A propos du FB-22extrait de de defensa, Volume 17, n°18, rubrique Journal

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A propos du FB-22 — extrait de de defensa, Volume 17, n°18, rubrique Journal

Nous publions un extrait de la rubrique Journal de la Lettre d'Analyse de defensa, Volume 17, n°18 du 10 juin 2002. Cet extrait concerne une possible version projetée de bombardement du chasseur F-22, le FB-22. Cette éventuelle évolution du F-22 est intéressante, notamment dans la mesure de ses implications vis-à-vis du JSF.


"Son of the B-2" ?

L'étrange destin du F-22 Raptor, proposé comme bombardier (FB-22) par Lockheed Martin : comment se sauver soi-même en se contredisant

Le journaliste Bill Sweetman publie dans Jane's Defence Weekly un article présentant le projet auquel Lockheed Martin (LM) travaillerait, pour le proposer à l'USAF : une version bombardement du F-22, désigné FB-22 (B pour Bomber, le F désignant la catégorie Fighter initiale du F-22). Sweetman indique que le FB-22 est déjà largement plus qu'un projet, qu'il s'agit d'une proposition extrêmement détaillée d'une version très modifiée du F-22 : ailes delta, d'autres modifications de structures avec la disparition des plans horizontaux arrières et peut-être des dérives, par conséquent une aérodynamique nouvelle propre à doubler avec l'emport de carburant supplémentaire l'autonomie du F-22, et à en faire effectivement un bombardier stratégique de la catégorie léger/moyen. L'idée du FB-22 a gagné beaucoup de terrain avec les enseignements de la guerre d'Afghanistan (voir dd&e, Vol17, n<198>06, rubrique Contexte), notamment les très grandes difficultés pour l'USAF de disposer de bases d'attaque rapprochées pour un théâtre d'opération de cette sorte. Sweetman estime que cette idée de LM serait propre à satisfaire ceux qui, au Congrès, pressaient l'USAF de commander des B-2 supplémentaires, en leur offrant l'alternative d'un autre bombardier. Le FB-22 devrait également aller dans le sens des conceptions du secrétaire à la défense Rumsfeld, particulièrement des conceptions de sa réforme qui mettent en avant l'idée que les systèmes d'armes de la Guerre froide sont dépassés, et, parmi ceux-ci, les systèmes d'avions tactiques pilotés. Le FB-22 offre une alternative aux avions tactiques, avec les avantages du bombardier à capacité stratégique qui s'est révélé comme un outil d'intervention essentiel durant la campagne en Afghanistan. Enfin, et peut-être est-ce l'argument essentiel pour l'USAF, le FB-22 pourrait être le sauveur du F-22, dont les projections de production ne cessent de fondre devant l'évolution des coûts (des 750 exemplaires initiaux, on est passé à 445 puis à 339 et il serait maintenant question de descendre à 180, le prix étant passé, à mesure de cette évolution et aussi comme cause de cette évolution, de $37 millions à $250 millions l'exemplaire si la série descend à 180). Sweetman, qui semble tenir ses sources de LM, indique que les coûts de développement du FB-22 seraient de $5-$10 milliards. Sweetman n'indique pas le nombre d'exemplaires que LM pourrait envisager de proposer à l'USAF mais on peut supposer que le constructeur pourrait tenter de restaurer le chiffre initial de 750, avec un mélange de F-22 et de FB-22 (peut-être autour de 50-50, avec le nombre de F-22 ramené à 339 et le reste étant du FB-22). Effectivement, ces dernières semaines, et en complète contradiction avec les bruits selon lesquels le F-22 descendrait à 180 exemplaires, LM avait fait courir le bruit de la possibilité d'une hausse à une production de 750, avec la version air-air renforcée par une nouvelle version air-sol. Dans tous les cas on voit là, dans l'urgence, le concept du Raptor évoluer de façon radicale. L'USAF a toujours jalousement présenté son grand chasseur central comme un pur avion de &quot;domination aérienne&quot; (air dominance), qu'il n'était pas question de &quot;compromettre&quot; par des versions d'appui au sol. La même logique avait présidé à la conception du F-15, et la version d'appui (F-15E) n'était apparue que 15 ans après la version air-air (F-15A/F-15C). Cette fois, on se prépare à sauver l'avion central de domination aérienne en proposant la version de sa mission initiale dégradée vers l'appui des forces. La trouvaille est qu'il ne s'agit pas de faire du sous-F-22 en faisant simplement une dégradation du modèle initial, mais bien de lancer une autre famille, la FB-22, à partir du tronc central F-22. On reste dans la mission noble, la mission stratégique.

L'inévitable question si le FB-22 est confirmé : quel va être son effet sur le JSF ?

Dans son article, Sweetman aborde les possibles interférences du FB-22 sur le JSF, en notant : « Un problème est que, dans la logique d'une production du FB-22 lancée alors que celle du F-22 déclinera, ce développement interférerait avec celui du JSF. Quoiqu'il en soit, le FB-22 est le seul avion qui offre à l'USAF beaucoup plus d'autonomie et de charge d'emport que le JSF pour moins de $5-$10 milliards de développement et avant 2020. » Sweetman suggère alors que la meilleure politique de LM serait de proposer que le FB-22 soit confié à la compagnie qui construit les ailes du F-22 et a une expérience avec l'aile delta transsonique, c'est-à-dire Boeing. Ces dernières réflexions, si elles sont intéressantes, n'en nous laissent pas moins sur notre faim, du moins pour le cas particulièrement important des rapports du F-22/FB-22 avec le JSF. (Les réflexions de Sweetman ressemblent plus à des réflexions d'ingénieur, sur le fait de savoir qui sera le mieux qualifié pour développer le FB-22, qu'à des réflexions d'analyste spécialisé tentant de se ménager une approche politique à propos d'une importante question de programmation de ce système.) On observera plutôt que l'essentiel qu'apporte le FB-22, dans un contexte lui-même particulièrement tendu pour le JSF (réduction de la Navy, de l'USAF, rôle du JSF mis en cause par les enseignements d'Afghanistan), c'est d'apparaître comme une alternative au JSF bien séduisante pour l'USAF. Cela surviendrait, si effectivement le FB-22 était développé, à des moments délicats de tension, pour les deux programmes également : le F-22 Raptor est menacé depuis plusieurs années tandis que le JSF commence à connaître de graves difficultés. Nous ne nous trouvons pas, comme Sweetman semble le laisser supposer, dans une période d'abondance budgétaire (cela, malgré les apparences) qui permettrait à deux programmes aux missions finalement assez proches (mais avec l'avantage stratégique au FB-22), d'être développés ensemble. Au contraire, le FB-22 apparaît, du point de vue opérationnel, comme une solution plus intéressante, plus capable, moins onéreuse, pour résoudre les problèmes qui sont posés au JSF (d'ailleurs Sweetman note lui-même cet aspect des choses, curieusement sans en tirer de conséquences, lorsqu'il écrit que « le FB-22 est le seul avion qui offre à l'USAF beaucoup plus d'autonomie et de charge d'emport que le JSF pour moins de $5-$10 milliards de développement et avant 2020 »). C'est-à-dire qu'au contraire de ce que Sweetman semble supposer (trouver une réponse à la question de savoir comment parvenir à développer et à produire ensemble le JSF et le FB-22), la logique de la situation suggère que le FB-22 est évidemment la réponse à la question posée : si le programme est si séduisant et s'il a les capacités qu'on dit, il prendra la priorité par rapport au JSF, dans la production et dans la chronologie de production, voire dans le volume des commandes ; c'est-à-dire qu'il y a de fortes chances que LM se trouvera, si le FB-22 est accepté, devant une USAF désireuse de renforcer très vite ses capacités de frappes à longue distance, donc de donner la priorité au FB-22, et dans la nécessité de dégager des ressources supplémentaires, et de les trouver dans une réduction de ses commandes de JSF. Cette évolution sera d'autant plus logique et évidente que le FB-22 remplirait toutes les missions confiées au JSF, et les missions au-dessus des capacités du JSF. Le FB-22 est, pour l'USAF, un potentiel &quot;tueur de JSF&quot; rêvé.

Parmi les précédents qu'a connus l'USAF dans son histoire tumultueuse, le programme JSF ne ressemblerait-il pas plutôt au programme F-104 ?

Sweetman, s'en tenant toujours à un raisonnement d'ingénieur, compare le passage du F-22 au FB-22, avec l'adjonction d'ailes delta, au passage du F-16 au F-16XL (développement d'un programme F-16 expérimenté dans les années 1980 avec ailes delta et forte augmentation des capacités d'autonomie et de charges pour les missions de pénétration profonde ; finalement, ce fut le F-15E, version à autonomie allongée du F-15, qui l'emporta et le F-16XL resta à l'état de prototype). Ce jeu des analogies nous conduirait plutôt à faire un parallèle entre le F-22 et le F-111, ce dernier développé au départ comme avion USAF/Navy, bientôt développé pour la seule USAF comme chasseur de pénétration à long rayon d'action, puis développé en une version stratégique pour le Strategic Air Command dans une version de bombardement léger désignée FB-111. Cette réorientation du F-111, sous l'impulsion de l'USAF, vers des missions de plus en plus stratégiques, semble être la voie suivie si le F-22 est accompagné d'une version FB-22, et la seule solution de sauver le programme en un faisant un programme viable à plusieurs missions, et à orientation stratégique. L'USAF a aujourd'hui cette orientation stratégique. Elle sait que dans les nouvelles conditions qui se développent (guerre contre le terrorisme, théâtre d'action privilégié vers des pays lointains dans les zones d'Asie et du sous-continent indien), les nécessités d'intervention passent du tactique au stratégique, notamment à cause du manque de plate-forme fixes (bases) dans les zones considérées. Un moyen de verrouiller le programme F-22 est effectivement d'accentuer son orientation stratégique, qu'il a déjà dans sa fonction de chasseur de domination aérienne, et qu'il aura encore plus avec une version FB-22 de mission de bombardement de type stratégique. Si cette orientation de l'USAF se confirme, le JSF a de moins en moins sa place dans la programmation de l'USAF et son destin pourrait bien ressembler, par analogie, à celui du Lockheed F-104 Starfighter. Salué comme une merveille de technologie à sa sortie des usines Lockheed en 1954, notamment pour ses performances très élevées (vitesse de plus de Mach 2), le F-104 bénéficia d'une énorme publicité aux USA, qui prit bientôt une orientation très nette vers l'exportation. Dès 1956-57, des négociations avaient lieu avec divers pays alliés pour l'achat du F-104, effectivement vendu à un très grand nombre de nations (en Europe, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, etc, et divers autres pays hors de ce continent, dont le Japon, la Turquie, etc). Pendant ce temps, l'USAF prenait nettement et discrètement ses distances d'avec le F-104, jugé trop léger et trop peu puissant, au profit de chasseurs plus lourds, comme le F-105 et le F-106, puis le F-4. Finalement, la commande de l'USAF ne dépassa pas 300 exemplaires tandis que le F-104 était vendu à plus de 2.000 exemplaires à l'exportation. Il semble que ce pourrait bien être l'orientation que le Pentagone pourrait être tenté de prendre avec le JSF : réduire la commande nationale et tenter d'en faire une star de l'exportation, avec comme effet de stopper le développement de l'industrie européenne (comme fit le F-104 dans les années 1955-65).