A propos de la France devenue atlantiste, démonstration par le ministre avec l'aide de “la force des choses”

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Depuis l’élection de Sarkozy, le bruit d’une France devenue atlantiste ne cesse de faire le tour des rédactions et des dîners en ville. Chacun en veut sa part. Ainsi des dirigeants de deux pays d’Europe de l’Est, de l’UE et de l'OTAN, le président polonais Lech Kaczynski et le Premier ministre tchèque Mirek Topolanek, qui viennent lundi à Paris, la veille du départ de Sarkozy à Moscou. Comme l’annonce l’International Herald Tribune aujourd’hui, on parlera des anti-missiles US en Europe et des questions d’énergie, deux problèmes où la Russie est impliquée.

La chose est vue par l’IHT comme un signe du changement en question («The meetings will almost certainly raise eyebrows in Moscow at a time when French foreign policy appears to be shifting from the views of Sarkozy's predecessor, Jacques Chirac, shared with successive Russian leaders, toward a warming of relations with East European countries.») Les deux visiteurs partagent évidemment ce point de vue, notamment le Polonais qui vient avec sa petite valise bien remplie d'exigences amicales:

«Kaczysnki, who has had strained relations with Russia and Germany since taking office in January 2006, intends to seek French support in three main areas, according to Polish officials. They are French backing in the U.S. missile defense plan, Georgia's ambitions to join the North Atlantic Treaty Organization, and an 18-month dispute in which Moscow banned meat imports from Poland.»

Voire… En même temps que l’IHT publie cette analyse du Café du Commerce, où on trouve notamment la précision exotique que Paris se rapprocherait de Varsovie, à l’invite de Varsovie, pour doubler l’Allemagne («With Sarkozy seeking to establish himself as the new leader of Europe, challenging the position of the German chancellor, Angela Merkel, Poland in particular wants to use the visit Monday to establish much closer contact with Paris»), — en même temps donc, le ministre de la défense Morin donne une interview à Reuters (reprise le 3 octobre par Defense News). Le ministre parle notamment de la demande d’adhésion de la Georgie à l’OTAN, pour laquelle les Polonais veulent le soutien de Paris:

«French Defense Minister Herve Morin said Oct. 3 he opposed Georgia joining the NATO alliance if it would antagonize neighboring Russia. In an interview with Reuters television, Morin also dismissed speculation that France under new President Nicolas Sarkozy was preparing a swift return to NATO’s military structures after an absence of more than 40 years.

»Morin said it was important Russia did not feel encircled but did not say whether other NATO members agreed with the French view, which if adopted by the alliance would effectively give Moscow a say in NATO’s eastward expansion.

»“I think that any NATO enlargement eastwards, towards the Caucasus ... must not be seen an aggression as regards Russia,” Morin said in an interview in his defense ministry office.

»“Despite all the affection and friendship we have for the Georgians ... and I’ve said this to the head of the Georgian government, it can only happen if it is not seen as an additional threat with regards to Russia,” he said.»

Notons bien ceci: c’est la première fois qu’un ministre d’un membre aussi important de l’OTAN qu’est la France dit publiquement qu’une adhésion à l’OTAN dépend d’une manière fondamentale du sentiment de la Russie. C’est ce qu’on appelle un “droit de regard de la Russie sur l’OTAN”, idée qui frôle le sacrilège pour les intégristes otaniens et atlantistes. En général, cette sorte de réserve s’exprime en privé («While publicly the alliance insists a country’s drive for membership cannot be held hostage by Russia, some members privately acknowledge that any decision would have at least to take into account any likely harm to ties with Moscow.») Morin a donc établi une sorte de jurisprudence qui ne classe pas précisément la France dans le camp atlantiste, — même du temps de Chirac, on n’osait pas dire publiquement cette sorte de chose.

On voit mal, après qu’un de ses ministres ait développé cette logique pour l’adhésion de la Georgie à l’OTAN, comment la France pourrait ne pas monter une certaine sensibilité à la même logique pour le réseau anti-missiles US, qu’on pourrait juger avec de bonnes raisons comme bien plus menaçant pour la Russie que le Georgie. Paris donnera-t-il comme condition à son soutien au réseau anti-missiles que la Russie ne se sente pas “menacée”? Cela nous promet de beaux débats.

La “démonstration” dont nous parlons est la suivante. Au plus la France se laisser enfermer dans une image d’atlantiste, — et la propagande anglo-saxonne s’y entend dans cette sorte d’exercice, — au plus elle se trouve et se trouvera obligée de donner des coups de barre brutaux dans l’autre sens pour en revenir à ses intérêts et à ses conceptions, et en aviser le monde aux écoutes. (Cela s’appelle “remettre les pendules à l’heure”.) Nous ignorons si c’est une diplomatie très avisée; la seule chose qui nous paraît évidente, c’est l’existence de ce que de Gaulle nommait “la force des choses”, qui crée des obligations auxquelles nul n’échappe.


Mis en ligne le 4 octobre 2007 à 10H03