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40024 octobre 2006 — Il y a une sorte de juvénile naïveté dans la présentation des trouvailles de la politique extérieure américaine, couronnée par l’irrésistible effet comique des commentaires des “sources officielles” US, sérieuses, pompeuses, très “business-like”, qui vous décrivent le nième changement majeur du monde — moitié divine surprise, moitié fruit d’une planification lucide et audacieuse.
Aujourd’hui, c’est la Chine. Elle est baptisée, dans une dépêche AFP du 22 octobre : «The Unexpected Star». Elle a, en effet, résolu, du moins temporairement, la crise nord-coréenne dans le sens que Washington tentait vainement d’imposer — en faisant rentrer Kim dans le rang.
Quelques extraits de la dépêche décrivent l’euphorie américaniste. Entre le premier paragraphe présentant l’euphorie US vis-à-vis de la Chine et les derniers qui sont cités ici, qui explicitent plus en détails la cause de cette euphorie et en tirent les conséquences, il y a l’exposition de la déception US devant le comportement pour le moins prudent des deux “alliés privilégiés” dont on attendait beaucoup — la Corée du Sud et surtout le Japon.
«China emerged as the surprise star of Secretary of State Condoleezza Rice's tour last week to rally Asian support for sanctions against North Korea, after jittery allies Japan and South Korea balked at US plans for their roles in the clampdown. Rice and senior members of her delegation spoke glowingly of Beijing's determination to end the nuclear ambitions of its troublesome neighbor and long-time ally, which they said highlighted China's growing role as a strategic partner in confronting global crises. (…)
»Ironically, it was China that provided the good news, despite its history of tensions with the Bush administration.
»North Korea's main trade and aid provider and a long-time opponent of sanctions as a diplomatic weapon, China had in recent years been the biggest stumbling block to pressuring Pyongyang to end its nuclear program.
»But US officials said China had been “humiliated” when North Korea ignored its entreaties and carried out the nuclear test.
»Chinese leaders are now gravely concerned the North's unpredictable behavior could set off an arms race that would see its main regional rival, Japan, and possibly even Taiwan seek their own atomic arsenal, officials said.
»Rice described Beijing's decision to support the UN sanctions resolution against its one-time client state as “remarkable” and “extraordinary”, while one of her top aides hailed a “sea change” in China's attitude.
»Following talks with China's top leaders, Rice said they have promised a “scrupulous” approach to controlling cargo moving across China's long land border with North Korea seen as critical to preventing illicit arms trade.
»There were also reports Chinese banks had cut off money transfers to North Korea and that officials were considering curbing supplies of cheap oil.
»Rice described the evolving relationship as a qualitative change from past years.
»“Whenever you talk to the Chinese now, they begin by talking about the fact that the US-China relationship can be put to work solving problems, and that is a somewhat different perspective,” she said.
»Chinese Foreign Minister Li Zhaoxing said such cooperation “shows that China-US relations are taking on increasing global, strategic significance”.»
Si nous comptons bien (en employant le temps présent pour bien marquer qu’aucune chose n’est vraiment dépassée) :
• En avril 2005, l’Inde est
• Depuis la fin du printemps 2006 et les agitations de Kim (tir de missiles, expérimentation nucléaire), le Japon est institué “super-puissance” militaire. Le Japon est devenu l’interlocuteur privilégié des USA dans la région et pour les matières militaires. On ne cache plus, à Washington, qu’on jugerait tout à fait justifié que le Japon devînt une puissance nucléaire.
… Aujourd’hui, c’est la Chine qui est, à son tour, instituée “super-puissance partenaire”, semblant brusquement embrasser, aux yeux américanistes, le rôle de partenaire privilégié. Que se passe-t-il ?
… Rien d’autre que le fonctionnement normal de Washington aujourd’hui. Il n’est pas question de stratégie mais d’implication directe des différents centres de puissance et “intérêts particuliers” dans le fonctionnement de ce qui tient lieu de stratégie US et qui n’a plus aujourd’hui de cohérence particulière. Ces trois “choix” successifs de trois puissances instituées successivement super-puissances et partenaires stratégiques privilégiés n’impliquent aucun dessein stratégique particulier. Il serait bien imprudent d’en tirer des enseignements précis quant à l’orientation de Washington. Aujourd’hui, Washington n’a pas d’orientation particulière. La machine stratégique tourne à vide et absorbe les opportunités saisies par les divers centres de pouvoir. Le schéma est ici presque parfait :
• L’Inde est un “coup” de la Maison-Blanche. L’idée d’en faire un “partenaire stratégique” est venue du cabinet (Rove) et du NSC. Elle était sous-tendue par des pressions économiques puissantes pour tenter de pénétrer en force sur le marché indien (nucléaire, armement, etc.).
• Le Japon est une orientation voulue par le Pentagone et soutenue par les idéologues qui en sont proches (néo-conservateurs, notamment). Il s’agit là d’une conception plus hégémonique et plus axée sur la recherche de points d’appui et de relais purement militaires. L’orientation est encore plus agressive que dans le cas indien, justifiée par la Corée du Nord mais avec un antagonisme potentiel avec des pays continentaux comme la Corée du Sud (ou la Corée éventuellement réunifiée) et la Chine.
• La Chine aujourd’hui, c’est un “coup” du département d’Etat, qui veut reprendre la main en s’appuyant plutôt sur une logique d’équilibre et sur un projet de coopération avec la Chine. C’est une approche diplomatique plus classique, qui est accueillie avec une hostilité, voire une haine caractéristique des milieux extrémistes (néo-conservateurs).
Il n’y a rien dans tout cela qui soit acquis, il n’y a même aucune substance stratégique sûre. Les contradictions sont nombreuses et criantes mais, d’un point de vue washingtonien, nullement gênantes. Il s’agit d’un décalque, à l’échelle du monde, des contradictions et des affrontements à l’intérieur du système. C’est le désordre washingtonien porté à l’échelle du monde.
Il serait bien inutile d’en tirer quelque conclusion rationnelle que ce soit sur l’orientation stratégique US. Cette chose (“l’orientation stratégique”) n’existe plus à Washington.
Il serait bien mal avisé pour les pays “choisis” d’en tirer quelque conclusion ou promesse à long terme que ce soit. Les Indiens commencent à s’en apercevoir, qui voient leur traité nucléaire avec les USA très gravement menacé par une non-ratification du Sénat (ou une ratification conditionnée à des amendements inacceptables). On voit bien, dans ce processus, qu’il s’agit d’un effet du désordre washingtonien et nullement d’une hostilité particulière à l’encontre de ce traité.
Le constat est toujours le même : la machine est hors de contrôle, elle tourne selon les vents et les pressions du moment. Le désordre règne.
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