assez d’attendre les jetons de sa fidèle allégeance morale au projet transatlantique, et elle le dit. Avec la désertion de l’électorat allemand et le visage tuméfié de l’ex-future-chancelière, cela fait beaucoup. Le pauvre Blair chancelle.

The Independent met en évidence l’impatience de ceux qui prennent l’allure de faux-amis, et ne se contentent plus de promesses: « Behind the scenes the UK has been holding bilateral talks with other governments on the EU financing deal for 2007-13 and the British plan is to come up with a proposal in November, concentrating negotiations into the final weeks of the presidency culminating in a December summit.

» But several ex-Communist countries have made it clear they will raise the issue at Hampton Court unless they are satisfied it is being given urgent attention. The new member states stand to gain most from the EU budget and will lose most if there is no deal on funding. »


L’histoire, ou ce qui en fait fonction, a, ces derniers temps, la caractéristique jubilatoire d’accélérer sans vergogne. Par ces temps incontrôlables, les héros empaillés du virtualisme, qui sont déjà de seconde main, ne font pas deux mois. Blair, qui n’a cessé de découvrir sa personnalité étonnante en manipulant sans vergogne l’honneur de sa fonction et le statut de la nation qu’il est censé conduire, ne parvient plus à nous en faire croire que pendant quelques semaines. Les fonctionnaires européens d’origine britannique passent leur temps, en ce moment, en réunions discrètes d’urgence avec leurs “répondants” du Foreign Office, pour trouver quelque chose sur laquelle on puisse coller l’étiquette : “réalisé sous la présidence britannique de juillet-décembre 2005”. La politique mirobolante du virtualisme est aussi solide qu’une digue installée autour de la Nouvelle Orléans pour nous protéger des flots déchaînés de l’ironie continentale.

Il n’y a qu’à se caler confortablement dans son fauteuil pour suivre le spectacle. Il n’y a qu’à laisser faire, ce qui est effectivement leur doctrine. L’arrogance du vieux monde-postmoderne anglo-saxon et hyper-libéral accélère l’effondrement du montage. La vieillesse de ce monde-postmoderne ne cesse plus de nous intriguer.

Mais à quelque chose escroquerie est bonne. Il faudra bien qu’ils fassent quelque chose, sous peine de crouler sous le ridicule. Les optimistes, dont nous sommes par instants et par défaut, pensent qu’il est possible que les Britanniques de Blair tenteront de nous sortir un lapin de leur chapeau usagé, en fin de parcours, là où ils peuvent encore quelque chose, — après avoir constaté qu’ils ne peuvent rien là où ils nous avaient promis monts et merveilles. Le lapin pourrait être intéressant.