Accélération de la perspective de la guerre

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Accélération de la perspective de la guerre

14 novembre 2014 – Le mot “guerre” est sur toutes les lèvres et dans de nombreuses plumes. Le terme est ici employé de manière vague et générale, indiquant par là, selon notre perception et quoi que veuillent en préciser les chroniqueurs, qu’il s’agit de l’anticipation inconsciente d’un phénomène global dont on ne peut savoir encore ni la forme, ni l’intensité. Il est dans tous les cas certain que la tension considérable qui conduit à ces évocations très pessimistes n’a cessé de se renforcer ces derniers jours, avec nulle part et en aucune façon la moindre nouvelle ou prévision qui aille dans le sens contraire d’une telle orientation.

Nous parlons bien entendu des événements ou des analyses qui, selon nous, ont quelque valeur propre, quelque substance impliquant une participation à la dynamique que nous observons. Nous laissons de côté les visions réductionnistes ou les discours extraordinairement lénifiants de certains dirigeants, complètement coupés des vérités des diverses situations envisagées... Jamais les élites-Système (essentiellement du bloc BAO, pas de surprise) n’ont été aussi complètement coupées de la réalité du monde. C’est une observation à faire, mais nullement une observation primordiale pour l’évolution des choses dans la mesure où ces élites-Système ne font plus que réagir à des constats et des analyses complètement influencés par la narrative où elles se trouvent enfermés, qui prend de plus clairement la forme d’une “bulle dialectique de perception et de réflexion” hors-du-monde. Les élites-Système se situent aujourd’hui dans l’espèce assez proche des zombis, du type hors-du-monde.

Donc le mot “guerre” résonne ... Pour l’instant, il s’agit d’une “guerre économique”, et d’une “guerre économique mondiale” où les belligérants subissent des chocs et des pressions, et où ils y réagissent. Nous voulons dire par là qu’il n’y a pas un côté qui a pris l’offensive sans subir lui-même des revers, faisant montre à la fois d’une stratégie solide et d’une tactique de plus en plus efficace pour conduire à bien cette stratégie. Tous les côtés se trouvent confrontés à des pressions qui accroissent leur statut de mise en alerte et la nécessité de prendre des mesures défensives, en même temps qu’ils lancent des contre-attaques qui ne sont elles-mêmes que des réactions. Le fait à retenir est donc l’absence d’une marche assurée et victorieuse, éventuellement hégémonique s’il s’agit du Système, éventuellement antiSystème si c’est l’inverse. Tout se passe comme si les pressions diverses qui contraignent les uns et les autres exsudaient d’une situation générale d’antagonisme hors d’un contrôle assuré de l’un ou l’autre côté. Cette idée, implicite et même explicite, de l'action de “forces n-supérieures”, hors du contrôle humain, n'est pas nouvelle chez nous ; elle est partout dans le propos...

• Donc, le mot “guerre”, répétons-nous... C’est notamment Ambrose Evans-Pritchard (AEP), du Telegraph (le 10 novembre 2014, repris par Russia Insider le 14 novembre 2014) qui annonce la chose : «Russia Prepares for Long Economic War with the West» Cela durera, écrit AEP en citant “l’analyse des Russes”, – sans préciser de quels Russes il s’agit, et selon quels critères ils jugent aussi précisément de ces choses, – cela durera jusqu’en 2017 et cela sera très dur (pourquoi 2017 ? Mystère) ... AEP précise que les Russes étaient notablement plus optimistes il y a quelques mois, qu’ils révisent leurs prévisions, qu’ils jugent que les sanctions du bloc BAO vont réellement avoir des effets très difficiles sur l’économie russe.

«Russia is battening down the hatches for a long battle with the West, expecting sanctions to last until at least 2017 and admitting that capital flight has been significantly higher than previously claimed. The central bank slashed its growth forecast for next year to zero and warned of near-recession conditions until late in the decade. It said capital outflows would reach $128bn this year. The new realism ends the pretence that Russia is strong enough to weather the end of the commodity supercycle without suffering serious damage, or that Western sanctions are little more than an irritation. President Vladimir Putin had previously said the effect would dissipate within months...»

• La confirmation de la “guerre économique”, – ici, sans précision de date, sans avis sur les capacités des Russes et sur l’effet des sanctions, etc. Bien entendu Tyler Durden, de ZeroHedge.com (ce 13 novembre 2014), est beaucoup moins hostile aux Russes que AEP, ce dernier antirusse rabique et implacable comme tout commentateur financier britannique qui se respecte. Durden s’attache, lui, aux achats d’or de la Russie, comme en un signe incontestable de cette préparation à la guerre économique... «Just as China is buying 'cheap' oil with both hands and feet, so Russia, according to the latest data from The World Gold Council (WGC) has been buying gold in huge size. Dwarfing the rest of the world's buying in Q3, Russia added a stunning 55 tonnes to its reserves, as The Telegraph reports, Putin is taking advantage of lower gold prices to pack the vaults of Russia's central bank with bullion as it prepares for the possibility of a long, drawn-out economic war with the West...»

Bloomberg.News ajoute son grain de sel sur la question de l’achat d’or des Russes, en développant, ce 13 novembre 2014, l’idée que la justesse de la démarche russe du point de vue de la plus-value du prix de l’or dépend en partie d’un référendum en Suisse où il est demandé à la population suisse si leur pays doit disposer de plus de 20% de réserves d’or de sa masse monétaire... «If the Swiss vote to increase their country's gold reserves above 20 percent, the Swiss National Bank will be forced to make huge purchases in the market, driving up the value of the Russian stockpile. The Swiss People's Party, if it succeeds, will have helped Russia weather the sanctions and the recent decline in the price of oil. »

• Cette affaire d’achat d’or est, d’une façon assez ironique si l’on consulte l’histoire financière récente des USA et le rôle d’Alan Greenspan dans l’inflation et le simulacre impératif du rôle du dollar comme monnaie de réserve, justifiée par une remarque de ce même Greenspan, à la fin du mois d’octobre, lors d’une conférence au Council of Foreign Relations. Durden ne se lasse pas de citer cette phrase de Greenspan, qui a remarqué, en passant, comme une évidence qui rejoint curieusement la conception politique du général de Gaulle dans les années 1960, que l’or est finalement la seule currency véritablement acceptable et d’une véritable légitimité internationale autant que d’un statut indéboulonnable, ce qui, dans le contexte actuel, semble être à la fois une affirmation fondamentale et une prise de position sur la politique monétaire à suivre dans l’arène internationale ... «It seems Alan Greenspan may have been on to something after all... “Remember what we're looking at. Gold is a currency. It is still, by all evidence, a premier currency. No fiat currency, including the dollar, can match it.”»

• Une nouvelle exotique se glisse dans ce raisonnement sur la “guerre économique” et les initiatives d’achat d’or, qui sont aussi une contestation du rôle du dollar, et présentée comme telle dans la susdite “nouvelle exotique” ... Cela permet de passer au chapitre suivant de ce dossier des affaires courantes et explosives en introduisant, pour plus loin, la dynamique de dédollarisation. Il s’agit de la décision de ISIS/EI/Daesh, d’émettre de la monnaie en or pour pouvoir mieux se distancer du “système monétaire des oppresseurs”... L’État Islamique serait-il désormais un acteur presque intégré de ce tourbillon autour de la “guerre économique” in the making ? “Exotique“, certes, mais à signaler sans plus devoir s’étonner de rien. C’est Tyler Durden qui s’en charge, toujours dans ZeroHedge.com, le 14 octobre 2014  : «It appears the rumors are true. Islamic State is set to become the only 'state' to back its currency with gold (silver and copper) as it unveils the new coins that will be used in an attempt to solidify its makeshift caliphate. ISIS says the new currency will take the group out of “the oppressors’ money system.”»

• Pour revenir à l’un-peu-plus-sérieux, venons-en à l’annonce de la prochaine mise en place d’un système SWIFT russe, – disons “Swiftki”, même s’il a un autre nom. Il s’agit d’une mesure qui entre dans la lutte contre la domination actuelle du dollar, qui a une destination intérieure russe mais qui peut évidemment s’ouvrir à l’extérieur, aux pays qui sont eux aussi tentés de secouer le joug de la monnaie américaniste. Le French-Saker du 14 novembre 2014 donne une traduction d’un texte de NakedCapitalism.com, du 12 novembre : «En d’autres termes, cette mesure se présente comme une arme pour réduire l’efficacité de l’utilisation de la domination du dollar dans les paiements. Que les Russes puissent lancer un système suffisamment robuste rapidement est une question ouverte, mais c’est une mesure défensive judicieuse et potentiellement une mesure offensive. Ce système peut avoir des ramifications à long terme, si d’autres pays mécontents des États-Unis décident de l’employer pour des raisons pratiques ou politiques.»

• Nous voici donc entrés de plain-pied dans le domaine de la dédollarisation, autre aspect important de cette “guerre économique” qui vaut bien les sanctions antirusses du bloc BAO et qui en est l’exacte réplique sismique et la complète conséquence directe. Voici donc un élément du dossier qui nous montre que ce dossier est aujourd’hui brûlant et gonfle chaque jour de nouveaux éléments... C’est dans tous les cas l’avis de Durden, à nouveau, (le 11 novembre 2014, sur ZeroHedge.com, certes) qui est un “lanceur d’alerte” particulièrement vigilant pour tout ce qui concerne le domaine. Cette fois, il annonce rien de moins qu’une “Petrodollar panic” dans son titre, en nous rapportant que le Canda et le Qatar, – ô doublement rage, ô doublement désespoir alors qu’il s’agit de deux fidèles en principe du Système, – ont commencé eux aussi à sacrifier à la mode infâme de se passer du dollar pour effectuer leurs transactions avec la Chine ... La Chine, l’Empire du Milieu, qui manie une diplomatie à éclipses mais qui ne perd pas de vue le cap où se trouve l’entreprise de réduire le dollar à un statut un peu plus conforme à la position véridique de celui qui fait tourner ses presses d’impression pour tenir sa tête hors de l’eau. Durden cite le commentateur financier Simon Blake à propos de cette dynamique de dédollarisation : “C’est en train de se faire... avec une vitesse et une fréquence en augmentation”.

«The march of global de-dollarization continues. In the last few days, China has signed direct currency agreements with Canada becoming North America's first offshore RMB hub, which CBC reports analysts suggest “could double maybe even triple the level of Canadian trade between Canada and China,” impacting the need for Dollars.But that is not the week's biggest Petrodollar precariousness news, as The Examiner reports, a new chink in the petrodollar system was forged as China signed an agreement with Qatar to begin direct currency swaps between the two nations using the Yuan, and establishing the foundation for new direct trade with the OPEC nation in the very heart of the petrodollar system. As Simon Black warns, “It’s happening... with increasing speed and frequency.”»

• Pour compléter ce dossier de guerre, on signalera que toutes les crises annexes ou autres, sans rapport direct apparent avec cette tension USA-Russie et ce qui l’accompagne mais impliquant le plus souvent les USA toujours dans le même rôle et souvent la Russie, montrent toutes la même tendance qui est celle de l’aggravation. Cet élément doit être gardé à l’esprit pour le raisonnement et le commentaire généraux, ainsi que, du côté US, le rôle du Congrès qui n’a pas encore intégré les résultats des mid-term dans ses effectifs mais qui en a déjà l’esprit ... Par exemple, la crise iranienne, où l’on voit ce Congrès déterminé à prendre des positions inacceptables pour l’Iran, et qui bloqueront toute possibilité de parvenir à un accord satisfaisant avec les USA. Ainsi de cette résolution de deux sénateurs républicains, qu’on retrouvera en 2015, de faire en sorte qu’aucun accord ne se fasse avec l’Iran s’il n’implique pas le complet démantèlement du nucléaire iranien et l’interdiction for ever faite à l’Iran de jamais devenir une puissance nucléaire ... Il est impensable d’imaginer que l’Iran envisage de céder à un tel diktat. (AFP/Space Digest, le 13 novembre 2014.)

«Two US senators responsible for introducing strict sanctions on Iran renewed their warning Wednesday over nuclear negotiations with the country, saying any final pact must "dismantle" the Islamic republic's nuclear program. "We believe that a good deal will dismantle, not just stall, Iran's illicit nuclear program and prevent Iran from ever becoming a threshold nuclear weapons state," Senate Foreign Relations Committee chairman Robert Menendez and Republican Senator Mark Kirk said in a statement.»

On voit combien le tableau général est peu encourageant, combien il est divers, avec nombre d’acteurs impliqués, combien il représente effectivement un déploiement antagoniste sans qu’aucune des parties n’ait vraiment l’avantage offensif sur l’autre. On peut alors, pour compléter le tableau et en déterminer définitivement la couleur générale, mentionner d’autres événement indirectement liés à ceux qu’on a détaillés, mais qui ont leur spécificité propre. Le but de cette démarche est de chercher si, dans ces autres événements, on ne trouve pas une dynamique qui démente celle de l’antagonisme, guerrier ou pas, que l’on a détaillé plus haut. Le principal de ces événements est la réunion à Pékin de l’APAC, avec la Chine en hôte et en vedette, et la “surprise” de l’un ou l’autre accord, – avec les USA, – qui ne mangent pas beaucoup de pain. Deux commentaires résument, à notre sens, ce qu’on peut en déduire.

• Celui de Pépé Escobar,, sur divers sites dont, en français, le “French-Saker”, le 12 novembre 2014. L’un des titres qu’Escobar a choisi pour une de ses publications résume bien l’esprit de la rencontre, des relations entre les USA et la Chine, de ce qu’elles ont signifié... “Fin du siècle américain, début du siècle asiatique”. Le début de son commentaire est justement symbolique, montrant la photo du groupe des participants, avec Poutine à la droite de Xi, et Obama perdu au bout de la gauche de ce premier rang ... «Regardez les photos officielles de plus près. La position de chacun en dit long, surtout en Chine, où la signification symbolique a une importance capitale. Regardez qui se retrouve à la place d’honneur, juste à côté du président Xi Jinping. Regardez maintenant où on a relégué le canard boiteux chef d’État de la nation indispensable. C’est vrai que les Chinois sont aussi passés maîtres dans l’art d’envoyer un message universel.»

• Celui de M.K. Bhadrakumar nous paraît nettement moins satisfaisant, renvoyant à l’ancienne diplomatie, lorsque les USA savaient ce qu’ils faisaient, et qu’ils le faisaient avec une certaine raison. Le titre de ce texte du 13 novembre 2014 parle du «G2 in the making”, ce qui renvoie à une proposition de Brzezinski du printemps 2009 (un G2, comme condominium USA-Chine du monde), déjà rejeté à cette époque, d’un haussement d’épaules, par les Chinois... Bhadrakumar écrit  : «At its core, a blueprint of diplomatic progress between the two big powers has emerged, which of course has been the outcome of the sustained efforts by the two leaderships who played a direct role ever since their summit meeting in California last June, that hinges on elevating potential areas of agreement while showing restraint in the handling of areas of disagreement.»... Nous en sommes loin, si loin.

La terra incognita de l’autodestruction

Poursuivons, pour débuter notre commentaire, avec l’argument sur quoi nous avons terminé la présentation des pièces du dossier. Certes, nous préférons l’interprétation d’Escobar à celle de Bhadrakumar, pare qu’elle illustre l'effacement-effondrement de la position des USA dans les relations internationales. Pour autant, elle ne nous satisfait pas entièrement... Alors que Bhadrakumar propose l’explication d’une restructuration à deux (USA-Chine) des relations internationales dans la partie du monde envisagée, Escobar propose l’effondrement de la structure d’inspiration américaniste au profit de la structure chinoise qui la remplacerait. Notre analyse, tout en acceptant évidemment le fait lui aussi évident de l’effacement-effondrement des USA, est bien qu’à la structuration américaniste devenue bancale en cours de dissolution succède, au travers de tentatives qui peuvent plus ou moins avancer, la perspective d’une extension à la zone disons antiSystème et antagoniste des caractères de l’ordre existant, ou des restes de l’ordre existant (c’est-à-dire le capitalisme américaniste, ou globalisé). La Chine ne prend pas la main pour imposer ses conceptions structurelles, – elle n’en a d’ailleurs pas en l’occurrence, – elle rejette décisivement les USA mais pour se retrouver dans le climat général d’antagonisme déstructuré qui baigne les relations internationales, toutes et partout, sous la forme du capitalisme globalisé. La véritable dynamique de déstructuration et d’affrontement Système-antiSystème, en effet, se trouve un peu plus à l’Ouest pour son cœur, et dans l’entrechoquement général de différentes dynamiques qui sont complètement dégagées des contraintes géopolitiques, – sanctions, dédollarisation, etc.

... Et cela nous conduit à la question qui concerne l’élément essentiel pour nous, comme toujours et plus que jamais, qui est la psychologie et ses diverses dimensions sociales, sociétales , culturelles. Dans un univers absolument communicationnel et symbolique où les causes les plus dérisoires éclairent des effets gigantesques, nous pourrions avancer sans craindre trop l’argument outragé des experts-Système que l’événement principal du sommet de l’APAC, du côté de la ”nation indispensable“, a été l’affaire du chewing gum : ZeroHedge.com nous présente, le 12 novembre 2014, un DVD montrant Obama penché sur le côté pour se débarrasser de son chewing gum puis les commentaires choqués de l’un ou l’autre vulgum pecus pékinois, entrecoupé de film des déplacements des dirigeants au sommet de l’APEC, avec toujours le pauvre Obama perdu dans la foule. Ce symbole-là est celui d’une rupture psychologique et culturelle qui sous-tend l’affrontement entre la Système (les plus extrêmes dans le système, les USA) et les antiSystème. Dans ce cas, la Chine n’est ni le nouveau partenaire des USA, ni le nouveau maître du monde, mais une puissance engagée dans cette immense bataille où elle ne peut être en aucune façon du côté des USA (du Système), même dans les usages symboliques d’une rencontre au sommet.

Ainsi en revenons-nous à ce qui fait le sujet principal de ce commentaire, qui est le principal des événements aujourd’hui, où la réunion de l’APAC n’est qu’un appendice qui contribuera dans ses effets profonds à approfondir les antagonismes. Le principal, c’est bien cette “guerre économique” qu’on nous promet longue et dure. Bien entendu, ce sont des commentateurs économiques qui parlent ici ; ils n’ont pas tort pour la “guerre”, sauf qu’elle n’est pas qu’“économique” et que la question de sa durée n’importe guère parce qu’elle n’est soumise à aucune spéculation possible de ce point de vue, – en effet, l’essentiel est dans son intensité et dans son expansion, qui influent constamment et anarchiquement sur la durée. Pour illustrer ce propos, on prendra l’intervention d’un analyste économiste dans le texte de Evans-Pritchard (AEP). Il s’agit de Tim Arsh, de la Standard Bank, qui juge le comportement des Russes et risque une prospective à cet égard. Sa proposition initiale n’est à notre sens pas fausse, qui signifie que les Russes ont sans doute mal apprécié les conditions du conflit (de l’agression des sanctions, dans ce cas) qui leur est imposé : «They’ve got their heads in the sand if they think this is driven by speculators. Fundamentals and war risk are behind this...» Là où Arsh devient intéressant selon notre appréciation, parce que complètement à contresens à cause de la forme économique de son raisonnement, c’est lorsqu’il poursuit : «Circumstances are very different from 1998, when the crash in oil prices pushed Russia into default on its external debts. Yet the trauma of that episode is still fresh in people’s minds, and the illusion of high reserves can evaporate fast. “If they lose another 100bn in three months they’ve got a problem. People would start to panic, it could turn vicious very fast,” said Mr Ash.»

Ainsi la perspective, dans le chef du bloc BAO, est-elle bien définie : conduire la Russie aux conditions de l’effondrement économique de 1998 ; avec l’idée que, même si les conditions sont différentes, même si l’effondrement n’est pas similaire, la même panique s’ensuivra et, avec elle, l’effondrement politique. Même si le reste du raisonnement peut être acceptée, dans tous les cas dans les conditions que va tenter de créer le bloc BAO, l’appréciation de la réaction du public russe est un total contresens qui, à lui seul, constitue le point fondamental de la situation. Il correspond parfaitement à l'aveuglement, à l’ignorance, à l’impuissance US (l’impuissance-Système du bloc BAO) à comprendre l’évolution de la psychologie humaine, et singulièrement de la psychologie russe.

Au contraire de 1998, la Russie a retrouvé son équilibre psychologique, la perception de sa propre dignité, le sens de son patriotisme, et elle se trouve aujourd’hui mobilisée face à un adversaire identifié, dont elle perçoit ce qu’elle juge justement être sa dimension maléfique, et qu’elle a déjà observé sur le champ de bataille et dans l’affrontement subversif. La situation dépasse largement l’économie et ses manipulations invisibles, et la psychologie russe a dépassé le niveau de réaction selon les conceptions-Système des vertus chevaleresques, où l’héroïsme est identifié à l'aune du niveau de vie ou du bénéfice des entreprises. Le constat de l’expert russe Vladimir Davydoff (le 1er novembre 2014) peut être repris pour des conditions d’affrontement dépassant la seule lutte économique et technologique et s’appliquant au domaine de l’affrontement conflictuel direct, où la patriotisme et la mobilisation qui va avec joueraient un rôle fondamental : «L’homme russe a souvent besoin de conditions extrêmes pour réaliser des percées technologiques. Je suppose que les années qui viennent, qui seront difficiles pour la Russie, verront apparaître de nouvelles orientations dans l’économie et la technologie...» La remarque de Tim Ash doit alors être complètement renversée, et la “panique” qu’il prévoit et espère sans doute, remplacée par la mobilisation...

Ainsi interprété, l’observation de Tim Ash, qui correspond bien aux intentions de guerre économique du bloc BAO, suggère-t-elle que des conditions vont être rapidement développées qui vont mettre (involontairement mais sans le moindre doute) les Russes, la Russie, et éventuellement Poutine dont le réalisme deviendra alors de s’adapter à cette situation d’antagonisme, dans une situation de pied de guerre avec le bloc BAO. Si l’on veut, on retrouve la situation technique (mais nullement politique, ni stratégique, ni idéologique, etc.) de l’analogie de la situation japonaise des années 1940-1941 pour le mécanisme (embargo US conduisant à une expansion belliciste du Japon), mais encore dans des conditions complètement différentes. Le Japon avait besoin de projeter ses forces pour riposter à la pression de la guerre économique, la Russie n’a qu’à agir sur ses frontières si la gravité de la situation conduit à une nécessité d’affrontement, – cette “nécessité d’affrontement” pouvant être simplement une nécessaire riposte aux pressions de la guerre économique. Dans les conditions qu’on décrit ci-dessus, il y a de fortes chances pour que cela soit fait et désormais des incursions militaires qui peuvent prendre des formes très variées dans des pays du centre de l’Europe ne sont plus du domaine de l'improbabilité. L’on peut même considérer que l’on n’est plus loin du moment du jugement où une “politique raisonnable” et “réaliste“, – celle qu’affectionne Poutine, – soit justement d’affirmer sa puissance militaire, par pression d’influence ou plus encore, au niveau opérationnel dans certains cas, sur les frontières russes et au-delà dans le continent européen.

... Et il y a de fortes chances désormais pour que la Russie soit très loin d’être seule dans ces conditions conflictuelles, et que son équilibre intérieur soit infiniment supérieur à celui de ses adversaires. Cela revient à considérer que cette “guerre économique” qui pousserait les Russes à la mobilisation pourrait conduire, par logique invertie, à des mouvements de panique ou de révolte interne dans des pays du bloc BAO. Imagine-t-on la France, dans les conditions actuelles de discrédit extraordinaire du pouvoir, placée dans des conditions conflictuelles avec la Russie à l’initiative de ce pouvoir-là, suivant aveuglement les consignes-Système venues de tel ou tel, – des USA, de l’OTAN, de l’UE, de l’Allemagne ou de Tartempion ? C’est une situation qui apparenterait la France à des risques de bouleversements tels que la Russie en connut en 1917 face à l’Allemagne (sans suggérer, bien entendu, – parce que nous parlons toujours d’analogies techniques, – qu’il n’y ait rien de marxiste-léniniste et tutti quanti là-dedans, et suggérant au contraire que le tragique de la situation serait à mesure de la médiocrité de nos élites-Système et nullement de la pérennité interrompue dans le sang du régime tsariste). Dans cette séquence de déstabilisation des conditions de pseudo-coexistence présentes, il nous paraît que l’ensemble européen sera soumis à des tensions qui conduiraient rapidement à une déstructuration, avec les positions très divergentes des uns et des autres face à la Russie, avec même une incertitude grandissante dans le chef des institutions elles-mêmes.

Cette situation générale des conséquences probables d’une “guerre économique” qui est en trains de se développer, et dont les conséquences les plus remarquables pourraient être largement hors du champ économique, a toutes les chances (insistons sur le mot) de perdurer et de se développer, parce que la source originelle est une entité qui se trouve devant son dilemme existentiel. Par tous les bouts qu’on la prenne, la puissance US (l’entité en question) est considérable et dans une position d’un tout aussi considérable déséquilibre potentiel. Cela vaut pour le dollar, pour la puissance militaire, pour la situation sociale interne, pour la cohésion structurelles entre les États, pour la situation de la souveraineté sur les frontières avec le Mexique. Littéralement, les USA sont en train de jouer leur va-tout pour “survivre”, parce que, pour eux, “survivre” n’a qu’une seule signification possible : assurer une complète hégémonie mondiale. (Cela explique combien la formation du nouveau Congrès, avec la composition qu’on lui connaît et le poids qu’on lui reconnaît dans la conduite de la politique, est d’une telle importance. A cet égard, il s’agit bien du Congrès de la Fin des Temps, totalement nihiliste comme lorsqu’on atteint à l’extrême du radicalisme en s’appuyant sur la plus complète corruption d’une gérontocratie qui estime, dans son plus complet hybris, ne plus avoir ni à s’expliquer de rien, ni à comprendre rien du tout : “C'est un Congrès, raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur et qui ne signifie rien...”) C’est bien en tout cela, dans cette agitation forcenée et absolument nihiliste, que les USA forment le cœur du Système, qu’ils sont absolument la créature du Système, qu’ils suivent la même courbe de surpuissance-autodestruction du Système.

Bien entendu, il reste l’hypothèque nucléaire. Dès le premier jour de la crise ukrainienne lorsque cette crise a atteint le degré de gravité qu’on lui connaît depuis février de cette année, l’hypothèque nucléaire a existé. Elle existe toujours et elle existera désormais jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la chute des USA et jusqu’à la chute du Système. C’est pourquoi le cas actuel de la crise du nucléaire stratégique US (voir le 12 novembre 2014) est d’une si grande importance ; comme d’habitude lorsque la chose est importante, cette crise-là est complètement ignorée... Mais l’hypothèque nucléaire, nous l’avons déjà dit souvent, n’est qu’une issue catastrophique parmi d’autres, et pas nécessairement la plus probable même dans le pire des prolongements conflictuels

Il y a, dans cette course à la “guerre économique”, un ensemble d’aveuglement, de nihilisme, d’entêtement hors de tout débat rationnel, de dogmatisme hors de toute contestation, qui ne peut que déboucher, dans le chef de la Russie et des pays qui devront suivre sa ligne, sur la nécessité de l’antagonisme et de l’affrontement face aux pressions qui leur sont imposées. Pour le temps courant, mais de plus en plus rapidement, il semblerait que la signification de l'événement puisse bien être le point de rupture de la phase d’effondrement de la crise du Système, et ce point de rupture caractérisé par la possibilité d’apparaître beaucoup plus rapidement, dans les tensions diverses qui se manifestent, que les phases les plus catastrophiques de l’affrontement comme l’affrontement nucléaire. Nous sommes réellement dans la terra incognita où toutes les forces conflictuelles sont activées et en état d’affrontement jusqu’à l’extrême de la destruction, et pour le Système dont nous favorisons cette forme de destin, de l’autodestruction.