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1949Guy Mettan, journaliste, écrivain et homme politique suisse, ancien rédacteur en chef de La Tribune de Genève, député et ancien président du Grand Conseil de Genève, publie Russie-Occident, une guerre de mille ans – La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne, éditions des Syrtes. (Le livre est en vente en France depuis le 13 mai, après une diffusion initiale en Suisse en avril.) Nous publions ci-dessous une interview de Guy Mettan, faite par RT France, le 16 mai 2015.
Mettan distingue plusieurs courants russophobes : le courant religieux, fondamental, caractérisé par la concurrence et le schisme entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident à partir de Charlemagne, avec notamment comme point central la chute de Constantinople, caractérisé par les relations difficiles entre les chrétiens issus d’Occident (la catholicisme, ensuite renforcé par le protestantisme pour ce cas) et les chrétiens orthodoxes. Cet affrontement est marqué, du côté occidental, essentiellement par une connivence entre Rome et l’“Empire” (le Saint-Empire romain-germanique), contre l’Église d’Orient. Mettan examine également quatre russophobies “nationales”, la française, l’anglaise, l’allemande et l’américaine.
Nous sommes en train de lire le livre et reviendrons sur le sujet, qui mérite beaucoup d’attention et d’appréciation. Il nous semble d’ores et déjà qu’il y a beaucoup de choses à dire, non sur “la russophobie” en général, mais sur les différentes “russophobies” que propose l’auteur, qui sont de natures très différentes et peuvent difficilement se constituer comme les parties indifférenciées d’un seul tout. Il est également évident, comme la chose est suggérée dans l’interview, que les “russophobies” révèlent au moins autant le malaise de ceux qui la manifestent que l’objet de cette/ces phobie(s). Dans l’interview, Mettan parle du malaise de l’Europe comme une des clefs de la russophobie actuelle ; nous avancerions plus encore l’hypothèse, en englobant la russophobie dans un mouvement général du bloc BAO, qu’il s’agit du malaise du Système en général, de sa crise d’effondrement, qui s’exprime dans cette hostilité fondamentale... Voici ce que nous disions de ce cas de la russophobie actuelle, dans notre texte du 14 mai 2015 :
« ... Car enfin, comment voudrait-on dompter l’extraordinaire russophobie qui est le caractère-Système (le caractère imposé par le Système) qui s’impose comme un terrifiant automatisme à toutes les psychologies affaiblies impliquées, abaissant d’autant des esprits déjà chargés d’une inculture cultivée avec minutie par des structures d’encadrement installées dans les pays du bloc BAO. Cela paraît un développement impossible, quelle que soit telle ou telle perspective diplomatique ; que peut faire ce qu’on nommerait presque par dérision une sorte d’“esprit de Sotchi” contre ce qu’on pourrait définir avec plus d’arguments et d’éditoriaux pour nous conforter comme une sorte d’“esprit du 11 janvier” internationalisé et adapté, réunissant tous les anathèmes antirusses qui rythment et encadrent nos pensées-psalmodiées. C’est là un immense obstacle, qui mesure la difficulté sinon l’impossibilité de quelque concrétisation que ce soit de l’avancement fait à Sotchi, et nous fait diverger de l’avis de Bryan MacDonald sur la crise ukrainienne réduite au “moment-Warhol” de juste-15 minutes. Ce n’est pas souci glorieux d’avoir raison que nous écrivons cela mais par constat malheureux qu’il a sans doute certainement tort d’annoncer la fin de la crise ukrainienne.
» Plus encore, nous pensons que le cas est d’autant plus puissant que cette “russophobie” dont nous parlons est d’une substance très particulière, dépassant les explications historiques qu’on peut avancer, d’une substance particulièrement insaisissable parce qu’elle ne peut s’expliquer rationnellement, – même par des constats d’irrationalité qui seraient identifiés et examinés rationnellement. Il existe, pour pousser à décrire cette russophobie plutôt comme une sorte d’affectivisme extrême que comme un sentiment structuré par des faits et des jugements, une sorte de pression permanente organisant une paralysie inconsciente de l’esprit, instituant des bornes dans les constats, imposant à nos psychologies épuisées un filtre qui leur interdit certaines perceptions. La puissance de cette russophobie est une mesure de l’épuisement de notre civilisation : nous haïssons d’autant plus la Russie (et Poutine) que leur résistance (celle de la Russie et de Poutine) met en évidence la vanité des arguments civilisationnels qui devraient les convertir ou les balayer ; et cette vanité de nos arguments civilisationnels est l’exacte mesure de l’épuisement de notre civilisation qui ne peut se satisfaire de ce qu’elle est que si rien ne lui résiste explicitement ; parce que tout ce qui lui résiste explicitement est un miroir qui mesure son prodigieux effondrement (de notre civilisation). Cette posture est absolument imposée par un Système qui nous domine, qui ne peut désormais plus rien tolérer qui soit différent de lui, parce qu’aussitôt identifié comme résistance sans compromis.»
dedefensa.org
RT France : «Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre? »
Guy Mettan : « Bon, cela fait une quinzaine d’années que je m’intéresse beaucoup à l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident puisque j’ai eu la chance d’obtenir le passeport russe en 1998 et de devenir double national. A partir de ce moment, je me suis intéressé à la nature des relations entre la Russie et l’Occident. Plusieurs fois et à plusieurs reprises, j’avais été agacé par la manière dont la presse occidentale rendait compte de la Russie et couvrait les évènements qui avaient traits aux relations occidentalo-russes. Et puis lorsque la crise ukrainienne a éclatée, dès février 2014, j’ai vraiment été scandalisé par la manière dont mes collègues journalistes couvraient ces événements avec un biais systématiquement antirusse. C’est ce qui m’a motivé à écrire ce livre. »
RT France : « Votre livre parle de russophobie. Comment la définissez-vous? »
Guy Mettan : « La russophobie, c’est un sentiment antirusse qu’on retrouve très largement en Occident. C’est d’ailleurs propre à l’Europe et aux Etats-Unis. Il n’y a pas de russophobie en Chine ou au Japon et dans les autres pays du monde. Pour moi, c’est une forme de racisme. Je crois qu’il n’y a pas d’autres mots pour l’expliquer. Cela tient à l’émergence de préjugés, de clichés qui ont pris naissance à partir du schisme entre l’orthodoxie et le catholicisme. C’est pour ça que mon livre s’appelle “Une guerre de mille ans”. Ici, en Occident, on pense que le schisme a été créé par les Orientaux, ce qui n’est pas vrai du tout, c’est une falsification de l’histoire. Reste qu’à partir de ce schisme, se sont élaborés toute une série de préjugés contre d’abord, le monde orthodoxe, le monde grec et ensuite contre la Russie, à partir de la chute de Constantinople et que la Russie a décidé de reprendre l’héritage de Constantinople.
» Le récit des voyageurs est devenu très systématiquement hostile la Russie. Et à partir du XVIIIème siècle, quand la Russie est apparue comme une puissance européenne, comme une puissance importante, cette russophobie s’est développée parce que l’expansion coloniale de l’Europe, qui a commencé à partir du 18 siècle, s’est heurtée à l’existence de la Russie, de cette puissance russe. C’est à partir de ce moment que la russophobie moderne a pris naissance en Europe occidentale, puis aux Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale. »
RT France : « De quoi cette russophobie se nourrit-elle? »
Guy Mettan : « Aujourd’hui la russophobie est devenue essentiellement américaine parce qu’à partir de 1945, ce sont les Etats-Unis qui ont pris le relais des russophobies existantes. La française qui s’est développée à partir du 18 siècle avec Napoléon. La russophobie anglaise a été très forte tout au long du XIXème siècle, avec la rivalité pour le contrôle de l’Asie. Les impérialistes anglais voulaient imposer leur domination sur l’Asie contre la Russie. Et puis la russophobie allemande, qui a commencé vers la fin du 19 siècle lorsque les Allemands ont développé l’idée de “Lebensraum”, d’espace vital, à l’Est. Mais une fois le nazisme défait en 1945, les Américains se sont retournés contre leur allié russe, comme l’avaient d’ailleurs fait les Anglais en 1815 aussitôt après la victoire acquise contre Napoléon.
» Les Américains se sont retournés contre leur allié russe de la veille et ont développé une russophobie qui a toujours cours aujourd’hui. Elle a d’abord été liée à la lutte contre le communisme mais malgré la chute du communisme et la fin de l’Union soviétique en 1991, cette russophobie a continué de plus belle à partir de la fin des années 1990-début des années 2000. Elle se compose de deux formes : une forme idéologique autour de la soi-disant lutte pour la démocratie et les droits de l’Homme et puis, naturellement, une rivalité géopolitique parce que les Américains ne supportent pas que d’autres puissances contestent l’hégémonie américaine. »
RT France : « Vous dites que l’Europe n’a pas “d’identité constituée” contrairement à la Russie. Qu’est-ce que ça veut dire? »
Guy Mettan : « Cela veut dire que l’Union européenne est une construction qui est difficile, qui est laborieuse, qui connaît beaucoup d’obstacles, beaucoup de revers, surtout depuis une quinzaine d’années avec l’intégration des pays d’Europe de l’Est. Mais cette Union européenne n’a pas d’identité propre. Et avec l’extension vers l’Europe de l’Est, les nouveaux venus, c’est-à-dire la Pologne, la Roumanie, les Pays baltes, en fait, les pays qui étaient autrefois liés à la Russie soviétique, ont éprouvé le besoin de se créer une nouvelle identité européenne. Et quoi de plus facile pour créer cette identité qui est au fond difficile à faire, quoi de plus facile que de s’inventer un ennemi, de s’inventer un adversaire. C’est ce que je dis dans mon livre. Pour ces nouveaux venus, la Russie fait office d’ennemi idéal, d’épouvantail, de repoussoir qui justement favorise cette intégration européenne. Cela leur permet aussi d’obtenir un soutien auprès des lobbies militaire et pétrolier américains, en stigmatisant la Russie comme une puissance hostile à l’Europe, ce qu’elle n’est évidemment pas. Ce que je montre dans mon livre, c’est qu’on se fabrique artificiellement un ennemi russe pour, au fond, pouvoir se créer une identité européenne artificielle. »
RT France : « Quel accueil votre livre a-t-il reçu? »
Guy Mettan : « Cela a été une très bonne surprise, parce que je m’attendais évidemment à l’hostilité de mes confrères journalistes que je critique dans ce livre. Et au contraire, la presse l’a plutôt bien accueilli, les critiques sont largement favorables et puis l’accueil du public est très, très positif. C’est vraiment pour moi un motif de satisfaction. J’avoue que j’avais quelques craintes, et bien pas du tout, je m’aperçois que le grand public est fatigué de la façon complétement biaisée dont les médias occidentaux dominants rapportent les événements qui ont trait à la Russie et qu’il cherche un autre point de vue. »
RT-France & Guy Mettan
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