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31 mars 2008 — La situation est si catastrophique au parti démocrate US qu’on reparle de l’“option” Al Gore comme candidat démocrate, – option déjà envisagée à plusieurs reprises, et de différentes façons. Le Telegraph développe cette possibilité dans son édition du dimanche (Sunday Telegraph»), hier. L’hypothèse est à nouveau évoquée parce que la situation des primaires démocrates reste pour l’instant bloquée entre les deux candidats (Clinton a confirmé qu’elle entendait aller jusqu’au bout: «“I know there are some people who want to shut this down and I think they are wrong,” Clinton told the Washington Post. “I have no intention of stopping until we finish what we started and until we see what happens in the next 10 contests.”»)
Un point précis impressionnant, qui donne du crédit à l’hypothèse Al Gore, est le fait, signalé par le journal, qu’un quart à un tiers des électeurs de Clinton et de Obama déclarent qu'ils ne voteront pas pour l’autre candidat si leur favori ne reçoit pas l’investiture du parti démocrate. Si ces évaluations sont justes et se confirment, une telle situation rendrait quasiment impossible une victoire démocrate sur McCain.
«Plans for Al Gore to take the Democratic presidential nomination as the sav of a bitterly divided party are being actively discussed by senior figures and aides to the former vice-president.
»The bloody civil war between Hillary Clinton and Barack Obama has left many Democrats convinced that neither can deliver a knockout blow to the other and that both have been so damaged that they risk losing November's election to the Republican nominee, John McCain.
»Former aides to Al Gore now believe he could emerge as a compromise candidate.
»Former Gore aides now believe he could emerge as a compromise candidate acceptable to both camps at the party's convention in Denver during the last week of August.
»Two former Gore campaign officials have told The Sunday Telegraph that a scenario first mapped out by members of Mr Gore's inner circle last May now has a sporting chance of coming true.
»Mr Gore, who was Bill Clinton's vice-president and has since won a Nobel Peace Prize and an Oscar for his work on green issues, remains an influential figure eight years after he beat George W Bush in the popular vote but lost the White House after the Florida recount fiasco.
»The opening has emerged because opinion polls show Mr McCain stretching his lead over both Mr Obama and Mrs Clinton, whose campaigns are engaged in a daily cycle of attacks, character assassination and mutual recriminations on religion, race and the economy.
»Between a quarter and a third of Obama and Clinton supporters say that they ould not now vote for the other in November.»
L’idée d’une nomination de Gore (re)commence à être publiquement discutée depuis que Joe Klein, de Newsweek, a évoqué cette hypothèse la semaine dernière. Cette hypothèse pourrait se concrétiser bien sûr si aucun des deux candidats actuels ne parvenait à réunir les grands électeurs nécessaires à une désignation automatique, – ce qui paraît aujourd’hui très difficile, voire impossible. Il pourrait alors y avoir une désignation de Gore par les “super-délégués” (personnalités du parti) à la Convention de Denver en août. L’hypothèse envisage également qu’il y aurait un “ticket” Gore-Clinton ou Gore-Obama, selon les résultats obtenus par les deux actuels candidats.
La réapparition de l’hypothèse Gore pour une nomination démocrate est certainement une indication précise de l’état de crise à l’intérieur de ce parti démocrate, du à la concurrence fratricide Clinton-Obama. On parle effectivement de “concurrence fratricide” dans la mesure où les différences entre Clinton et Obama, qui pouvaient être distinguées au début de la campagne, ont tendu ces dernières semaines à s’estomper au profit d’un affrontement polémique, portant sur des rumeurs, des coups bas, etc., et plus rien d’essentiel. De même, le courant populaire évident en janvier-février, notamment en faveur d’Obama, semble avoir perdu de sa vigueur, sinon s’être tari justement à cause de cet affrontement. Cela rend d’autant plus aléatoire une désignation décisive d’un des deux à Denver, et encore plus une campagne triomphale contre McCain.
Cela considéré, une candidature Gore pour le parti démocrate serait un acte particulièrement déstabilisant. Gore n’a aucun programme, il ne s’est engagé sur rien, il n’est lié par aucune promesse ni rien de semblable. Une campagne Gore serait particulièrement impliquée dans les questions d’actualité les plus pressantes, celles qui ont été le plus possibles écartées de la rhétorique des candidats ces dernières semaines (outre la question de la crise climatique favorite de Gore qui tient un rôle secondaire dans la campagne, on pense surtout à la crise économique et à la crise irakienne). Toutes ces caractéristiques mesurent a contrario le désarroi de la direction du parti car une telle hypothèse de nomination a en soi un caractère certain d’incontrôlabilité qui n’est pas du goût du système en général.
On pourrait aussi y voir une nouvelle possibilité pour que le “monde réel” entre dans la campagne (même si, bien sûr, une telle nomination ne serait pas faite dans ce but, – nous parlons de la réalité des choses et pas des intentions et des arrière-pensées des uns et des autres). Un Gore devenant un candidat démocrate devrait tendre vers une tentative d’être ce qui se rapproche le plus d’un “candidat de rupture” dans les limites que le système impose au processus. Encore une fois, nous ne décrivons pas une tactique construite mais une nécessité d’opportunité contenu dans la logique et développée par la dynamique d’une telle candidature. La démarche de Gore devrait être de tenter de récupérer l’enthousiasme de départ pour la campagne démocrate des primaires, notamment autour d’Obama. On comprend alors que cette logique conduit à chercher à se rapprocher d’une “candidature de rupture”.
La campagne présidentielle US est décidément, cette année, un étrange animal. Elle ne cesse d’évoluer entre un élan représentant une pression populaire, représentant les événements extérieurs qui pressent affreusement, et qui bientôt s’affaisse à cause de raisons diverses; puis à nouveau un élan pour tenter de retrouver cette veine, à nouveau ce même processus... L’hypothèse Gore, qui n’est vraiment qu’une hypothèse, qui reste largement à trouver un commencement de réalisation, apparaîtrait effectivement comme une nouvelle tentative de relancer l’élan à nouveau perdu.
La direction démocrate se trouve placée devant un problème paradoxal d’une extrême difficulté. Le parti démocrate est naturellement le parti de la victoire en novembre prochain, pour rompre avec la catastrophique administration républicaine GW Bush; par conséquent il est naturellement le parti de la rupture et de l’enthousiasme contre les huit années qui viennent de s’écrouler. Pourtant, depuis 2006 (élections mid-term), le même parti démocrate n’a cessé d’étouffer et de décevoir ces poussées en sa faveur, simplement parce qu’il fait partie du système et qu’il craint d’être emporté par les poussées populaires qui sont par ailleurs la recette de sa victoire. Il arrive au point de non-retour, au moment où il va falloir se décider alors que rien dans la situation ne permet une résolution de la situation par la seule mécanique des primaires.
Il va falloir que le parti démocrate se décide. L’hypothèse Gore est peut-être une ouverture dans ce sens, une tentative de plus. Aucune raison que le succès (et d’abord le succès d’une tentative d’imposer Gore comme candidat) soit au rendez-vous, après tant d’échecs. Mais dire cela, c’est céder à la raison. On a déjà vu amplement que notre époque est loin de répondre à la seule raison.