A Washington, la bataille autour d’Assange va devenir partisane

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On note les premiers signes d’une évolution que nous jugeons probable, et que certains milieux européens envisagent : la transformation de l’affaire Assange-Cablegate d’une mobilisation avec surenchère pour la sécurité nationale en une bataille politicienne partisane. C’est désormais un recyclage classique à Washington.

Jeff Stein, du Washington Post, signale le 14 décembre 2010 les premières “dissidences” de la “ligne officielle” du Parti de condamnation unanime d’Assange.

«On Friday Jack L. Goldsmith, “widely considered one of the brightest stars in the conservative legal firmament” when he joined the Bush administration Justice Department in 2003, according to a typical assessment, wrote that he found himself “agreeing with those who think Assange is being unduly vilified.”

»“I certainly do not support or like his disclosure of secrets that harm U.S. national security or foreign policy interests,” Goldsmith wrote on the Lawfare blog. “But as all the hand-wringing over the 1917 Espionage Act shows, it is not obvious what law he has violated. It is also important to remember, to paraphrase Justice Stewart in the Pentagon Papers, that the responsibility for these disclosures lies firmly with the institution empowered to keep them secret: the Executive branch.”»

Jeff Stein rappelle que Ron Paul a pris partie pour Assange et Wikileaks, jugeant non seulement qu’Assange ne devait pas être considéré comme coupable mais encore que les fuites elles-mêmes constituaient un élément extrêmement intéressant pour éclairer la réalité de la politique extérieure US. Enfin Jeff Stein, rapport une autre prise de position dans le même sens que celle de Goldsmith (qui, lui-même, remarque que, dans la logique anti-Assange de l’administration Obama, le New York Times est au moins aussi coupable qu’Assange).

»On Monday influential Harvard political scientist Stephen M. Walt endorsed Goldsmith’s views, asking whether The Washington Post’s Bob Woodward shouldn’t be prosecuted for publishing secrets if Assange was.

»“I keep thinking about the Wikileaks affair,” Walt wrote for NPR’s Web site, “and I keep seeing the double-standards multiplying. Given how frequently government officials leak classified information in order to make themselves look good, box in their bureaucratic rivals, or tie the President's hands, it seems a little disingenuous of them to be so upset by Assange's activities.”»

Notre commentaire

Il existe effectivement aujourd’hui, dans les milieux européens à Bruxelles, un sentiment nouveau selon lequel l’affaire Wikileaks va effectivement devenir la crise Cablegate dans toute l’acception de l’expression ainsi forgée, en devenant un sujet de polémique extrêmement destructeur, – un de plus, certes, – entre les républicains et l’administration Obama. Cette perspective est perçue comme inévitable dans le climat “hyperpartisan” de Washington. D’où l’intérêt de l’intervention de Jeff Stein relevant les premières “dissidences” plus ou moins institutionnelles de la version officielle. Bien que ces “dissidences” soient absolument honorables et conçues selon le contraire d’un esprit partisan, leurs arguments seront sélectivement utilisés pour alimenter la polémique à venir. La position officielle, la “ligne du parti”, étant actuellement complètement sophistique (accusation absurde de “trahison” des USA contre un citoyen non-US, impunité laissée à des organes de presse effectuant les mêmes publications, sinon plus, que celles qu’a faites Assange), les arguments justes contre cette “ligne” ne seront pas utilisés pour leur justesse mais pour leur valezur polémique anti-Obama par les républicains.

«Ces arguments valables contre la position de l’administration Obama concernant Assange, estime une source européenne, devraient normalement être repris à leur compte par les républicains pour lancer des attaques violentes contre les manquements de sécurité qui ont permis ces fuites, et d’une façon générale contre ce qui serait dénoncé comme une attitude laxiste en matière de sécurité nationale… Cela impliquerait de facto que la thèse de la “culpabilité” d’Assange trouverait aisément d’amples matières à révision.» Dans cette perspoective, on doit éfgalement s’attendre à voir des nuances importantes dans les différents centres de pouvoir à Washington. Le Pentagone, dont on a vu qu’il avait une politique différente de celle du département d’Etat, pourrait trouver une occasion de restaurer son statut compromis à cet égard après les fuites massives sur l’Afghanistan et l’Irak, en cultivant obliquement et indirectement une politique qui, effectivement, insiste sur la nécessité du secret (le Pentagone n’aura pas à se forcer) et chargent d’autant le département d’Etat de l'accusation de négligence.

Il s’agirait d’une polémique fondamentale. Notre sentiment n’est pas que la question débattue est celle du “secret” de la diplomatie, qui est un thème idéologique auquel sacrifient avec empressement ceux qui ne conçoivent des causes qu’en fonction de principes partisans et ne distinguent pas qu’il y a aujourd’hui une crise systémique et non une crise idéologique. La polémique concernerait explicitement la question du “secret” qui recouvre la politique extérieure, expansionniste et belliciste, des USA, donc du Système en général, politique dans laquelle sont impliqués nombre de pays alliés-complices. (Mais ces pays alliés-complices, devenant selon les circonstances, des pays alliés-antagonistes, dans la mesure où certaines révélations les mettent eux-mêmes dans le plus grand embarras vis-à-vis de leurs opinions publiques.) Cette “politique” telle qu’elle est exposée dans les câbles déjà rendus publics est totalement différente de la présentation officielle qui en est faite (comme nous l’avons noté dès le 29 novembre 2010).

La question est donc moins celle du “secret” que celle de la “dissimulation”. C’est à ce point que la polémique devient fondamentale parce que, de la problématique de la “vigilance” ou pas de l’administration Obama, du “secret” ou pas de la documentation et de l’information de la politique, on passe, par le biais de l’équivalence avec la “dissimulation”, à la question du fondement de cette politique elle-même. A Washington, dans le climat qui existera avec le 112ème Congrès (présence du Tea Party, débat sur le déficit), la question de la politique extérieure du Système et de tout ce qui lui est lié (guerres extérieures, dépenses de défense, etc.) sera implicitement présente partout. La polémique autour d’Assange, du “secret”, etc., peut évidemment faire brusquement éclater ce débat potentiel, avec la mise en cause de cette politique extérieure du Système. Les choses deviendraient du plus haut intérêt.


Mis en ligne le 15 décembre 2010 à 09H36