A qui la patate chaude de la crise (financière) ?

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Le Système face à la crise financière est déchiré. La question de la responsabilité dans cette crise est aujourd’hui l’objet d’un violent débat, avec la mise en accusation des directions politiques par les institutions financières internationales, et la situation effectivement difficile de ces directions politiques illustrée par le cas allemand.

• Le premier cas nous a été exposé par les échos venus d’une conférence à Jackson Hole, dans le Wyoming, aux USA. Cette conférence a vu l’intervention de dirigeants importants d’institutions internationales ou d’institutions nationales officielles dans le domaine financier. C’est, d’une façon quasiment unanime, une mise en accusation des pouvoirs politiques, de ce qui est considéré comme leur inefficacité, leur pusillanimité, voire leur paralysie (le cas des USA) face à la crise financière, avec des mesures qui ne sont pas prises, qui sont prises tardivement, qui ne sont pas assez décisives, qui aggravent la crise en un sens plus qu’elles n’aident à la résoudre, etc. Les attaques sont assez faciles, la situation des directions politiques étant effectivement, à cet égard, dans une phase presque surréaliste à force d’être pathétique, – cela d’ailleurs grâce, entre autres choses, aux pressions et exigences des institutions financières. Reuters rapporte, le 28 août 2011, des échos de Jackson Hole, avec, pour mener la charge, la Française Lagarde et sa cavalerie du FMI.

«The heads of the U.S. Federal Reserve, IMF and OECD stepped up pressure on political leaders on both sides of the Atlantic to shake off their inertia and tackle urgent economic problems. If politicians ignore their pleas – including a blunt call from International Monetary Fund chief Christine Lagarde to “act now” – the slowdown in world growth and debt turmoil in Europe could morph into a deeper crisis, top monetary officials and economists warned at an annual retreat here. “I hope they listen,” said Bank of Israel Governor Stanley Fischer.

»Alarm over political deadlock was as obvious a backdrop to the annual meeting of policymakers in the wilds of Wyoming as the thunderstorms that rolled over the nearby Grand Teton peaks and dumped rain on the Jackson Lake Lodge. “The governance right now is not going through a very brilliant moment, I have to say, neither in Europe nor in the United States,” Angel Gurria, who heads the multi-nation Organization for Economic Co-operation and Development, told Reuters. “The signals that are coming out of the short-term discussions is, ‘We can't even agree on about the time of the day, even if there's a big clock telling us what the time of the day is.’”»

• En Allemagne, Angela Merkel fait face à ce que Klaus Regling, le directeur du EFSF (l’organisme allemand chargé de la gestion du fond d’aide de €440 milliards pour les pays de la zone euro en difficultés) désigne comme “une vague d’hystérie” qui balaie le monde politique allemand, contre le fond d’aide, contre la décision d’aider les pays européens en difficulté, contre les récents accords franco-allemand, contre l’Europe en général, contre certaines décisions prises par cette Europe en son nom et jugées soit non constitutionnelles, soit anti-démocratiques par rapport aux règles régnant en Allemagne. (A cet égard, les dirigeants allemands qui assiègent Merkel devraient faire les délices des souverainistes et anti-européanistes français.) Merkel a annulé un voyage de très grande importance en Russie le 7 septembre, pour être présente en Allemagne, parce que le 7 septembre est le jour où le Bundestag votera sur l’aide allemande aux pays européens en difficultés, et où la cour constitutionnelle se prononcera sur la légalité du système anticrise mis en place au niveau européen. Merkel se bat “sur tous les fronts”, et elle est en danger sur tous les fronts, aussi bien les fronts institutionnels que les fronts politiques, avec en cerise sur le gâteau une révolte majeure au sein de son propre parti… L’honorable Ambrose Evans-Pritchard, du Daily Telegraph, y voit une menace également majeure pour la situation européenne, et une probable nième relance de la crise financière du domaine, – sans doute la nième “décisive”. (le 28 août 2011).

«German media reported that the latest tally of votes in the Bundestag shows that 23 members from Mrs Merkel's own coalition plan to vote against the package, including twelve of the 44 members of Bavaria's Social Christians (CSU). This may force the Chancellor to rely on opposition votes, risking a government collapse.

»Christian Wulff, Germany's president, stunned the country last week by accusing the European Central Bank of going “far beyond its mandate” with mass purchases of Spanish and Italian debt, and warning that the Europe's headlong rush towards fiscal union stikes at the “very core” of democracy. “Decisions have to be made in parliament in a liberal democracy. That is where legitimacy lies,” he said. A day earlier the Bundesbank had fired its own volley, condemning the ECB's bond purchases and warning the EU is drifting towards debt union without “democratic legitimacy” or treaty backing.

»Joahannes Singhammer, leader of the CSU's Bundestag group, accused the ECB of acting “dangerously” by jumping the gun before parliaments had voted. The ECB is implicitly acting on behalf of the rescue fund until it is ratified. A CSU document to be released on Monday flatly rebuts the latest accord between Chancellor Merkel and French president Nicholas Sarkozy, saying plans for an “economic government for eurozone states” are unacceptable. It demands treaty changes to let EMU states go bankrupt, and to eject them from the euro altogether for serial abuses. “An unlimited transfer union and pooling of debts for any length of time would imply a shared financial government and decisively change the character of a European confederation of states,” said the draft, obtained by Der Spiegel.

»Mrs Merkel faces mutiny even within her own Christian Democrat (CDU) family. Wolfgang Bossbach, the spokesman for internal affairs, said he would oppose the package. “I can't vote against my own conviction,” he said.»

…Loin de nous l’idée de mettre en cause l’Allemagne et Merkel, comme il est de coutume ici et là, particulièrement en France. La chose, les embarras de la chancelière chargée de ses divers accords au niveau européen, ne figure ici que comme un exemple bienvenu de la critique signalée d’abord, de la part des institutionnels financiers. Il s’agit d’une belle bataille entre irresponsables, sourds et aveugles (ou malentendants et malvoyants pour rester conforme-Système), chacune de ces vertus étant réparties équitablement. Effectivement, la responsabilité de ces irresponsables est fort équitablement partagée, entre institutionnels de la finance et directions politiques. On admettra simplement que cette irresponsabilité commune fait l’objet d’un ballet assez élégant, l’irresponsabilité des uns précédant l’irresponsabilité des autres avant de revenir elle-même sur la sellette, ce qui permet aux uns d’accuser les autres d’irresponsabilité, avant que les autres n’accusent les uns, la patate chaude de la crise faisant office de ballon d’échange. On a au moins l’impression qu’il se passe quelque chose et que notre sort n’est pas toujours confié aux mêmes irresponsables faisant assaut d’impuissance et s’assurant continuellement de la fermeture verrouillé de l’esprit face aux conditions que l’on sait, comme on ferme les écoutilles en cas de tempête, mais bien à une irresponsabilité impuissante changeant de bord. Ce qui confirme sans surprise, au terme de la partie, qu’elle est, l’irresponsabilité impuissante, présente partout.

Il y a même une “globalisation” de la situation, avec le “bienvenu au club” adressé in fine par ses collègues des institutions financières à Ben Bernanke, le dernier qui jouait encore en coopération avec le pouvoir politique (US), et avec des indulgences pour ce pouvoir. Sa dernière sortie médiatique (Bernanke se fait plus “public” pour nous faire croire que la Fed n’est pas si opaque que cela) représente un notable changement de position, consistant à dire au pouvoir politique (US) : “J’ai fait ce que je pouvais, maintenant c’est terminé et c’est à vous de faire”. (De Reuters encore : «Bernanke's speech was “the shot across the bow of the government saying, ‘don’t keep layering expectations on the Federal Reserve, guys, you have a job to do,’” Columbia Business School Dean Glenn Hubbard said in an interview with Reuters Insider.»)… Donc, nous disons bien “globalisation”, dans le sens de la globalisation des situations d’impuissance, puisque l’homme de la Fed, d’habitude toujours lié aux intérêts et au personnel de la direction politique du système de l’américanisme, s’en détache pour se ranger aux côtés de ses collègues internationaux dans une même attaque contre les directions politiques du bloc BAO as a whole. On a la globalisation qu’on peut, et la globalisation de la crise marche du tonnerre.

Quant aux directions politiques, elles sont archi-prisonnières du système auquel elles président, que les exigences des organismes financières (ceux qui les accablent) conduisent à la révolte, à l’anarchie et à la faillite, tant des populations que de la situation infrastructurelle et sociale de leurs pays. (D'ailleurs, eux-mêmes, ces dirigeants politiques, n'imaginent pas possible une autre situation puisqu'ils croient au dogme et aux théories du Système comme au Saint Suaire.) Le cas Merkel est bien illustratif ; il concerne une Allemagne à qui reste la réputation d’être l’un des rares survivants (temporaires) de l’hécatombe-Système en cours, à encore être capable de faire montre d’un certain dynamisme dans la catastrophe, et cette Allemagne qu’on a l’habitude si romantique de connaître comme disciplinée. Mais le système démocratique, surtout l’allemand, se trouve aujourd’hui au pic de son exaspération et au pire des effets de ses structures paralysantes et contradictoires, à la fois prêt à jeter par dessus bord, l’euro, l’Europe et l’eau du bain. Peut-être Merkel aurait-elle tout de même du maintenir son voyage en Russie pour aller préparer là-bas l’alliance de sauvegarde à laquelle pourrait la contraindre ce turbulent imbroglio kafkaïen que constitue la démocratie allemande lorsque les dieux sont défavorables au Système… Mais nous plaisantons, sans doute.

Nous venons donc de faire un tour de piste pour constater une fois de plus qu’il n’y a pas d’issue. On fera survivre encore une fois le système financier et monétaire, ou on ne le fera pas survivre cette fois, c’est selon. Tout se déroule selon le plan prévu, avec une issue inéluctable… Badaboum au bout du chemin.


Mis en ligne le 29 août 2011 à 09H34